L’intellectuel et le journaliste dans la société
Le rôle de l’intellectuel, du journaliste, d’un cadre de la nation est d’éviter tant la sinistrose, le dénigrement gratuit que l’autosatisfaction source de névrose collective, mais d’émettre son analyse et son appréciation selon sa propre vision du monde.
Le débat contradictoire productif, le dialogue serein, la symbiose Etat/citoyens, sont me semble-t-il la condition sine qua non pour établir tant un bilan objectif afin de corriger les erreurs que de tracer les perspectives futures du pays. A l’ère d’Internet, le monde est devenu une maison en verre et il s’agit d’éviter toute désinformation contreproductive. L’Algérie a besoin surtout d’un regard lucide et non de courtisans, loin de l’ère du parti unique nuisible aux intérêts du pays.
L’intellectuel : des définitions ambivalentes
Le mot intellectuel provient du mot latin intellectus, de intellegere, dans le sens d’”établir des liaisons logiques, des connexions entre les choses”. La fonction de l’intellectuel n’est pas à proprement parler récente car à l’époque de la Grèce antique des leaders charismatiques, qui font l’intellectuel, se retrouvent dès la première étape du mouvement social, comme Gorgias ou Protagoras ont marqué leur époque par une démarche passionnelle de l’esprit. Dans la littérature française, la naissance du mot est attribuée à Saint Simon au début du 19ème siècle, terme repris par Clémenceau lors de l’affaire Dreyfus : "intellectuels venus de tous horizons pour se grouper sur une idée". Ainsi, le mot intellectuel est utilisé souvent pour désigner quelqu’un qui s’engage dans la sphère publique pour défendre des valeurs. Mais il est intéressant pour la compréhension, de voir les définitions qu’en donnent différents grands auteurs qui ont marqué l’histoire contemporaine. Dans Horizons et débats, numéro 26, juin 2004, le rôle de l’intellectuel dans la société Joseph M. Kyalangilwa, définit comme “intellectuel” toute personne, homme ou femme, qui met son intelligence au service de la communauté. Selon les historiens Pascal Ory et Jean-François Sirinelli, un intellectuel est « un homme du culturel, créateur ou médiateur, mis en situation d’homme du politique, producteur ou consommateur d’idéologie“. Raymond Aron, dans L’Opium des intellectuels (1955), pose cette question du rôle du savant dans la cité, l’intellectuel étant un « créateur d’idées » et doit être un « spectateur engagé ». Pour Pierre Bourdieu, dans Contre-feux 2, Raisons d’agir, Paris, 2001, l’intellectuel ne peut être que collectif :« "L’intellectuel peut et doit remplir d’abord des fonctions négatives, critiques, en travaillant à produire et à disséminer des instruments de défense contre la domination symbolique qui s’arme aujourd’hui, le plus souvent, de l’autorité de la science ; fort de la compétence et de l’autorité du collectif réuni, il peut soumettre le discours dominant à une critique logique qui s’en prend notamment au lexique mais aussi à l’argumentation (…) ; il peut aussi le soumettre à une critique sociologique, qui prolonge la première, en mettant à jour les déterminants qui pèsent sur les producteurs du discours dominant et sur leurs produits ; il peut enfin opposer une critique proprement scientifique à l’autorité à prétention scientifique des experts, surtout économiques. Mais, toute la pensée politique critique est donc à reconstruire, et elle ne peut pas être l’œuvre d’un seul maître à penser, livré aux seules ressources de sa pensée singulière, ou porte-parole autorisé par un groupe ou une institution pour porter la parole supposée des gens sans parole. C’est là que l’intellectuel collectif peut jouer son rôle irremplaçable, en contribuant à créer les conditions sociales d’une production collective d’utopies réalistes". Pour Jean-Paul Sartre, l’intellectuel "est celui qui refuse d’être le moyen d’un but qui n’est pas le sien et quelqu’un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas et l’intellectuel ne peut donc être que "de gauche", à condition d’entendre ce terme dans le sens d’un désir éthique de justice, et non dans un sens purement politique et partidaire". Pour Edward Saïd (Des intellectuels et du pouvoir, Seuil, Paris, 1996), l’intellectuel n’est ni un pacificateur ni un bâtisseur de consensus, mais quelqu’un qui s’engage et qui risque tout son être sur la base d’un sens constamment critique, quelqu’un qui refuse quel qu’en soit le prix les formules faciles, les idées toutes faites, les confirmations complaisantes des propos et des actions des gens de pouvoir et autres esprits conventionnels. Le choix majeur auquel l’intellectuel est confronté est le suivant : soit s’allier à la stabilité des vainqueurs et des dominateurs, soit – et c’est le chemin le plus difficile – considérer cette stabilité comme alarmante, une situation qui menace les faibles et les perdants de totale extinction, et prendre en compte l’expérience de leur subordination ainsi que le souvenir des voix et personnes oubliées.
La remise en cause du rôle de l’intellectuel engagé
Nous avons une position intermédiaire qui est celle de Albert Camus (discours de Suède, Gallimard, 1958) pour qui l’écrivain "ne peut se mettre au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent" : "Notre seule justification, s’il en est une, est de parler, dans la mesure de nos moyens, pour ceux qui ne peuvent le faire." Mais, ajoute-t-il, il ne faudrait pas pour autant "attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales. La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante." Cependant l’efficacité de ces analyses d’intellectuels engagés est remise en cause. Ainsi, pour Michel Foucault, (Dits et écrits II, 1976-1988, Gallimard, Paris, 2001), "pendant longtemps, l’intellectuel dit «de gauche» a pris la parole et s’est vu reconnaître le droit de parler en tant que maître de vérité et de justice. On l’écoutait, où il prétendait se faire écouter comme représentant de l’universel. Etre intellectuel, c’était être un peu la conscience de tous. (…) Il y a bien des années qu’on ne demande plus à l’intellectuel de jouer ce rôle". Pour Paul Nizan, dans Les Chiens de garde, réédité par Agone, Marseille, 1998, le rôle de l’intellectuel s’amoindrit de plus en plus : "Que font les penseurs de métier au milieu de ces ébranlements ? Ils gardent encore leur silence. Ils n’avertissent pas. Ils ne dénoncent pas. Ils ne sont pas transformés. Ils ne sont pas retournés. L’écart entre leur pensée et l’univers en proie aux catastrophes grandit chaque semaine, chaque jour, et ils ne sont pas alertés. Et ils n’alertent pas. L’écart entre leurs promesses et la situation des hommes est plus scandaleux qu’il ne fut jamais. Et ils ne bougent point. Ils restent du même côté de la barricade. Ils tiennent les mêmes assemblées, publient les mêmes livres. Tous ceux qui avaient la simplicité d’attendre leurs paroles commencent à se révolter, ou à rire."
L’intellectuel, selon Noam Chomsky, vision défendue également par Normand Baillargeon ou Jean Bricmont, contrairement à ce qu’écrivent souvent les médias, est avant tout au service de l’idéologie dominante. Je cite : "Il y a le travail intellectuel, que beaucoup de gens font ; et puis il y a ce qu’on appelle la “vie intellectuelle”, qui est un métier particulier, qui ne requiert pas spécialement de penser – en fait, il vaut peut-être mieux ne pas trop penser – et c’est cela qu’on appelle être un intellectuel respecté. Et les gens ont raison de mépriser cela, parce que ce n’est rien de bien spécial. C’est précisément un métier pas très intéressant, et d’habitude pas très bien fait … Ces gens-là sont appelés "intellectuels", mais il s’agit en réalité plutôt d’une sorte de prêtrise séculière, dont la tâche est de soutenir les vérités doctrinales de la société. Et sous cet angle-là, la population doit être contre les intellectuels, je pense que c’est une réaction saine". Pour Paul Valéry le rôle de l’intellectuel est celui de "remuer toutes choses sous leurs signes, noms ou symboles, sans le contrepoids des actes réels". D’autres ont admis que l’intellectuel influence, ou tente d’influencer, l’opinion publique, l’appréhension de ce phénomène, et son acception, tant au niveau théorique que pratique, demeurent toutefois assez superficielles. Cependant certains anthropologues ont tenté récemment d’élargir le débat notamment au niveau du Maghreb concernant l’intellectuel et l’identité nationale en posant une série de questionnements. Quel est le rôle de l’intellectuel dans la formation de l’identité ? Est-il un rôle édifiant ou, au contraire, son action constitue une controverse à l’évolution harmonieuse de l’identité nationale, au développement culturel et à la prise de conscience sociale ? Quel rôle joue l’intellectuel qui centre son intérêt sur la dimension amazighe, langue, culture et littérature ? Quelles sont les conséquences de l’exclusion de la dimension amazighe chez les intellectuels qui se situent dans les sphères officielles depuis les débuts du mouvement nationaliste ? Quels effets observables dans la société depuis la constitutionnalisation de tamazight ? A quel point s’intègre la dimension afro-méditerranéenne dans l’essence de l’identité Maghrébine ? Ces analyses font le pont entre la culture, le rôle de l’intellectuel et le développement.
Abderrahamane Mebtoul
Lire la suite : http://www.freealgerie.com/vous-avez-dit/137-lintellectuel-et-le-journaliste-dans-la-societe.html
Commentaires (6) | Réagir ?
Je me corrige ci-dessous, J. P. Sartre définissait effectivement l'intellectuel comme " Quelqu'un qui se mêle de ce qui ne le regarde pas". Je tiens toutefois à faire remarquer que la réciproque n'est pas toujours vraie.
CQFD ! Et "dont acte" pour ma part. Bien à vous.
" L'intellectuel est celui qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. " J. P. Sartre.
J'ai bien peur que vous ne m'ayez pas compris. Encore une fois, en décrétant, urbi et orbi, que l'intellectuel doit (sic) vous vous installez ipso facto dans la logique de celui qui distribue les cartes -du démiurge pour tout dire- Libre à vous ensuite de convoquer Sartre pour me répondre.