Mouloud Hamrouche : l’Homme du consensus acceptable
Le 1er Novembre 2017, le haut commandement militaire algérien déposera l’impotent Abdelaziz Bouteflika et le remplacera par Mouloud Hamrouche, coopté de façon à apaiser les esprits surchauffés, à assainir une période de transition politique, économique, culturelle et écologique.
Cette souhaitable, et cependant improbable sortie de crise par le sommet de la hiérarchie décisionnelle, aurait permis de remettre les compteurs à zéro, de reculer la campagne présidentielle à 2020, de laisser ainsi trois années de réflexion au profit de l’ancien chef de l’Exécutif. İl remplit les cases correspondant au dirigeant pondéré en mesure d’orchestrer pacifiquement un pacte installant dans les meilleures conditions les potentiels et futurs candidats à la magistrature suprême. Ses états de service au sein du Front de libération nationale (FLN), ses connaissances des rouages de l’Armée (ALN et APN), expériences acquises au plus près de Houari Boumediène (dont beaucoup sont toujours nostalgiques), et donc comme Premier ministre, plaident favorablement.
Honnête et compétent, le réformateur est de plus suffisamment libéral pour plaire aux artistes, créateurs et entrepreneurs, voire aux pays européens ou occidentaux espérant l’abandon du 51/49, cette clause conservatoire et restrictive régulant le cadre juridique des investissements étrangers. Appliquée depuis 2009, elle exige une collaboration locale majoritaire dans les agencements participatifs extérieurs, un droit de regard d’entremetteurs au cœur des marchés distributeurs, circuits clientélistes tarissant toutes les dynamiques enrôleuses de plus-values. Convenant aux gardiens inquisiteurs de l’empêchement promotionnel ou pseudogarants de la prépondérance nationale, la règle fragilise davantage la souveraineté du pays, atrophie les élans productifs et imaginations compétitives, sécrète les archaïsmes contraires aux mécanismes de la modernité économique, paraît à ce titre aussi dommageable que l’article 63 (ex-51) de la Constitution imposé là aussi en vertu d’une hypothétique défense des frontières. Le protectionnisme renvoie d’ailleurs aux bornes anti-cosmopolites d’un Programme de Tripoli (mai-juin 1962) à l’origine des enfermements idéologiques, de la montée en puissance de l’unanimisme idéal des fous de Dieu, et, par effets rétroactifs, du nœud gordien que constitue la Concorde civile (qanoun ar-rahma).
Préférée à la catharsis permettant de délier les langues de milliers de traumatisés, l’amnistie-omerta blanchit des psychopathes potentiellement récidivistes et ressemble en définitive à une véritable fuite en avant. Sursis compensatoire, elle a différé ce qui, tel un boomerang, reviendra au centre de la problématique : crever les abcès néfastes au progressisme émancipateur ou demeurer à la remorque du temps et de l’Histoire.
L’option Mouloud Hamrouche correspondrait à un moment de pose, à une plage curative pendant laquelle les Algériens communiqueraient à nouveau, penseraient et panseraient leurs plaies, rancœurs et insatisfactions. Souvenons-nous de la lettre ouverte qu’adressera, le 05 juillet 2016, le dramaturge Slimane Benaïssa à Bouteflika, cela à la suite de l’incarcération arbitraire du 24 juin de l’un de ses enfants. Elle débutait ainsi : "Monsieur le Président, en ces jours sacrés de fin de Ramadhan, entre la nuit du Destin et l’Aïd El-Fitr, jour de paix et de réconciliation, je suis un père inquiet et en colère. İnquiet parce que mon fils, Mehdi (…), est en prison, en colère parce que je ne sais pas exactement pourquoi (…), là j’ai peur, très peur." Finissant par :"Je me rends compte en vous écrivant que je n’avais rien à vous demander, mais (…) envie peut-être de vous parler simplement", la supplique ne s’adressait en vérité pas au locataire de la résidence médicale de Zéralda, physiquement incapable de l’entendre. Elle interpellait plutôt la perspicacité d’autochtones susceptibles d’estimer la portée de son désespoir et impuissance face à la force d’inertie de l’État policier. Le message était par conséquent celui d’un metteur en scène désemparé ne sachant à quel saint se vouer, en quête de publics attentifs, d’un soutien d’écrivains, cinéastes, réalisateurs, plasticiens ou musiciens eux-mêmes démoralisés, malades à la vue d’autant de gâchis hypothéquant l’avenir des possibles auquel croyaient en juillet 1962 les djounoud du développement durable et équitable. Au lieu de cela, des ruses claniques et contorsions en tout genre enrayeront le modernisme transcendantal que devait amplifier une İndépendance censée élever les mentalités et non les assujettir à une seconde domination symbolique aussi castratrice que la précédente.
Les trois années offertes à l’alternative Mouloud Hamrouche pouvaient contredire les schémas purificatoires de Noureddine Boukrouh, décantations reposant, à notre sens, sur des données sociologiques et anthropologiques aléatoires. Le projet de l’adepte des thèses de Malek Bennabi oublie en effet qu’en Algérie le taux de pénétration d’İnternet reste trop faible (derrière le Maroc et Yemen, la Tunisie ou la Syrie) pour rivaliser avec l’armada médiatique à la remorque de la pérennité du régime en place. Nous préconisons à fortiori plutôt une phase de mises en condition pendant laquelle un capitaine aux coudées franches abaissera les digues inhibitrices, instaurera un processus limitant des partis au profil identifié, c’est-à-dire conforme à la réalité des courants existants au sein de la population.
Ces structures choisiraient ensuite, via des primaires télévisées renouant avec les débats de la culture politique, un candidat, lequel serait en course afin de disputer, avec les autres impétrants, le siège convoité. La démocratie ainsi amorcée gagnerait en clarté tant "Bien nommer les choses, c’est ajouter au bonheur du monde" (paraphrase d’une maxime d’Albert Camus). La nuit dernière, nous avons fait un rêve à partager avec les Algériens de la rive méridionale : à eux de le concrétiser (ou pas) en jours meilleurs.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art
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MERCI BIEN
danke schoon