Référendum royal au Maroc : l'inconnue de l'abstention
Treize millions de Marocains sont appelés aux urnes ce vendredi pour approuver le projet de révision constitutionnelle annoncé par le roi Mohammed VI le 17 juin. Si l'issue du scrutin ne fait aucun doute, le taux de participation reste le principal enjeu. Pour de nombreux Marocains, il est inimaginable de voter contre le projet, porté par le roi, qui reste extrêmement populaire. Durant son discours le 17 juin, le roi avait lui-même appelé ses sujets à voter pour ce projet.
Sur le plan politique, le soutien au projet royal est quasiment unanime, à l'exception du Mouvement du 20-Février, à l'origine de la vague de manifestations lancées dans la foulée des révolutions arabes, et qui a poussé le roi à prendre l'initiative de cette réforme constitutionnelle.
« Ceux qui sont contre cette Constitution sont contre le roi »
Pour la majorité des partis, ces réformes constituent une avancée politique considérable. Et les principaux quotidiens du paysont appelé à voter « oui ». Alors que la campagne pour le « oui » battait son plein, un chauffeur de taxi à Rabat résumait un point de vue populaire :
« Ceux qui sont contre cette Constitution sont contre le roi. Ce sont ceux qui mangent pendant le ramadan, non ? Je n'ai pas lu le texte, mais je sais que ce changement est positif. »
Un ancien militant socialiste avance une opinion plus nuancée : « Je suis pour cette Constitution. Je ne vais pas fermer la porte au changement. Je ne suis pas contre ceux qui sont contre ce texte mais je pense que nous devrions tous nous unir autour de ce projet pour aller de l'avant. »
Abdelilah Benkirane, le secrétaire général du principal parti d'opposition, le parti islamiste PJD, a été l'un des plus ardents défenseurs du nouveau texte : « C'est une Constitution meilleure que la précédente, audacieuse. Ça faisait cinquante ans que le Maroc l'attendait. C'est une Constitution qui, si les démarches qui la suivent sont positives, va couper avec un Maroc ancien, perturbé. Pour moi, [cette réforme] est historique parce qu'elle est venue pour résoudre un problème politique. Elle aura la chance d'être une révolution dans le bon sens et d'éviter une révolution dans le mauvais sens. »
Même Mustapha Ramid, un autre leader du PJD qui s'était attiré les foudres de son secrétaire général parce qu'il était descendu manifester plus d'une fois avec le mouvement 20 février, s'est exprimé en faveur du nouveau texte. Les militants socialistes de l'USFP, quant à eux, se félicitent de ce qu'ils considèrent comme une avancée certaine vers une monarchie parlementaire.
Au milieu de cet enthousiasme quasi-général pour le nouveau texte, les formations politiques opposées au nouveau texte ont eu le plus grand mal à s'exprimer. Trois partis politiques, des partis d'extrême gauche, le Parti socialiste unifié (PSU), le Parti d´avant-garde démocratique et socialiste (PADS) et la Voie démocratique, ont appelé à boycotter le scrutin. L'association islamiste Al Adl Wal Ihsane, habituellement abstentionniste, a aussi appelé au boycott.
Une inconnue : l'abstention
« Le premier juillet, je serai présent. » C'est ce que l'on pouvait entendre sur les chaines de télévision nationales ces derniers jours. La hantise du pouvoir marocain : l'abstention, qui risque d'être élevée. Il est bien difficile d'évaluer le poids des abstentionnistes. Un grand nombre de Marocains ne se sentent concernés ni par le projet constitutionnel, ni par la vie politique marocaine. Parmi les opposants au texte, nombreux sont ceux qui sentent que les dés sont pipés et qu'un vote contre la constitution ne changerait pas grand-chose au résultat du scrutin.
« Je ne me suis jamais inscrit sur les listes électorales et je ne voterai donc pas», m'expliquait un employé de 28 ans, qui avait pourtant -chose rare- une connaissance précise du nouveau texte. « Même si je m'étais inscrit, je ne serais pas allé voter. Cette constitution ne me satisfait pas. Tous les pouvoirs restent entre les mains du roi. Il n'y a pas de réel changement. »
Ces derniers jours, l'Etat a tenté de mobiliser les électeurs par tous les moyens. On pouvait trouver des tracts pour la nouvelles constitution dans les journaux, aux péages, et mêmes dans certaines banques. A Rabat, un nombre considérable de taxis arboraient des affiches « oui au référendum ». D'après l'agence officielle MAP, des bureaux de vote ont été installés dans plusieurs ports européens -dont Algesiras, Sète- pour permettre aux Marocains résidant à l'étranger (MRE) de voter.
Affrontements entre manifestants
Ces derniers jours, les partisans et opposants au projet de révision constitutionnelle ont manifesté à travers le Maroc. Le week-end dernier, des milliers de manifestants ont appelé au boycott dans plusieurs villes, dont Casablanca, Tanger, Fès, Marrakech.
Dimanche dernier, à Rabat, les forces de l'ordre et les manifestants royalistes (photo ci-contre) ont empêché ceux du mouvement 20 février, qui appelle à continuer les manifestations jusqu'à l'obtention d'une « réelle monarchie parlementaire », de commencer leur marche dominicale. Ils ont donc effectué un sit-in pendant environ deux heures, séparés des manifestants pro-roi par un nombre impressionnant de policiers antiémeutes, avec leur message :
« Mamfakinch ! Mamsawtinch ! » (Nous ne lâcherons pas ! Nous ne voterons pas ! ). « Ya mghribi ya meghribiya istiftaa 3lik w3liya mesra7ya » (Marocain, marocaine, le référendum est une piece theatrale). Younes Belghazi, un membre actif de la cellule de Rabat du mouvement 20 février, explique :
« Je boycotte parce que ce texte n'aura jamais un impact direct sur la vie des Marocains. La constitution est une pièce de théâtre écrite, mise en scène et interprétée par des gens auxquels je ne fais pas confiance. J'ai lu le texte de cette constitution avec le rêve d'y trouver quelque chose de bien, [quelque chose qui dit que les choses changent]. Je n'ai pas trouvé. Comment voulez-vous, donc, que je sois satisfait ? » Dans le même temps, on pouvait entendre l'hymne national jouée quelques dizaines de mètres plus loin par les manifestants pro-pouvoir.
A Casablanca, des milliers de manifestants, souvent soutenus par les partis politiques, sont arrivés en autobus pour soutenir les réformes. Des membres et leaders de la confrérie religieuse soufie boutchichiya, étaient eux aussi présents. Vendredi dernier, les imams, dans un prêche unifié à travers tout le Maroc, ont appelé leurs fidèles à voter « oui » durant leur prêches. Mercredi et jeudi, des manifestations pour le boycott ont eu lieu à Rabat, à l'appel du mouvement 20 février. Elles ont été encore une fois perturbées par des manifestants royalistes un peu trop zélés, que l'on nomme désormais « baltajias », en référence à la révolution égyptienne.
Ilham Rachidi
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