Le PCA/PAGS et les 81 années de dérives idéologiques (II)
Lors d’un de ses congrès tenu à Alger, le PCA a élu Amar Ouzegane comme Secrétaire du parti, aux côtés de Benali Boukort et de Jean Barthel.
"Pour une Algérie libre et heureuse… "
Un congrès qui a rassemblé 129 délégués sur les 5000 adhérents, dont 62 Arabes et 67 Européens (Français, Italiens et Espagnols). Nous sommes à l’heure du Front populaire et de la primauté du combat antifasciste, face à la question nationale algérienne. Un congrès qui appelait à "l’union, de la vie heureuse" d’entre les peuples de France et d’Algérie, pour ne pas dire ceux de France et de Navarre !
Lors de ces travaux, le PC d’Algérie adressa un long manifeste au peuple pour une Union populaire, croyant qu’il était en mesure de mener une lutte populaire contre le nazisme et le fascisme, tout en oubliant que la question fondamentale en Algérie reste la contradiction qui subsiste entre un peuple algérien soumis et appauvri par une colonisation porteuse du drapeau tricolore de la Révolution bourgeoise française et cela dans ses formes et manifestations, tant idéologiques, politiques, économiques, que culturelles.
En voici quelques passages de cet appel :
"Sans doute, la victoire du Front populaire a apporté un soulagement à notre sort. L’étreinte d’oppression s’est desserrée. Mais les forces du colonialisme et du fascisme nous maintiennent dans la misère en sabotant les lois sociales et les accords sur les salaires.
« Le fascisme qui écrase sous nos régime odieux nos frères d’Allemagne et d’Italie, s’est aussi révélé l’ennemi le plus féroce des peuples coloniaux. Nous savons les souffrances imposées par la dictature fasciste de Rome au peuple tripolitain, que nous saluons. Nous nous élevons contre les prétentions belliqueuses d’Hitler et nous stigmatisons l’odieux Franco qui fait couler le sang du peuple espagnol et celui de nos frères marocains abusés dans une guerre contraires à leurs intérêts.
« …Nous, communistes algériens, nous nous inspirons des grandes traditions républicaines et révolutionnaires du peuple français, nous reprenons les nobles et glorieuses traditions de culture et de liberté du peuple d’Algérie. »
Et le texte conclut sur l’énumération des revendications détaillées pour que chacun en Algérie,
« Puisse manger à sa faim, pour la conquête des libertés et pour la paix, pour une Algérie libre et heureuse, fraternellement unie au peuple français. »
Le PCA travaille donc, à l’amélioration du sort des populations laborieuses « européennes et arabo-berbères d’Algérie » dans le cadre d’un soutien confiant et appuyé au gouvernement du Front populaire.
En pleine défaite de la patrie coloniale et la capitulation française devant les Panzers nazis, nous retrouvons le PCA, en train de lancer un Manifeste du Parti Communiste Algérien, (La Lutte sociale, N°1 (Nouvelle édition), du 1/11/1940) et dans lequel il réclame l’indépendance de l’Algérie, afin de constituer dans notre pays :
« Un gouvernement démocratique algérien désigné par l’ensemble du peuple Algérien, formé de tous ceux qui contribuent à la prospérité générale du pays quelle que soit leur race ou leur religion, dans l’égalité totale, absolue. »
Nous sommes loin du discours revendicatif et révolutionnaire des nationalistes de l’époque. Nous sommes bien dans des propos de la social-démocratie, fraternelle et humaniste. La situation coloniale en Algérie se noie dans une pseudo-identité nationale, fraternisant oppresseurs et oppressés. Il y a eu dans le parcours du PCA, une mémoire heureuse de la période coloniale. Une mémoire qui se conjugue aussi au présent, celle des héritiers soutenant les « bourgeoisies nationales » métamorphosées en compradores, vendant à l’Impérialisme guerrier, ce qui reste du pays.
Une mémoire partielle
Depuis sa création en 1966, après une brève reprise du PCA, et sa scission avec l’ORP (1965), le PAGS n’a cessé de servir la fierté nationale, en reconstruisant un passé « idéal » du combat des communistes. Mais, en dégageant de la manière la plus sélective, une sorte de mémoire partielle qui engage sa visée politique à chaque moment de son histoire. Avec une littérature commémorative des figures du communisme algérien, le PCA-PAGS se créer une nouvelle identité, fabriquer sur la base d’un héritage réintégrant la normalisation du passé revisité, réactualisé et enfin momifié, pour en créer un mythe civique.
Ce dernier est caractérisé par une certaine précision de l’expérience du temps et de vouloir récupérer une mémoire éparse, entaché d’erreurs, de dérives et de collaboration de classe. Au mythe, l’histoire et l’orientation du temps forment une réponse à cette trajectoire militante des plus amalgamée. C’est ainsi que nous citerons le texte qui annonçait la mort de Kaddour Belkaim, secrétaire du PCA, le 27/07/1940. Un texte nécrologique, paru dans la Lutte sociale du 30/07/1940 et qui est des représentatif de cette trajectoire temporelle entre le PCA et le PAGS :
"Kaddour Belkaim a été assassiné. Notre camarade Kaddour Belkaim, secrétaire du PCA est mort faute de soins à l’hôpital Maillot le 27 juillet dernier. Il fut arrêté en août, sans motif. C’est tellement vrai qu’en juillet il n’était pas encore jugé, car il n’y avait aucun motif d’inculpation. Atteint d’une maladie d’estomac on l’a laissé sans soin pendant des mois et même après avoir été hospitalisé, il n’a eu que des soins intermittents. En le laissant mourir, alors qu’elle encensait le triste renégat Benali Boukort, l’administration savait qu’elle assassinait un fils fidèle du peuple algérien, un lutteur courageux, un Bolchevik dont elle craignait l’influence.
Notre Parti communiste algérien fier de Kaddour, entend signifier à la bourgeoisie qu’il fera ce que Kaddour aurait fait : Il poursuivra la lutte jusqu’à la victoire."
Un texte qui forme un parallèle cyclique entre deux dirigeants d’une même structure politique, traversée par deux lignes idéologiquement divergentes. Le "renégat" dont il est question, n’est autre que le Premier secrétaire du PCA depuis sa création à 1939. Tl rompe avec le communisme et dénonce le Pacte germano-soviétique, sans en saisir la portée de l'événement, et rejoint les nationalistes du PPA, qu’il avait dénoncé auparavent comme fascistes liés au PPF. Se retrouvant en liaison avec le capitaine Schoen, des services secrets français, il collabore à l’Action algérienne, organe clandestin du PPA interdit. En 1946, il rejoint l’UDMA de Ferhat Abbas qu’il quitte une année après, pour retourner au MTLD de Messali Hadj, et cela jusqu’en 1954. Arrêté puis libéré en 1957, il optera pour un exil forcé en France où il rejoint le MNA et y demeure jusqu’à l’indépendance politique.
Une tumultueuse histoire d’un des pères du communisme en Algérie, aux côtés de Amar Ouzegane qui rejoignit le camps nationaliste pour bien d’autres convictions,. Le revirement politique de ces cadres ou encore les prises de positions de certains d’autres, en contradiction avec la ligne générale du PCA, incombe aux dirigeants du PCF qui ont pratiqués la politique du dirigisme paternaliste, issue de leur refus d’appliquer les directives des différents Congrès de la IIIe I.C. et du Komintern par la suite. Le PAGS et sa cellule parisienne (PADS) formeront la consécration de cette ligne suiviste et révisionniste.
Aujourd’hui et devant la disponibilité des archives du PCA-PAGS, le secteur historiographique n’est-il pas en mesure de revoir ce parcours croisé du PCA-PAGS ? Au-delà d’une simple comparaison, les sources nouvelles ne nous permettent-elles pas d’étudier la trajectoire du communisme algérien en le situant dans une dimension régionale (Tunisie et Maroc), voire continentale aux vues des "dégâts" qu’a causés le PCF dans les rangs des militants(es) syndicalistes et politiques. Il est certainement primordial de proposer des pistes de recherches en ce sens, afin de décrypter les tendances et les attitudes des militants et cadres, tels Boukort (PCA), Ouzegane (ORP-PAGS) et Zenine (PADS). Plus que des individualités, ils répondent bien à un devoir de mémoire. (Fin)
M.K. Assouane
Université d’Alger-2.
Notes
1- Interactions entre théorie et pratique dans le mouvement communiste algérien des cinq dernières décennies, Sadek Hadjeres, premier secrétaire du PAGS d’Algérie (Parti d’Avant-Garde Socialiste d’Algérie, clandestin) de 1966 à 1990 et chercheur en Géopolitique (Université Paris VIII).
(Contribution au colloque international pour le 150ème anniversaire du Manifeste à Paris, 1998).
Commentaires (7) | Réagir ?
جزاكم الله خيرا
جزاكم الله خيرا