Ramtane Lamamra médiateur international ou la nomination qui interroge
Ramtane Lamamra est nommé au Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation de l’Organisation des Nations unies (ONU). Comment en effet expliquer cette irrésistible désignation de Lamamra ? Non reconduit dans ses fonctions de "coadministrateur" des affaires étrangères avec Abdelkader Messahel, Lamamra est semble-t-il, littéralement bombardé auprès de l’ONU.
Le Secrétariat général de l’Onu a annoncé le 13 septembre 2017, la création d'un Conseil consultatif de haut niveau sur la médiation afin de lui donner des conseils sur les initiatives de médiation et de soutien aux efforts de prévention et de paix à travers le monde. De plus, ce Conseil devrait permettre aux Nations unies de travailler plus efficacement avec les organisations régionales, les Organisations Non-Gouvernementales (ONG) et d'autres acteurs impliqués dans la médiation. C'est un secret de Polichinelle que la nomination de Lamamra obéit à des considérations d'ordre politique dictées par le rapport de forces, au sein de l’organisation internationale.
Jusqu'à récemment, la diplomatie bipolaire (Lamamra et Messahel) n’a offert aucun exemple de sérénité ni d’unité dans la prise de décision à l’échelle de la région. Devant toutes les actions positives de médiation de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la diplomatie algérienne a attendu que le fruit mûr de la médiation malienne lui tombe dans son escarcelle. ll est important de noter que la Cedeao a soutenu la médiation dans la crise malienne, entre 2012 et 2013 avec la signature, le 6 avril 2012, de l’Accord-cadre pour le rétablissement de l’ordre constitutionnel sous les auspices du Burkina Faso, médiateur de la CEDEAO. Aussi est-il utile d’indiquer les efforts de médiation constructive de la Cedeao qui ont permis en particulier la conclusion de l’accord significatif du 18 juin 2013 :il s’agit d’un accord préliminaire à l’élection présidentielle et aux pourparlers inclusifs de paix au Mali, signé entre le gouvernement d’union nationale de transition du Mali, d’une part, et la coordination du Mouvement Nationale de libération de l’Azawad (MNLA ) et du Haut Conseil pour l’Unité de l’Azawad (HCUA) d’autre part.
C’est dans un contexte régional particulier, que la diplomatie algérienne a ensuite pris le flambeau de la médiation au dialogue malien. Toutefois, Ce n’est pas la première fois que Lamamra prend en charge le dossier malien. Il est important de rappeler que Ramtane Lamamra a occupé la fonction de secrétaire général du ministère des affaires étrangères d’Août 2005 à Juillet 2007 : période qui a vu l’élaboration et la signature de "l’accord d’Alger pour la restauration de la paix, de la sécurité et du développement dans la région de Kidal", le 4 juillet 2006. Cet accord a été signé entre le gouvernement malien et l’Alliance Démocratique du 23 mai 2006 pour le Changement. Le régime politique a joué le rôle de facilitateur.
Cependant, quel bilan faut-il dresser de l’engagement de la diplomatie algérienne à trouver une réponse politique, à cette énième crise qui secoue le septentrion malien, alors que la conférence d’entente nationale (CEN) mentionne notamment dans son rapport du mois d’avril 2017 que la signature de cet accord "supposée apporter des corrections utiles n’a pas pu éradiquer les clivages sociaux ni les reconfigurations tribales dans l’Adagh des Ifoghas (Kidal)" ? L’accord d’Alger de 2006 a rencontré des résistances : les assauts des rebelles et de groupes armés se sont intensifiés en 2007, entrainant une perte progressive de contrôle sécuritaire au Mali. La Conférence d’Entente Nationale (CEN) est une disposition de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation au Mali signé le 15 mai 2015 et parachevé le 20 juin 2015. Le contexte de la tenue de la Conférence d’Entente nationale est celui de la période intérimaire prévue dans ledit Accord. Cette conférence s’est tenue du 27 mars au 2 avril 2017 à Bamako (Mali). Il est mentionné également dans ce même rapport général de la CEN une "insuffisance du niveau de mise en œuvre des Accords de paix précédents et de leur suivi-évaluation" parmi les causes des différentes crises relevées. En outre, il faut se souvenir que l’ancien chef de la diplomatie Lamamra a forgé l’expression "l’Algérie est un exportateur de sécurité et de paix", une expression aberrante qui fera date dans l’histoire de la diplomatie algérienne car n’en déplaise aux défenseurs zélés du parcours diplomatique de Lamamra, c’est l’intervention militaire française qui a permis de créer les conditions d’une médiation internationale en 2012 et non l’armée algérienne, restée le long des frontières.
La lecture de ce rapport intitulé "Actes de la conférence d’entente nationale" devrait inciter l’ex-ministre Lamamra et les hauts fonctionnaires des ministères de la Défense et des Affaires étrangères à réfléchir sérieusement sur l’avenir de la politique étrangère du pays. Ces technocrates savent-ils lire autre chose que le communiqué du Conseil des ministres et les pages sportives des journaux ? Il n’y a qu’à voir le mépris avec lequel le ministère algérien des Affaires étrangères traite les langues africaines. Aucune analyse diplomatique des enjeux de l'écriture et de l'édition en langues africaines, alors que le régime algérien se targue d’être à l’avant-garde pour la promotion de l’unité africaine. Que dire aussi du traitement raciste que subissent en Algérie les migrants d'Afrique ?
La question touareg
Pourtant les autorités se proclament toujours "l’ami du Mali". Avec le risque qu’un affrontement intercommunautaire ne se généralise dans les wilayas frontalières du Mali et du Niger, la question touareg refait surface avec un rapport qui accable le régime politique algérien et ses tactiques diplomatiques de court terme. Malgré le renouvellement des fausses assurances de Lamamra, le rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat français, sur l’aide publique au développement au Sahel, enregistré à la présidence du Sénat, le 29 juin 2016 mentionne que "le trafic de produits alimentaires algériens dans le nord-est du Mali est à ce point développé qu’il constitue pour l’Algérie un moyen de pression politique sur les Touaregs". Les trafics proviennent d’abord des différences de prix entre marchandises de part et d’autre des frontières. L’essence et les marchandises alimentaires subventionnées en Algérie sont ainsi acheminées vers le nord-est du Mali, le septentrion mauritanien et, de façon moins importante, vers le Niger. Ce trafic est fréquemment connu et toléré par les États. En plus des marchandises alimentaires et de l’essence, "il existe un important trafic d’armes légères du fait du grand nombre de conflits ayant eu lieu dans la région au cours des dernières décennies au Sahara occidental, au Libéria et en Sierra Léone, en Casamance, en Algérie, au Niger et au Mali, etc. En outre, des armes des armées régulières sont récupérées par les groupes armés." Le régime politique algérien a été incapable d’assumer pleinement ses responsabilités de partie prenante au destin de cet espace géostratégique sensible. Sa diplomatie est frappée d’impuissance de définir une voie dans la complexité du conflit malien. Afin de consolider la coordination et les capacités des Etats du Sahel dans la lutte contre le commerce illicite des armes, l’Algérie n’a toujours pas signé le traité sur le commerce des armes de l’Onu, qui est entré en vigueur le 24 décembre 2014.
Néanmoins, ce n’est pas le seul enjeu géopolitique qui attend le pays. De mon point de vue, l’avenir du régime politique algérien se joue en partie à Kidal. En effet, plusieurs rapports et analyses ont pointé du doigt le rôle troublant du régime politique algérien au Mali : l'adoption, le 05 septembre 2017, de la résolution 2374 (2017) sous le chapitre VII, par le conseil de sécurité de l’Onu instaure le cadre juridique d'un régime de sanctions contre les auteurs d'actes entravant la mise en application de I'Accord de paix. Cette résolution a pour objectif principal la résolution efficace des types d’obstacles sous tendant la mise en œuvre de l’Accord, alors que la situation au Nord-Mali reste tendue. Le septentrion malien abrite trois villes qui reflètent les spécificités géographiques de la région : Gao, Tombouctou et Es-Souk. Devenue capitale de l’Adagh, Es-Souk a été le creuset de la culture touareg. Cette cité historique d’Es-Souk, appelée aussi Es Souk-Tadamakat, se situe à 45 km au nord-ouest de la ville de Kidal. De sévères affrontements et combats ont éclaté entre la Plateforme des Mouvements du 14 juin 2014 d’Alger (la Plateforme) et la Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA), depuis plusieurs mois dans les régions de Kidal notamment et aucun accord n’a été conclu concernant le partage du pouvoir entre les régions. Selon le dernier rapport sur la situation du Mali, du secrétariat général de l’ONU, soumis au conseil de sécurité le 28 septembre 2017 "L’absence de progrès dans la mise en place d’autorités intérimaires et la création de mécanismes opérationnels de coordination à Kidal et Tombouctou envoient un message erroné". Autre défi qui attend le régime politique algérien : le fonctionnement efficient et I'opérationnalisation effective de la force conjointe du G5 Sahel pour lutter contre le terrorisme, le crime transnational organisé et le trafic de migrants. Selon la présidence du G5 Sahel, les premières opérations de la Force conjointe débuteront ce mois d'octobre 2017. Va-t-on assister à une réorganisation géographique de l’outil militaire algérien ? Face à tous ces défis, le ministre des Affaires étrangères, Abdelakder Messahel, va-t-il pratiquer une diplomatie active ou continuer à exercer la diplomatie hôtelière ? Il est important d’indiquer qu’il n’y a pas de concours d’entrée pour être admis au conseil de médiation de l’ONU.
Mohamed-Salah Benteboula, géographe
Commentaires (21) | Réagir ?
merci
danke schoon