Quel cap pour la sécurité alimentaire de l'Algérie ?
La facture d'importation des produits alimentaire a atteint le montant de sept milliards de dollars entre janvier et août 2017, soit une période de huit mois. Avec un tel rythme, elle dépassera assurément les 10 milliards de dollars à la fin de l'année. Cela tombe très mal, c'est-à-dire au début de la quatrième année de la crise des revenus pétroliers.
Le paradoxe est que, à l'opposé de la politique affichée et mise en branle par les deux gouvernements précédents- Sellal et Tebboune -, relative à la réduction des importations, la facture alimentaire a augmenté par rapport aux huit premiers mois de l'année passée (soit une hausse de près de 500 millions de dollars).
Malgré les multiples soutiens accordés au secteur de l'agriculture, l'Algérie peine encore à esquisser une politique tendue vers ce bel idéal de la sécurité alimentaire, qui a fait objet de séminaires, de journées d'études et même de campagnes électorales. Le montant de la facture d'importation des produits alimentaires- de 10 à 12 milliards de dollars par an - est, à elle seule, assez éloquente pour dire le creux de la vague dans laquelle se trouve la production agricole dans notre pays; cela, abstraction faite des autres importations des intrants agricoles et des moyens de travail (machinisme agricole, outillage, engrais, produits phytosanitaires, vaccins, semences,…).
Il semble que le paradoxe entre les investissements consentis dans ce secteur et les résultats obtenus n'a jamais été aussi saillant. Que la surproduction existant dans certains segments (principalement des fruits) ne fasse pas illusion, vu que c'est là également un résultat d'une distorsion consommée dans la chaîne de la production agricole, dont le maillon de l'agroalimentaire n'arrive pas à se tracer un destin. Les producteurs d'abricots, de la tomate industrielle, et même de la pomme de terre en savent malheureusement quelque chose, eux qui ont été amenés à détruire une partie de leur production en la jetant dans la nature.
Car, les désordres qui grèvent le secteur de l'agriculture ne se limitent pas à la faiblesse de la production et au déficit de diversification de la gamme des produits.
Même si ces deux versants de la problématique sont d'une importance stratégique, les désordres et les faiblesses de ce secteur vont au-delà, en englobant le segment de l'agroalimentaire, le retard dans l'extension des périmètres irrigués, le déficit de technicité et de mécanisation, la perte des terres agricoles rongées par le béton, ainsi que l'instabilité du régime foncier.
Facture alimentaire : dos au mur
La question agricole et le thème de la sécurité alimentaire prennent assurément un relief particulier dans la conjoncture actuelle, faite de lourdes interrogations sur l'avenir social et économique immédiat du pays suite à la crise qui frappe ses finances extérieures.
Notre pays est aujourd'hui sommé d'affronter l'amère réalité de son incapacité à continuer à délier la bourse comme il l'a fait au cours de ces dernières années. Il ne peut plus se permettre une facture d'importation de presque 60 milliards de dollars par an, dont au moins 10 milliards sont réservés à l'alimentation.
Dans ses projections dictées par l'urgence, le gouvernement est tenté par une politique d'austérité budgétaire qu'il n'ose pas afficher directement, sachant que, politiquement, elle est contreproductive. Mais, jusqu'à quand peut-on se permettre de jouer avec les mots, d'évoluer dans l'opacité et de s'obliger à gérer des contradictions?
Au-delà de l'urgence dont le tableau de bord paraît quelque peu brouillé, les autorités politiques du pays sont contraintes de réviser la stratégie économique de fond en comble afin de faire éviter à l'Algérie le pire des scénarios auquel elle échappé au début de ce qui est appelé le Printemps arabe. Justement, au début de cette mésaventure régionale, le gouvernement a tout fait, via l'argent du pétrole et à l'ombre d'un baril à plus de 110 dollars, pour acheter la paix sociale (élargissement de la nomenclature des produits à subventionner, renforcement du dispositif social du pré-emploi,…), tandis que les mesures relatives à la lutte contre l'économie informelle, telle que l'obligation de chèque pour des transactions de 500 mille dinars et plus (prévue pour être mise en application en mars 2011), ont été abandonnées.
Les solutions radicales renvoyées à…la prochaine crise ?
De ce fait, l'Algérie semble avoir négocié les grands virages de crise sociale avec la ruse qu'avait, jusque-là, permise la rente pétrolière. Les solutions radicales que sont censés recevoir les problèmes du pays sont alors toujours renvoyées à…la prochaine crise. Une sorte de cercle infernal et vicieux qui nous a amenés à la crise d'aujourd'hui. Sur l'ensemble des secteurs qui ont pâti de ces atermoiements, celui de l'agriculture est sans doute le plus sensible, entendu qu'il est un facteur de stabilité, de cohésion sociale et de sécurité nationale. En effet, cette notion autrefois réservée au domaine de la défense, de l'armement et du renseignement, recouvre aujourd'hui les données de ce qu'on appelle communément la sécurité alimentaire.
Par les aspects qu'elle entendait secouer et encourager, la circulaire n°108 du ministère de l'Agriculture et du Développement rural, datant de février 2011, montre, en creux, certains handicaps qui ont obéré le développement de l'activité agricole dans notre pays. Il s'agit de l'élargissement de la base productive par de nouvelles concessions agricoles sur le domaine privé de l'Etat, de la création de nouvelles exploitations d'élevage et de la mise en valeur de propriétés privées restées en friche. Ces trois axes sont fortement soutenus par l'Etat sur le plan financier et du conseil technique.
Face à une "tradition" de soutiens dilués dans des circuits interlopes de corruption et de mauvais ciblage, ces nouvelles mesures n'ont pas brillé par des résultats extraordinaires.
Actuellement, d'immenses espoirs sont mis dans les nouveaux périmètres irrigués projetés en aval des grands barrages d'eau réalisés au cours de dix dernières années. C'est là une opportunité pour diversifier la production agricole et "corriger" quelque peu le régime alimentaire basé quasi exclusivement sur les céréales. Cependant, il importe de préparer le terrain dès maintenant, sur le plan de la formation technique (en irrigation/drainage, en maraîchage, arboriculture fruitière, pépinière,…) et de la formation managériale dans la conduite d'une exploitation agricole. De même, les bassins versants des barrages à exploiter sont souvent dénudés. Le risque d'envasement est bien réel. L'Etat devrait rechercher les meilleures solutions d'aménagement de ces bassins, à commencer par régler le problème de la nature juridique de ces vastes superficies qui s'étendent sur des dizaines de milliers de kilomètres carrés. Car, les expériences menées jusqu'ici en matière d'aménagement ont presque toutes échoué.
La diversification du régime alimentaire commande également la maîtrise de la filière de l'élevage. Ici, le constat le plus indulgent est que le territoire privilégié de l'élevage ovin, à savoir le couloir des Hauts Plateaux, appelé jadis "zone du mouton", a montré ses limites sur le plan de l'offre fourragère, éreinté par un surpâturage de l'élevage extensif.
Au lieu d'une politique pastorale intelligente, avec tous ses attributs d'élevage intensif, de mobilisation de l'hydraulique pastorale et de création de prairies, on continue à entretenir un élevage artificiel, hors sol dans les périodes de disette, par la distribution de milliers de tonnes d'orge subventionnée, laquelle subvention entretient des réseaux de corruption, via des barons locaux alliés de la bureaucratie.
Avec un minimum de volonté et d'audace politiques et une vision intelligente sur les enjeux de l'heure, le prix de la sécurité alimentaire peut être moindre que toutes les dépenses consenties jusqu'à présent dans des soutiens hypothétiques aux différentes filières, interceptés par les réseaux de corruption, ou à des subventions inefficaces, car généralisées et uniformisées.
Amar Naït Messaoud
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merci
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