Extraits de la déposition : Ce qu'a dit le général François Buchwalter au juge
Dans sa déposition devant le juge d’instruction Marc Trévidic, au tribunal de grande instance de Paris, le 25 juin dernier, le général François Buchwalter affirme que les sept moines français enlevés dans la nuit du 26 au 27 mars 1996 par le Groupe islamique armée (GIA) ont été tués par erreur, lors d’un raid aérien de l’armée algérienne contre un bivouac du GIA en avril ou mai de cette même année. François Buchwalter, né en 1943 à Toulouse, était, à l’époque, attaché militaire à l’ambassade de France à Alger. Il affirme avoir obtenu ses informations d’un ancien camarade algérien de Saint-Cyr, dont le frère était le chef d’une escadrille d’hélicoptères basée à Blida et avait participé à cette bavure.
« (…) QUESTION : Quand et comment avez-vous appris la mort des moines ?
REPONSE : Par le communiqué du GIA, je crois le 21 mai. En fait, il y a eu deux versions de ce communiqué 44. J’ai eu la première version je crois par un journaliste. J’ai donné cet exemplaire à un islamologue (…). Il m’a dit que mes islamistes n’étaient pas doués, car il y avait une erreur dans le verset cité du Coran. Puis, une deuxième version de ce communiqué, corrigé, sans l’erreur de référence du verset du Coran, est arrivé par le canal habituel. (…)
QUESTION : Quand et comment avez-vous appris la découverte des corps ou des têtes selon ce qui vous a été présenté au début ?
REPONSE : J’ai appris la découverte des dépouilles. C’était neuf jours après le communiqué du GIA. Le 30 mai ou une date proche du 30 mai, entre 9 heures et 10 heures du matin, Algérie Presse Service a annoncé officiellement : " Les dépouilles des moines ont été découvertes dans un champ près de Medea". Cette annonce est arrivée quelques heures après le décès de Monseigneur DUVAL. Je l’avais rencontré une quinzaine de jours avant sa mort. Il était malade. Il était très préoccupé par l’affaire des moines mais il n’avait pas d’élément particulier. Monseigneur DUVAL avait la nationalité algérienne. Dans un communiqué en 1957, il avait condamné l’usage de la torture par l’armée française. Beaucoup de pieds noirs avaient très mal pris cette prise de position, mais il était très apprécié par les Algériens.
QUESTION : Voulez-vous dire qu’en annonçant la mort des moines quelques heures après la mort de Monseigneur DUVAL, on arrivait en quelque sorte à enterrer cette dernière information par une nouvelle encore plus importante pour les Algériens ?
REPONSE : Oui.
QUESTION : Quand et comment avez-vous appris qu’il n’y avait que les têtes dans les cercueils ?
REPONSE : Je pense que l’on en arrive à la raison de ma demande d’audition. C’est difficile pour moi car c’est une chose dont on m’a demandé de ne pas parler. J’en avais parlé au père VEILLEUX, à Monseigneur TEISSIER et à l’ambassadeur. Pour que vous compreniez, j’ai eu des liens d’amitié avec divers officiers algériens qui avaient fait leur formation à Saint-Cyr et c’est ainsi que j’ai connu une personne dont je préfère ne pas vous dire le nom car il est possible que son frère soit encore en Algérie. (…) C’était un ami. Quelques jours après les obsèques des moines, il m’a fait part d’une confidence de son frère. Son frère commandait l’une des deux escadrilles d’hélicoptères affectées à la 1ère région militaire dont le siège était à Blida. Son frère pilotait l’un des deux hélicoptères lors d’une mission dans l’Atlas blidéen, entre Blida et Medea. C’était donc une zone vidée et les hélicoptères ont vu un bivouac. Comme cette zone était vidée, ça ne pouvait être qu’un groupe armé. Ils ont donc tiré sur le bivouac. Ils se sont ensuite posés, ce qui était assez courageux car il y aurait pu y avoir des survivants. Ils ont pris des risques. Une fois posés, ils ont découvert qu’ils avaient tiré notamment sur les moines. Les corps des moines étaient criblés de balles. (…)
QUESTION : Combien de personnes y avait-il dans les deux hélicoptères ?
REPONSE : Ce sont des gros hélicoptères et je pense qu’il pouvait y avoir une dizaine d’hommes armés.
QUESTION : Avez-vous d’autres détails de la part de votre ami sur ce que lui a dit son frère ?
REPONSE : Je ne vois pas d’autre détail. En revanche, pour répondre à votre question sur la façon dont j’ai appris que nous n’avions que les têtes des moines, je précise que j’ai rencontré après les obsèques, le médecin du renfort de gendarmerie attaché à l’ambassade de France (…). Il avait beaucoup de mal à me parler car l’ambassadeur lui avait fait promettre le silence. Je lui ai demandé s’il avait vu les corps puisque mon ami m’avait dit qu’ils étaient criblés de balles, et c’est là qu’il m’a dit qu’il n’y avait que les têtes.
QUESTION : Que vous a-t-il dit sur les têtes ?
REPONSE : Il m’a dit que les têtes avaient séjourné longtemps dans la terre, que c’était épouvantable. Il ne m’a pas parlé d’impacts des balles dans les têtes.
QUESTION : Que pensez-vous des déclarations de TIGHA impliquant les services algériens dans l’enlèvement des moines ?
REPONSE : Il n’y a pas que les déclarations de TIGHA [ancien officier du renseignement algérien]. J’ai trouvé sur internet les déclarations de Habib SOUAÏDA [lieutenant algérien réfugié en France, auteur du livre La sale guerre] qui doit être un ancien de la DRS [sécurité militaire algérienne], qui allaient dans le même sens. Et puis il y a les déclarations de SAMRAOUI [ancien colonel de la sécurité militaire algérienne] sur l’infiltration du GIA par les services de sécurité.
QUESTION : En qualité d’attaché de défense, avez-vous rendu compte par écrit de ce que vous aviez appris sur la mort des moines par votre ami (***) ?
REPONSE : Oui.
QUESTION : Ce rapport a-t-il été transmis aux mêmes autorités que d’habitude ?
REPONSE : Oui. Il n’y a pas eu de suites, ils ont observé le black-out demandé par l’ambassadeur. (...) »
RFI
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Actualités : À CEUX QUI CRACHENT DANS NOS LARMES
de Yasmina Khadra
Je me rétracte ? Aucunement. Je n'ai pas failli à mes engagements ni changé d'un iota dans mes déclarations. J'ai régulièrement rendu hommage à l'armée à travers les différentes interviews que j'ai accordées à la presse occidentale, arabe et algérienne.
Yasmina Khadra in Le Monde, 13 mars 2001
A l'heure où la question «qui-tue-qui ?» battait son plein, et au risque de compromettre ma carrière littéraire, j'ai dédié L'Automne des chimères au soldat et au flic de mon pays ; c'était en avril 1998. J'avoue que la guerre crapulo-intégriste qui sévit encore en Algérie n'a pas livré tous ses secrets. Beaucoup d'assassinats, de tueries, d'enlèvements ne sont pas près d'être élucidés. Il s'agit d'une guerre plurielle, foncièrement politico-financière, dont les enjeux tentaculaires et inavoués vont continuer d'enchevêtrer toutes les pistes susceptibles de dévoiler les tenants de l'une des plus effroyables supercheries que le Bassin méditerranéen ait connues. La confusion qu'entretiennent des manœuvres subversives à travers les médias et les témoignages livresques ne font, en réalité, que réconforter les véritables coupables jusque-là au-dessus des soupçons. Aujourd'hui, un autre témoignage impute à l'armée les massacres collectifs revendiqués pourtant, à cor et à cri, par les GIA. Que faire ? Me taire ? Mon silence pourrait être interprété comme un consentement ou un désaveu. Réagir ? Mon intervention risquerait de chahuter ma crédibilité d'écrivain libre. Entre deux maux, je choisis celui qui pèsera probablement sur mes chances de romancier, mais qui aura l'excuse de ne pas peser sur ma conscience. Je déclare solennellement que, durant huit années de guerre, je n'ai jamais été témoin, ni de près ni de loin, ni soupçonné le moindre massacre de civils susceptible d'être perpétré par l'armée. Par contre, je déclare que l'ensemble des massacres dont j'ai été témoin et sur lesquels j'ai enquêté portent une seule et même signature : les GIA. Les victimes sont des vieillards, des femmes, des enfants et des nourrissons, surpris dans leur misère la plus accablante et assassinés avec une férocité absolue — des bébés ont été embrochés, frits et brûlés vifs. De telles horreurs ne peuvent être commises que par des mystiques ou des forcenés ; en tout cas par des monstres qui ne pourront jamais plus réintégrer la société et prétendre à la reprise d'une vie normale. Pour atteindre un tel degré de barbarie, il faut impérativement avoir divorcé d'avec Dieu et les hommes. Les soldats que j'ai connus dans les maquis gardent encore la foi. L'armée algérienne, conçue dans le monde obsessionnel d'une menace exclusivement extérieure, a été littéralement déboussolée par l'implosion intégriste. Non préparée à l'éventualité d'une guerre civile et refusant d'admettre que la patrie puisse être martyrisée par ses propres rejetons, l'institution a mis plusieurs années pour se relever de son choc et faire face, avec un minimum de lucidité, à la déferlante extrémiste. Dans la confusion généralisée, savamment dosée par les véritables commanditaires, notamment entre 1992 et 1994, des erreurs graves et des dérapages ont été constatés. Il s'agissait d'actes isolés (vengeance, incompétence, méprise ou psychose) qui n'impliquent pas l'institution militaire puisque les tribunaux et les asiles psychiatriques ont accueilli un grand nombre de mis en cause. Que dire de l'attitude de certains intellectuels français devant notre tragédie, sinon mon chagrin et ma déception, moi qui, trente-six ans durant, contre vents et marées, n'ai cherché qu'à les rejoindre et m'instruire auprès d'eux ? Que dire de ces alliés naturels dont je rêvais toutes les nuits et qui, avec une insoutenable prudence, font étalage d'un manque de discernement effarant ? Il est certain que le drame algérien bouleverse et étonne par les opacités tourbillonnantes qui gravitent autour de lui ; mais une situation floue n'exige-t-elle pas un minimum de retenue ? J'ai été soldat, et je n'ai pas quitté les arènes algériennes des yeux une seule seconde. Témoignant, n'aurais-je donc pas voix au chapitre ? L'armée algérienne n'est pas un ramassis de barbares et d'assassins. C'est une institution populaire qui essaye de sauver son pays et son âme avec le peu de moyens appropriés dont elle dispose que compensent sa détermination et sa vaillance, et rien d'autre. Présenter le soldat algérien comme un mercenaire ou un légionnaire sans foi et sans conscience est injuste et inhumain, indigne d'hommes éclairés et supposés défendre la vérité et les valeurs fondamentales au nom de toute l'humanité. Je reviens des maquis, des villages blessés, des villes traumatisées ; je reviens d'un cauchemar qui m'aura définitivement atteint dans ma chair et dans mon esprit ; je reviens de ces nuits où des familles entières sont exterminées en un tournemain, où l'enfer du ciel tremble devant celui des hommes, où les repères s'effacent comme des étincelles dans l'obscurité, tant l'horreur est totale et la douleur absolue. Et que suis-je en train d'entendre ? Que le soldat miraculé que je suis est un tueur d'enfants ! Que savez-vous de la guerre, vous qui êtes si bien dans vos tours d'ivoire, et qu'avez-vous fait pour nous qui tous les jours enterrions nos morts et qui veillions au grain toutes les nuits, convaincus que personne ne viendrait compatir à notre douleur ? Rien. Vous n'avez absolument rien fait. Huit années durant, vous avez assisté à une intenable boucherie en spectateurs éblouis, ne tendant la main que pour cueillir nos cris ou nous repousser dans la tourmente à laquelle nous tentions d'échapper. Que savez-vous de tous ces cadets tués au combat, de ces milliers de soldats fauchés à la fleur de l'âge et dont la majorité n'a jamais embrassé une lèvre aimée ou connu les palpitations d'un amour naissant ? Quels souvenirs gardez-vous de ces visages éteints, de ces corps qui ne bougent plus au pied d'arbres brûlés, de ces bouillies de chair qui indiquent qu'une bombe a explosé à tel ou tel endroit ? Vous n'avez rien vu de notre enfer et vous ne mesurerez jamais l'ampleur de notre chagrin ni l'envergure de notre bravoure. Nous sommes les enfants de notre pays, des guerriers malgré eux, qui se battent à leur corps défendant. Nous ne tuons pas nos pères, ni nos mères, ni nos propres enfants ; mais nous offrons à tout moment un morceau de notre vie pour préserver un empan de notre terre et de notre dignité. A l'heure où nous nous recueillons sur la tombe de nos chers absents, vous nous chahutez, vous crachez dans nos larmes, bafouez notre deuil et tuez une deuxième fois ces êtres merveilleux qui furent les nôtres, qui n'étaient rien d'autre que des soldats. Je reste persuadé que, pareillement au destin, nul ne peut se défaire de la vérité. Le crime ne paie pas, la lumière finira immanquablement par éclairer la beauté ou la laideur de chacun ; et aucun masque, aucun lifting, ne saurait sauver la face impure. En attendant, l'Algérie continue de subir l'affront de ses rejetons. Que ceux qui n'y peuvent rien aient la décence de nous laisser à notre malheur. A l'usure, nous saurons renaître de nos cendres et survivre au pire des cataclysmes : la lâcheté de nos félons et le lâchage de nos «amis».
Y. K.
le General français qui accuse l'armée algerienne a remis un rapport sur l affaire des moines a ses superieurs. le jure doit certainement demander a voir ce rapport. si vraiment ya rapport sur l'affaire tout change alors...