Libye : les divisions qui menacent la rébellion
Malgré une nette progression dans les secteurs de Tripoli, Brega et Misrata, les insurgés pâtissent de leurs divisions.
Un temps désarçonné par les raids aériens franco-britanniques, Muammar Kadhafi a d'emblée misé sur quatre atouts : la capacité de résistance de son appareil sécuritaire, la robustesse des allégeances tribales, les divisions d'une insurrection hétéroclite et l'amateurisme des combattants rebelles. Cinq mois après les premières frappes, il faut admettre que les calculs du "Guide" libyen n'avaient rien d'absurde. Pour preuve, l'inquiétante confusion qui assombrit le ciel de Benghazi, berceau du soulèvement et bastion du Conseil national de transition (CNT), l'organe politique du soulèvement, présidé par le frêle Mustapha Abdeljalil, ex-ministre de la Justice de la Jamahiriya.
Deux coups de tonnerre auront, au coeur de l'été, jeté une lumière crue sur ce chaos : l'énigmatique assassinat, annoncé le 28 juillet, du général Abdel Fatah Younès, commandant militaire de la rébellion; puis le limogeage, dix jours plus tard, des 14 membres du "bureau exécutif" du Conseil, ersatz de gouvernement provisoire. Les deux événements, à l'évidence liés, attestent le pouvoir corrosif du facteur temps, lequel tend à creuser les lignes de fracture inhérentes à tout élan révolutionnaire.
Le bazar libyen
"Je n'ai jamais vu ça." Le verdict émane d'un vétéran de l'humanitaire familier du chaudron libyen, atterré par "l'incapacité du CNT à organiser quoi que ce soit". Son ONG doit ainsi traiter avec quatre interlocuteurs différents, dont aucun ne détient la faculté de trancher. "Les vrais décideurs, on les trouve ailleurs. L'un dans la clinique où il officie, l'autre dans son magasin de chaussures." Une lueur d'espoir, toutefois: la vitalité d'une société civile naissante mais pugnace.
Entre les transfuges du système Kadhafi, les insoumis de l'intérieur, les exilés de retour au pays, l'amalgame prend mal et la méfiance règne. Ancien chef du renseignement puis ministre de la Défense du fantasque Muammar, Younès le rallié, qu'une féroce rivalité opposait à Khalifa Haftar, figure de la diaspora libyenne aux Etats-Unis, a-t-il payé sa duplicité supposée, les revers essuyés sur le front ou son rôle crucial lors de l'écrasement des maquis islamistes, dans les années 1990 ? Mystère. Reste que la rumeur, qu'elle impute le meurtre à un commando djihadiste ou à une cellule kadhafiste infiltrée, alimente la hantise de l'implosion. Angoisse attisée par la persistance des antagonismes régionaux et tribaux, que les pontes du CNT minimisent au nom d'une chimérique union sacrée.
Les insurgés de l'enclave portuaire de Misrata, assiégée depuis des mois, n'accordent qu'un crédit limité aux "frères" de Benghazi. Quant au CNT, il a dû, pour apaiser la fureur des al-Obeïdi, la tribu du général exécuté, désigner pour lui succéder l'un de ses cousins. Dès lors, comment s'étonner que la rébellion, mosaïque de katibat - brigades - autonomes, échappe à l'autorité aléatoire du CNT? "Sur le champ de bataille, admet un dignitaire misrati, le caïd local fait la loi."
Voilà des semaines que Mustapha Abdeljalil somme ou supplie vainement les innombrables milices de se ranger sous l'étendard d'une "armée nouvelle" embryonnaire. "Kadhafi, assène-t-on à l'Otan, n'a plus les moyens de mener une offensive crédible." Diagnostic pertinent. Mais le colonel aux abois pourrait, grâce aux germes de la discorde semés chez l'ennemi, s'offrir une victoire posthume : je tomberai, mais au moins entraînerai-je ces "traîtres" dans ma chute.
V. H.
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