"Les Arabes et les Amazighs", dites-vous M. Boukrouh ?
Notre propos n’est pas d’entrer dans la polémique actuelle entre les ministres, les premiers ministres, les ex-ministres, les ex-candidats à la présidentielle, les partants, les revenants, etc.
Les Algériens ne sont pas intéressés par ces "combats de coqs" du même poulailler, ils attendent, à notre avis, une seule chose : le grand ménage pour que le pays puisse enfin reprendre le cours interrompu de son histoire multimillénaire.
Dans une récente interview au quotidien El Watan, Noureddine Boukrouh avait déclaré ceci : "On ne modernisera pas les musulmans, et en particulier les Arabes et les Amazighs, si on ne modernise pas l’islam [...] on réalise que sans une réforme intellectuelle et psychologique sans précédent, les Arabes et les Amazighs resteraient les derniers, en queue de peloton".
Il y a une terrible ambiguïté dans ses propos : s’il préconise la révolution islamique dans les pays musulmans, alors il devrait mentionner d’autres peuples musulmans, pas seulement les Arabes et les Amazighs, et d’abord le plus grand d’entre eux : les Indonésiens, puis les Perses, Malais, Chinois, Turcs, Azeris, Soudanais, Nigerians, Afghans, Pakistanais, etc.
Ou bien, il s’occupe de l’Algérie, dans ce cas cela prouverait que notre ex-ministre ne connaît pas suffisamment l’histoire de son pays. Il n’est pas le premier, et la liste des négateurs est longue concernant l’identité et l’homogénéité de notre pays.
Dès 1962, Ahmed Ben Bella, aussitôt libéré, déclara à Tunis : "Nous sommes Arabes, nous sommes Arabes, nous sommes Arabes". Il se ravisa en 1982, en déclarant au journaliste qui l’interviewait : "Je suis Amazigh, l’homme qui vous parle, Ben Bella, est Amazigh". Mais le mal est fait. On apprend par ailleurs que c’est ce même Ben Bella qui avait donné l’ordre, dans l’euphorie de l’arabisation, de détruire le seul jeu de caractères tifinagh qui se trouvait en 1962 à l’imprimerie nationale (1).
Ahmed Taleb Ibrahimi avait fait appel au pouvoir magique attribué à la religion musulmane qui transforme un peuple en un autre peuple. Il disait à peu près ceci : "Nous sommes des Berbères plus ou moins arabisés par l’islam". La magie s’appliqua, selon lui, aux Amazighs qui seraient devenus des Arabes mais pas aux Turcs, Iraniens, Afghans, Indonésiens… Les "erreurs" reconnues par cet homme en 2012 ne réparent pas les dégâts de 50 ans de négation et d’arabisation chauvine (2).
Houari Boumédiène, quant à lui, avait fait table rase de l’identité de l’Algérie. Il voulait inventer un homme nouveau arabo-islamique et socialiste, et le sacrifice de l’amazighité avait été programmé au premier festival panafricain de juillet 1969 : tous les pays, toutes les cultures, toutes les langues de l’Afrique étaient rassemblées à Alger pendant deux semaines, elles se sont exprimées sur les places et les salles d’Alger, sauf tamazight.
Chadli Bendjedid avait été plus expéditif, dans cette époque de l’import-import. "Les Amazighs viennent du Yémen, ce sont donc des Arabes" !!! Rien que ça ! circulez, il n’y a plus rien à voir. "L’homme du Yémen" avait déclaré la fin de l’Histoire et du dernier Amazigh.
Un ex-candidat à la présidentielle de 2014 avait ressorti la théorie de la nébuleuse, dans laquelle notre pays serait l’amalgame de "religions, de langues et de tribus" (3). C’était du réchauffé du discours colonial qui voulait amalgamer les "musulmans", les Alsaciens, les Maltais, les Espagnols, les Corses, pour fabriquer un nouveau peuple algérien français. C’était cela la politique dite algérianiste. Au 2e siècle avant J.-C., la Numidie était déjà un pays organisé, souverain, qui entretenait des relations diplomatiques avec ses voisins et commerçait avec d’autres nations. Des plaquettes/bons de livraisons de produits divers livrés par bateaux pour la ville d’Athènes nous sont parvenues (4).
Beaucoup d’autres mercenaires ont contribué au désastre identitaire de notre pays dans un seul but : faire de notre nation une nation sans identité, sans histoire et sans culture, afin de l’arrimer à la péninsule arabique et à la mythique "nation arabe".
"Les Arabes et les Amazighs" ?
Ce qui est nouveau dans cette nouvelle affirmation de Noureddine Boukrouh, "les Arabes et les Amazighs" , c’est l’introduction de la distinction : il y aurait dans notre pays des Arabes et des Amazighs ?
Le rédacteur des discours présidentiels aurait même pu reproduire la nuance scélérate introduite dans la constitution à propos des langues officielles de l’Algérie, et écrire "les Arabes et [également] les Amazighs".
Cette approche est nouvelle et elle pose problème, un gros problème.
Il est nécessaire de la clarifier : en Algérie il y aurait donc deux peuples sur un même territoire ? L’un est le peuple colonisateur (le peuple arabe qui vient d’Arabie), l’autre le peuple colonisé (le peuple amazigh, autochtone depuis des millénaires).
Nous serions donc aujourd’hui dans le schéma classique de domination coloniale ?
M. Boukrouh est interpellé. Il ne peut laisser cette ambiguïté sans clarification.
Aumer U Lamara
Notes :
(1) Monde diplomatique N°761, Août 2017, "Mille et une résistances à l’alphabet latin", page 14.
(2) "Je disais toujours que nous avons commis une erreur après l'indépendance du pays, quand nous avons attaché le discours national à celui de l'identité, en insistant seulement sur l'arabité et l'islam, négligeant l'amazighité" (interview d’Ahmed Taleb à El Khabar, janvier 2012).
(3) "L’identité de la Nation algérienne s’est construite, à travers les siècles, par l’apport des différentes religions et langues, des différentes tribus venues en asile ou en envahisseur, par les résistances aux occupants …" (Ahmed Ben Bitour, plateforme politique, 2014).
(4) Lire les ouvrages de Mouloud Gaïd entre autres, Les Berbères, tome I à VII, Agellids et Romains en Berbérie, etc.
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merci
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