Mémoires de Belaïd Abdesselam, mémoires d'un intellectuel de pacotille !
Il y a des assassins qui, au crépuscule de leur vie, se justifient par des mémoires car ils s'expliquent et implorent le pardon. Beaucoup d'entre eux ont payé à la société le prix de l'infamante incarcération, souvent très longue. Mais Belaïd Abdesselam, lui, vient glorifier son passé, avec culot et ostentation. Cet intellectuel de pacotille se fait rédiger son livre par des "nègres littéraires", une position d'esclavagiste qui correspond tout à fait à sa carrière, au moins une cohérence à mettre à son crédit.
Pourquoi un assassin ? Le droit pénal reconnaît l'assassinat comme un crime alourdi d'une préméditation et organisation assumée. Certes, personne ne l'accuse d'un crime perpétré de ses propres mains mais il n'est pas difficile de prouver qu'il les a "tous" perpétrés car c'est ainsi que l'on qualifie également ceux qui sont les responsables qui ont armé et guidé la main de l'assassin.
Monsieur Belaïd Abdesselam fut le grand prêtre de l'industrie algérienne et donc, le grand argentier des milliards de dollars issus des revenus pétroliers, à une époque où ils furent florissants. Pas un contrat, pas un dollar du marché de l'économie lourde ne lui échappait.
L'homme était craint, courtisé et on s'agenouillait devant sa personne. Il faisait et défaisait les carrières, il a participé à des enrichissements colossaux et quiconque osait le contredire d'un mot, d'un seul, et le malheureux disparaissait, au sens propre comme au sens figuré.
Monsieur Belaïd n'avait qu'une crainte, celle de mon prénom et celle des colonels (devenus généraux) dont il était totalement inféodé. Un battement de sourcil de ces derniers, un mot ou un frémissement des Ray Ban et il aurait disparu, au sens propre comme au sens figuré.
L'homme est le symbole du larbin de la dictature militaire et de la puissance financière algérienne qui a mis à genoux ce peuple. On nous parle toujours des avancées économiques, jamais de l'horrible barbarie et corruption de ce régime. Et on oublie de rappeler que cette puissance financière appartenait au peuple, il n'en a eu assez que pour s'abrutir avec l'éducation nationale, vivre autant que possible ou s'enrichir pour ceux qui avaient compris que le maître était toujours à cajoler.
Tant qu'il ne s'occupait pas des grandes décisions politiques, ses commanditaires lui laissaient tout loisir de la posture du pouvoir. Dès lors que les revenus s'accumulaient pour eux et que le serviteur se rappelait toujours à leur puissance tutélaire, il ne risquait rien et pouvait jouer au patron de l'économie. Monsieur Abdesselam a parfaitement joué le jeu, preuve en est de sa longévité au sein de l'immense ministère dont il avait la charge puis dans sa promotion ultérieure.
Cet assassin nous nargue aujourd'hui de ses mémoires, sans honte. Je m'en vais lui rappeler la mienne, de mémoire, et comme nous avons vécu la même période, j'en attends pour le moins que les souvenirs communs soient mentionnés dans son livre.
Monsieur Belaïd a certainement mentionné dans ses mémoires la présence de cette organisation d'intellectuels, performante et dévouée au peuple, jour et nuit, en tout endroit, jusque dans l'intimité des algériens. Un livre de mémoires de cette époque sans évoquer la « sécurité militaire », c'est comme si Napoléon en écrit un et qu'il oublie d'évoquer la bataille de Waterloo.
Il s'est certainement rappelé qu'à cette époque, il y avait des phénomènes inexpliqués. Des opposants pendus avec leur cravate dans des hôtels à l'étranger. Des hurlements d'horreur et de douleur dans les prisons, gérés par ses amis intellectuels. Des disparitions de pères de famille que les enfants ont embrassé au pas de la porte pour ne jamais plus les voir revenir. Et ainsi de suite...
Il va enfin nous expliquer ce phénomène curieux qui aboutissait à une seule opinion, une seule parole, de la presse comme des foules. Pourquoi les gens applaudissaient, debout et dans le même rythme, à chaque proposition. Il va nous expliquer enfin pourquoi il n'y avait pas d'opposition. Quelle est cette compétence miraculeuse qui était la sienne ?
Qui sait, cinquante ans après, cet homme est peut-être persuadé qu'il était doué, admiré et acclamé pour ce qu'il apportait au peuple. La démence, après tout, est très ordinaire dans l'humanité. Il y a tellement de choses troublantes que Belaïd va nous expliquer ce que la nouvelle génération est impatiente de lire dans son chef-d’œuvre. Mais pas moi, Belaïd ! Il m'excusera de l'appeler par l'intimité de son prénom mais, après tout, c'est lui qui s'est invité, tous les jours, dans nos salons. Pas question de voir le film ou le match de la soirée avant d'écouter le discours de Belaïd, de voir l'inauguration du jour de Belaïd ou d'entendre égrener, avec images, l'agenda quotidien de Belaïd. Et lorsque ce n'était pas Belaïd, c'était son chef, Boumédiene, et lui à côté.
Mon cher Belaïd, tu fus notre quotidien malgré nous car tes copains intellectuels nous écrivaient notre programme de la journée, celui de nos pensées et celui de notre soirée télévisée. Il n'y avait d'ailleurs qu'une chaîne. Alors, permets-moi de t'appeler Belaïd, c'est impossible autrement, vu notre intimité forcée qui fut la notre.
Droit dans les yeux et franchement, mon cher Belaïd, tes amis cajoleurs ne sont plus là, tu n'allais pas croire que j'allais lire ton livre, n'est-ce pas ? Dans ce cas, c'est que tu es vraiment sénile, l'histoire le pendra en compte pour alléger le souvenir atroce que tu as laissé à l'humanité.
Tu m'as manqué Belaïd, cela fait au moins trente cinq ans que je n'ai pas eu de tes nouvelles. J'espère que le temps nous accordera le privilège de nous revoir dans une salle de tribunal, avant notre disparition. Mais, comme ce sera toujours toi le grand patron, j'aurai la politesse de te laisser le siège qui surplombe la salle, à gauche des juges, celui des accusés.
Et n'oublie pas d'emporter ton livre en enfer car si ton CV est déjà digne d'une belle place, tu auras peut-être une place de VIP, aux côtés de ton petit camarade en fauteuil roulant. Et pardonne-moi si je ne lis pas ton livre, même dans le lieu d'aisance intime où la lecture s'invite parfois. Quant à m'en servir dans cet endroit, j'attends d'un certain papier qu'il nettoie, pas qu'il laisse une trace de sang à chaque page.
Sid Lakhdar Boumédiene
Enseignant
Commentaires (18) | Réagir ?
merci
جزاكم الله خيرا