Élections locales en Algérie : les limites d'une ambition
En dehors la fébrilité politique de la scène algérienne, induite par la confection des listes de candidats aux élections locales (assemblées de commune et de wilaya) du 23 novembre prochain, il n'y a presque plus de place pour une discussion et analyse approfondies de ce que le gouvernement Ouyahia a apporté de "nouveau" par rapport aux deux gouvernements précédents (Sellal et Tebboune).
On sait que, si on remonte un peu plus loin dans le temps, par exemple à août 2012, c'est le même Ahmed Ouyahia que l'on retrouve à la tête de l'exécutif. Néanmoins, la différence entre cette date et le moment présent est, on ne peut plus, de taille. Non pas que le Premier ministre se soit "amendé" ou ait apporté une vision nouvelle en matière de gouvernance économique et sociale, mais, inexorablement, un séisme d'une grande magnitude a secoué les vieilles certitudes et émoussé l'impertinente grandiloquence qui a eu cours pendant les années de l'embellie financière. Il est bien révolu le temps où l'on se "chamaillait" dans les journaux sur l'opportunité ou non de verser les réserves de changes algériennes (qui étaient presque d'un montant de 200 milliards de dollars en 2014) dans des fonds souverains. Ces réserves se réduisent comme une peau de chagrin depuis 2015, se situant, jusqu'en août dernier, à peine à 103 milliards de dollars.
Là, on redécouvre subitement la validité du diagnostic du Pr Abdellatif Benachenhou, qui disait, au milieu des années 2000, que "l'Algérie est un pays pauvre se croyant riche". Ce ne sont évidemment pas les ressources naturelles, le génie national et les potentialités d'exploitation et de création de la valeur ajoutée qui seraient pauvres! C'est le mode d'organisation, la gouvernance politique et économique, ainsi que la culture d'entreprise qui sont frappés par une forme de sclérose avancée, inhibés par la culture rentière des hydrocarbures.
Constat sans appel : l'échec consommé
Pour revenir au sujet des élections locales, celles-ci se dérouleront au moment où le constat d'un patent échec est établi au sujet de la gestion locale. Un constat fait non par des opposants politiques aigris ou des médias hargneux, mais par les autorités officielles, à commencer par le ministère de l'Intérieur. Cinq ans après l'adoption des nouveaux codes de la wilaya et de la commune, ainsi que la loi sur les associations, le ministère de l'Intérieur compte les proposer, une nouvelle fois, à la révision. Le gouvernement compterait, selon le ministre de l'Intérieur et des Collectivité locales, redessiner la mission et le rôle des communes dans le nouveau contexte économique national, caractérisé par une crise térébrante des finances extérieures du pays. Le gouvernement entend- dans un contexte de délabrement avancé de la gestion des collectivités locales sur tous les "fronts"- assigner à la commune un "rôle majeur dans la création de richesses", en exploitant, dit-on, toutes les potentialités des territoires qu'elles gèrent.
On sait que, d'après des statistiques qui remontent à 2014, près des deux tiers des 1.541 communes du pays sont déclarés pauvres. Elles n'arrivent à subsister que par la grâce des subventions de l'Etat, via le Fonds commun des collectivités locales.
La nouvelle mission économique que l'on tient à assigner aux communes est d'autant plus problématique qu'elle ne repose sur aucune tradition de création de richesses, d'investissements ou de politique d'attractivité des territoires. Ce sont là des concepts répétés dans des séminaires et journées d'études, mais qui n'ont aucun prolongement sur le terrain. Hormis certains marchés hebdomadaires et quelques locaux commerciaux qui assurent de maigres recettes aux communes, il est difficile d'aligner d'autres ressources, si ce n'est celles issues des activités industrielles pour un nombre limités de communes.
Simples professions de foi
"Gérer une commune comme on gère une entreprise". Ce principe qui fut arboré, un certain moment, par l'ancien ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, Daho Ould Kablia, n'a pas dépassé le stade de la profession de foi. Le même responsable avait dressé, en son temps, un diagnostic du mal et des difficultés qui prennent en otage les assemblées communales, considérées comme l’entité de base de gestion du territoire: déficit de formation, incompétence, dilution des responsabilités, mauvaise prise en charge du foncier, corruption, inadéquation du code communal avec les nouvelles réalités politiques, sociales et économiques du pays, et une myriade d’autres problèmes qui, dans un mouvement centripète, s'imbriquent pour paralyser la première institution de base du pays et rendre le cadre vie des administrés de mois en moins viable.
En déplorant l'inadéquation du code communale avec le nouveau contexte algérien, l'ancien ministre avait élaboré et fait adopter par le Parlement un nouveau texte qui régit la wilaya et un autre destiné à remplacer l'ancien code communal. Depuis le renouvellement du mandat des élus locaux en novembre 2012, ces textes sont entrés en vigueur. Néanmoins, chaque jour qui passe montre les limites objectives de ces deux législations et leur… inadaptation aux nouveaux besoins de la gestion communale.
Comment gérer la dèche ?
Là où les élus attendaient de voir se libérer les initiatives, se lever la lourde tutelle de l'administration, s'amenuiser l'hypothèque qui pèse sur les délibérations des assemblées et se fluidifier le processus de prise de décision, ils découvrent de nouvelles camisoles de force, représentées par l'administration de la wilaya (directions de l'exécutif et wali) et par le "gardien du temple" qu'est le chef de daïra.
Le premier à parler de la nécessité d'élaborer de nouveaux codes de la commune et de la wilaya, ce n'est pas le ministre de l'Intérieur, mais c'est l'inénarrable Amar Saâdani, ancien secrétaire général du FLN. C'était en octobre 2015, lorsqu'il jugea que le code communal "contient plusieurs circulaires anti-démocratiques, qui favorisent la minorité sur la majorité", ajoutant qu' "il est inacceptable de continuer à travailler avec ce code", estimant que les élus de son parti sont "lésés", puisque, même avec la majorité des voix, ils ne sont pas assurés de présider aux destinées de l'APC. Bien entendu, le tonitruant responsable de l'ancien parti unique n'avait de vision sur le sujet que l'arithmétique développée pour asseoir la mainmise de son parti sur les assemblées communales. Ni le déficit de décentralisation, ni le dommageable ascendant de l'administration sur les élus, ni le flagrant manque d'organisation et de management des communes, ne semblaient poser de problème particulier pour l'enfant terrible de la nomenklatura.
La question qui taraude aujourd'hui les citoyens électeurs étant de savoir comment vont s'y pendre les nouveaux maires- dans un contexte de déche financière- pour asseoir une nouvelle gouvernance locale, un cadre de vie amélioré, un climat de création de richesse et de plus-value, avec des entités qui n'avaient même pas, à l'ombre d'une embellie financière qui aura duré plus de quinze ans, pu imaginer une telle ambition ou s'en approcher. La question demeure lancinante, sans réponse, même si le climat et les boniments de précampagne tentent de nous faire prendre les vessies pour des lanternes.
Amar Naït Messaoud
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