Binationalité franco-algérienne : la transgression de l’appartenance
Les chiffres d’Algériens naturalisés ou réintégrés dans la nationalité française retrouvent, ces dernières années, les niveaux de 1962 et 1963 avec plus de 17 000 en 2004, presque 20 000 en 2005, le record depuis 1964. Rien d'alarmant.
Pourtant, de 1965 à 1990, le chiffre restait dans les eaux basses, autour d’un maximum de 1 000 par an. Cela interpelle d’autant plus que les demandes de « papiers français » émanent bien sûr de la communauté émigrée, mais aussi de ressortissants algériens auprès des autorités consulaires en Algérie.
Dans un livre fort à propos, La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens*, l’universitaire Séverine Labat estime, au-delà des chiffres, que « ces mobilités, ces demandes d’un ailleurs affaiblissent le sentiment de l’appartenance nationale, et signalent le déficit de la construction nationale ». Si la démarche vient de la partie la plus francophone des Algériens, elle s’élargit à d’autres couches sociales, et cette "transgression", assumée, de la nationalité questionne ainsi le rapport de l’Algérie avec « son passé colonia l» et sa lutte de libération.
L’auteure postule que les nouveaux binationaux revisitent « la mémoire coloniale », et « ils réalisent le rêve formulé par les ‘‘jeunes Algériens’’ et les partisans de l’assimilation, de réconcilier la nationalité et la citoyenneté, déconnectées durant la période coloniale ». D’ailleurs, disent les concernés, « Nous sommes citoyens français, et nous sommes aussi algériens ». Le franchissement vers un lien d’un nouveau type entre la France et l’Algérie est ainsi à l’œuvre. Sur l’autre versant, à l’opposé, les anciens d’Algérie, pieds-noirs, ou les harkis, sont, depuis 1962, « dans la douleur du manque d’Algérie », dans une espèce de « binationalité en creux », comme le dit Séverine Labat, une binationalité inversée, « algéro-française ». Cela nous entraîne sur une autre dimension, qui en appelle aux « nécessaires et toujours différés échanges d’historiens, d’anthropologues, de politologues, de sociologues, en France comme en Algérie, seuls éligibles à rendre intelligibles les passions et apaiser les mémoires ». Cependant, la consolation réside dans l'attitude décomplexée des binationaux trentenaires et plus jeunes. Ils jonglent aisément avec la double culture, la double nationalité et ce qui en découle : la double appartenance. C'est un atout, une richesse et non un choix cornélien.
B.M. Avec El Watan
* Séverine Labat, «La France réinventée : les nouveaux binationaux franco-algériens», Carrefour euro-méditerranéen (collection dirigée par Aïssa Kadri) Publisud 2010, 272 pages.
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