Quelques conseils à nos dictateurs
Comment réussir une bonne dictature ? Il ne suffit pas de traficoter des élections, noyer les partis d'opposition ou mettre la moitié de la population sous la surveillance de l'autre moitié mieux payée. Une dictature ne se mesure pas à la longueur du bras ni à sa force mais au jeu d'articulations entre le poignet, la main, l'avant-bras, le bras et le coup de pied. Pour ce faire, songez par exemple à toujours mettre la moitié de l'armée ou ses trois quarts sous l'ordre de votre fils ou frère. Il n'y a pas mieux pour s'assurer contre le coup d'Etat à l'égyptienne ou la neutralité désastreuse à la tunisienne. C'était l'erreur de Benali d'avoir misé sur sa femme et pas sur un fils général d'armée et c'était l'erreur de Moubarak d'avoir gardé le galon en donnant l'économie à ses deux bambins.
Seconde précaution : mettre les affaires du pays, c'est-à-dire ses principaux monopoles alimentaires et de communication sous la coupe d'un proche très proche. C'est la force actuelle de Bachar en Syrie : un Ramy Makhlouf comme racketteur principal du pays et son frère Maher comme patron du 4ème régiment privatisé.
Ensuite, ne jamais laisser émerger un patronat «privé» fort. Toujours l'encercler par un secteur public à concurrence déloyale et quelques antennes de multinationales spécialisées dans l'exploitation des ressources. Les politiques d'investissement étrangers doivent être limitées à des politiques de concessions sur les richesses nationales, éternellement inquiétées par une population voisine difficile que le régime tiendra à distance, mais pas trop pour que le message passe. Ainsi, en cas de crise, l'Occident veillera mieux à vous aider qu'à vous chasser car la révolution sera sa facture, pas la vôtre.
Il faut aussi veiller à ne jamais combattre les islamistes et les djihadistes jusqu'au dernier. Non. Il faut en laisser quelques groupes d'animations dans quelques zones pour justifier d'abord l'Etat d'urgence, ensuite le soutien de l'Occident et, enfin, la peur des populations.
Un attentat de temps en temps est aussi utile que de fausses élections de temps à autre. Un boat people d'immigrés clandestins lâchés vers le Nord à partir de votre pays vous ramènera plus d'argent et de soutien qu'une visite d'Etat en Europe.
Ensuite, et en cas de manifestations, ne jamais tuer, tirer ou permettre le coup de feu. On peut acheter les vivants mais pas les morts par balles.
Ensuite, ne jamais réprimer l'opposition trop frontalement. Il faut la laisser faire, la laisser venir, la «travailler» sur les côtés, voir ce qu'elle mange, d'où elle vient et l'isoler peu à peu sans s'y confronter. Un opposant devient un héros quand il est mis en prison, mais si tout le peuple est en prison, le prisonnier devient un banal piéton entre cellules.
Ensuite, il y a les minorités. Il faut d'abord les frapper, ensuite les culpabiliser et ensuite les laisser faire n'importe quoi et demander n'importe quoi. Si la minorité a une langue à part, poussez-la à trop parler et elle s'isolera encore plus. Si elle a une religion, donnez-lui des représentants puis faites-les manger à votre table et leur expliquant que la minorité a besoin de la sécurité pas de l'identité. Les minorités religieuses ont plus peur de la majorité que de la dictature.
Que faire en cas de révolution ? Faites-en partie avant les révolutionnaires : désarmez vos flics mais laissez-les frapper.
Ensuite gagner du temps : les gens existent tout le temps mais un peuple n'existe que quelques jours par dix ans. Ne tuez jamais car le sang soude les morts aux vivants et les fait parler de la même voix. Pour avoir une dictature incassable, créez une dictature flexible : il faut que le Président soit faible, l'entourage fort. Corrompez sans compter quand les jours sont comptés. Elargissez votre salle à manger et au fur et à mesure que la contestation peut s'élargir. Depuis la préhistoire, le chef de l'Etat c'est celui qui divise la carcasse de la vache à manger. Les hommes ont beaucoup changé mais pas leurs estomacs. Quand les gens vous demandent la liberté, installez le piège à oiseaux : dites-leur sélectionnez dix parmi vous et on va négocier. Ils mettront dix ans à s'entendre. Il faut installer la peur : pas celle qui vous fera craindre mais celle qui fera craindre le peuple de lui-même : apprenez aux riches à avoir peur des pauvres, aux pauvres à détester les gens qui leur ressemblent et les gens qui sont riches, dites aux minorités que la majorité veut les manger et dites à la majorité que les minorités sont des gens venus d'ailleurs. N'apprenez pas aux gens à avoir peur du policer, ils se révolteront. Apprenez au flic à avoir peur des civils, il les frappera mieux et sans ordres. Pendez un riche chaque trois ans et dix pauvres chaque vingt ans.
Et quand tout le monde soupçonnera tout le monde, votre dictature sera la seule garantie. Il n'y pas mieux pour que les gens vous demandent de rester, même assis sur leur dos !
Ecrit par Kamel DAOUD le Vendredi, 27 Mai 2011. Dans Politique, Monde, La une
Commentaires (3) | Réagir ?
Ceux qui ont raté de vivre l'époque de Niccolò Machiavelli MDXXVII (1527) voilà le Daoudisme de MMXI (2011). Les Saddam, Ben Ali, Ali Abdullah Saleh, Hosni Mubarak, Kaddafi ont raté le coche!
Peut être que Boutef & Mohamed VI sauront relevé le défi.
Du délire à l'état vénéré. Je ne peux leur éprouver que peu d'agréments de leur prodiguer de sentiments de pareilles affections à ces deux sus-cités dans votre commentaire. Aucune chance de voir cela un jour et surtout aucune circonstance atténuante pour ces deux guignols aux allures momifiées. La tendresse est pourtant bien le crédo des faibles aux sentiments féminins Monsieur Nadir Nadir.
Salut.
Le vent de la liberté les balayera aussi. Ils sont sur la liste des dictateurs.