L'IAP subit depuis 10 ans les humeurs des ministres

L'Institut algérien du pétrole.
L'Institut algérien du pétrole.

Lors de l’installation du nouveau Directeur Général de ce qui reste de l’Institut Algérien du Pétrole (IAP) et rapporté par Matin-dz dans son édition d’aujourd’hui, le ministre de l’Energie et des mines, Dr. Youcef Yousefi a eu à constater l’immense gâchis fait à cette institution de renommée mondiale.

Les moyens financiers consentis par Sonatrach n’ont fait que miroiter son image externe mais en aucun cas réussit à le booster de l’intérieur pour en faire un pôle d’excellence comme le souhaitait ce même ministre bien avant l’arrivée du fameux Chakib Khellil en 1999.

Le diagnostic amer est fait, les dégâts sont visibles. Toute la question est comment situer la responsabilité pour en tirer des leçons et faire mieux à l’avenir. Ceci nous renvoie vers la problématique en Algérie qui, à chaque fois qu’une équipe reprend le flambeau, elle met ce qui n’a bien marché sur le dos de l’ancienne et ainsi de suite sans que l’une ou l’autre avance d’un iota. Nous l’avons vu lors de la réorientation de l’économie nationale en 1982, le processus de privatisation, la libéralisation des salaires et des prix et plus récemment l’ouverture du secteur des hydrocarbures. Cette querelle d’école fait que le pays reste un vaste et éternel chantier.

Quel était exactement l’étrange chemin imposé à ce pauvre institut ?

Le début des années 1990 et dans le cadre de son redéploiement stratégique qui semble être imposé par des circonstances particulières que tout le monde connaît et qu’il est inutile de rappeler ici, l’Etat a décidé de mettre à la disposition de l’Enseignement supérieur tous les établissements d’enseignement supérieur sous tutelle des autres secteurs entre autres le bâtiment, l’industrie lourde et légère, le commerce, etc. Mais nos stratèges dans une conférence nationale organisée à l’initiative de l'ancien président Liamine Zeroual ont vivement recommandé la capitalisation, la consolidation et surtout la fertilisation de l’expérience des Algériens en matière de pétrole et gaz. S’appuyant sur le charbonnage en France, ils ont constaté que même s’il n’y a plus d’exploitation de mines de charbon en France, les charbonniers ne chôment pas car ils trouvent le travail dans les quatre coins du monde parce qu’ils ont su consolider leur expérience dans ce domaine. Alors pourquoi pas les Algériens, le pétrole est une source tarissable, les pétroliers sauront vendre un jour ce métier à condition bien entendu de ne pas le laisser s’effriter, le renforcer et pourquoi pas le transmettre d’une génération à une autre. Comment ?

Il faut que l’Etat se dote d’un instrument puissant et assez rôdé pour lui permettre de réaliser cet objectif. L’Institut algérien du pétrole, avec les investissements énormes consentis par l’Etat pour former des chercheurs pratiquement dans tous les pays développés notamment les USA, des laboratoires de recherches avec des équipements sophistiqués, un site agréable, remplissait toutes les conditions pour cette noble tâche. Une décision est donc prise pour garder cet institut sous l’égide de l’Energie et les Mines et lui élaborer un programme pour concrétiser dans les faits ces vœux de l’Etat.

Depuis cette date que nous situons autour de 1993/94, ce fleuron de l’industrie des hydrocarbures n’a fait que subir les humeurs de chacun des ministres qui passe. Et ils sont nombreux ! Chacun d’eux vient avec une vision différente de l’autre. Et c’est au rythme de ces visions que cet institut a continué de danser jusqu’à sombrer vers les années 2007/2008. Ce rythme qu’il lui a été imposé lui a fait perdre d’abord ses cadres formés à coup de devises et récupérés par des sociétés étrangères qui concurrencent actuellement Sonatrach, transformer ses laboratoires en bureaux pour le tricotage de secrétaires, etc.

Chekib Khellil n’a fait que donner le coup de grâce à cet établissement en respectant les consignes qu’il avait ramenées dans ses valises. Le trouvant à terre et vidé de sa substance, il a décidé de le privatiser, ouvrir son capital aux sociétés étrangères. Aujourd’hui, de nombreux responsables s’étonnent de ce résultat mais Chakib Khelil n’a jamais caché son penchant ultra-libéral.

En dépit de plusieurs lettres, articles, et entretiens directs (01), pour ce Monsieur le prix du savoir ne peut être défini que par l’offre et la demande sans même offrir les conditions minimales d’une compétitivité loyale ou se rendre compte que du pays d’où il vient, on privatise tout sauf le savoir voire même l’importer même du monde arabe. Sous l’œil de celui qu’il l’a ramené, il a donc entamé un vaste démembrement de ce centre du savoir que les cadres supérieurs de l’Etat en constatent les dégâts aujourd’hui.

Le constat est là mais ce qui est plus grave c’est que ceux qui ont applaudi hier avec Chakib le font aujourd’hui avec Youcef Yousfi au nom du principe de la coordination/subordination, c'est-à-dire la discipline pour ne pas dire l’"applaventrisme". Alors si on ne fait pas preuve d’honnêteté intellectuelle et d’audace, on se reverra dans dix ans non seulement plus appauvrit mais encore avec plus de lampistes en prison.

Reghis Rabah, consultant chercheur

(01) Lire à ce sujet les articles du même auteur.

• Une loi contreversée : El Watan Economie du 24 au 30 juillet 2006

Peut-on mettre une stratégie industrielle sans heurter l’ordre établi El Watan du 25 février 2007

• Le gaz algérien et le responsable anonyme Quotidien d’Oran du 24 juin 2007

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