Comment Ouyahia a mis le couteau sous la gorge des députés
Aussi bien dans la mouture de son projet de plan d’action distribué à la presse bien avant sa présentation officielle devant les députés de la nation, que dans son discours du 17 septembre, le nouveau Premier ministre a tracé un tableau très sombre de la "conjoncture financière du pays" et l’attribue à la baisse des recettes due à la chute drastique du prix du baril.
Bien que le style a été politiquement correct ,voire très respectueux vis-à-vis des détracteurs de sa démarche, les chiffres et les arguments avancés ne reflètent pas la réalité. Pour Ahmed Ouyahia, parmi les pays exportateurs de pétrole, seule l’Algérie a réussi à résister à la chute drastique du prix du baril depuis 2014. Cette résistance a été possible grâce à trois principales mesures prises par le président de la république, estime-t-il. Il s’agit par ordre, du remboursement anticipé de la dette extérieure qui était supérieure à 20 milliards USD en 2005, accompagné d’une prohibition totale de recourir à d’autres emprunts. La deuxième a été la création du Fonds de Régulation des Recettes pour accueillir l’épargne du Trésor. La troisième mesure a été de garder jalousement les réserves de change et s’interdire à les utiliser comme un fonds souverain malgré l’avis favorable de plusieurs experts nationaux et d’ailleurs.
Il reconnait cependant que ces réserves sont redescendues de moitié en à peine 2 ans et demi pour passer de 200 milliards USD à 100 milliards aujourd’hui. Il a annoncé un chiffre de près de 50 milliards USD que le Fonds de Régulation des Recettes a récolté pour le compte de Trésor public jusqu’en 2012. Ce fonds est totalement à sec depuis le début de l’année.
En s’interdisant de recourir à l’endettement extérieur pour ne pas renouer avec les conditionnalités du FMI, il ne restait selon lui que la planche à billets pour combler le déficit budgétaire qui a atteint 20 milliards de dollars en 2016.
Il est prévu, en dépit d’une politique d’austérité orientée vers une restriction des importations, de le voir descendre encore à 11 milliards de dollars d’ici à 3 mois.
1- Sur les zones d’ombre
Il est difficile de savoir si les députés qui l’écoutent sentent les difficultés quotidiennes comme tous les citoyens, mais dans cette affaire de la chute des prix du baril, l’Algérie a bouffé toutes ses dents. Plus de 150 milliards de dollars de perte sèche sans compter les conséquences sur les prix qui se sont répercutées sur le consommateur suite au contingentement des produits pour limiter les importations et la dévaluation implicite du dinar qui a perdu près de 40% de sa valeur en deux ans et demi.
A titre d’exemple, un importateur qui avait l’habitude de donner une contre-valeur en dinars 106 000 DA pour 1000 euros, il en donne aujourd’hui 135000 DA. Cette différence, il la répercute sur le consommateur qui, lui, n’a eu aucune augmentation de ses revenus, donc son pouvoir d’achat s’est détérioré.
Le prix des véhicules est un exemple édifiant. Parmi les autres pays exportateur du pétrole, cette situation au contraire leur a ouvert les yeux pour réfléchir sur des stratégies de diversification de leurs économies et de leur indépendance des hydrocarbures. L’Arabie Saoudite assume sa responsabilité dans cette chute du baril pour s’être attaqué aux producteurs américains de gaz de schiste dans le seul but de récupérer ses parts de marché. Le Saoudien moyen n’a pas été touché dans son quotidien malgré un déficit de plus de 100 milliards de dollars en 2016. La monarchie des Saoud n’a pas opté pour la planche à billets mais a réussi impeccablement son emprunt obligataire pour financer ses projets en souffrance. C’est un pays qui investit massivement dans les nouvelles technologies. Enfin, il a aussi les rentrées considérables du tourisme religieux.
Le Qatar quant à lui n’a annulé aucun projet. Il a habillement réussi à combler son déficit par les rentrées de ses placements dans le monde. Il a même pu raviver des projets initiés par l’Algérie comme la production de la silice pour les panneaux solaire et plus grave avec des cadres Algériens.
Le Venezuela a eu recours à la planche à billets comme appoint à d’autres sources de financement de ses dépenses. Il a réduit drastiquement son train de vie. Le président Maduro a remis son salaire au Trésor public suivi par l’ensemble des députés. Sa difficulté actuelle est d’ordre politique. Enfin, le 19 septembre une dépêche de l’AFP avait annoncé que la Norvège a bouclé le millième de milliard de son fonds souverain, ce qui revient à près de189 000 dollars pour chacun des 5,3 millions de Norvégiens et rapporte à l’Etat plus de 50 milliards de dollars. Il était donc plus raisonnable de regarder sa bosse avant de rire de celle des autres.
Pour ce qui concerne les chiffres, le Fonds de la régulation des recettes a réussi à combler le déficit depuis sa création en 2000 et récolté plus de 50 milliards de dollars début 2012. Si depuis 2014, les réserves de changes se sont occupés du déficit commercial, ce fonds a continué à être alimenté sauf en 2016 lorsque le prix moyen du Sahara Blend a affiché moins de deux dollars du prix prévisionnel qui a servi pour établir le budget de l’Etat. Sinon de 2012 à 2017 les prix moyens annuels ont été respectivement de 123,55 $, 110,44$, 99,52$, 56,40, 48,00 $, 54,76$.
La chute des prix du baril en 2014 n’était pas une surprise mais exigeait une anticipation du gouvernement de l’époque pour revoir à la baisse son train de vie par une compression des charges qui peuvent l’être et mettre le paquet pour plus de vigilance dans la récupération de ces recettes fiscales et ressources domaniales. Au lieu de cela, elle reçu cette diminution de plein fouet.
2- Sur l’optimisme des actions en perspective
Les chiffres du programme d’action présenté donnent un montant des importations sur la période de 2000 à 2016. Elles sont passées en 16 ans de 9 milliards à 53 milliards puis à 48 moyennant une austérité qu’on connait en 2016. Cette augmentation des importations sert à raison de 3 milliards par an pour nourrir les nouvelles bouches estimées par l’ONS à près de 900 000 par an. Comment le programme pourrait-il maintenir ce rythme avec la situation financière que lui-même a dépeint.
Le Trésor s’engagera dès l’adoption de la loi sur la monnaie et du crédit de rembourser les dettes aux deux mastodontes Sonatrach et Sonelgaz estimée plusieurs milliards de dollars.
De 2000 à 2007 le nombre de logement réalisés s’élève à 3 585 572 logements dont 956 805 sont en cours maintenant. Le rythme est de 210 916 logements par année même lorsque le baril valait 150 dollars. Son programme compte livrer 1,6 million de logements d’ici à 2019 et achever ceux en cours en 2017 évalués plus haut, soit quadrupler le nombre de logements avec la situation financière qu’on connaît. Peu sûr !
Depuis l’indépendance à ce jour, la puissance électrique installée ne dépasse pas 14 000 MW, soit en moyenne 255 MW par année, le programme d’Ouyahia se vante de la faire passer à 2000 MW/an pour attendre 20 000 MW d’ici à 2020. Il maintient les subventions autour de 27 milliards de dollars et ne prévoit concrètement aucun chiffre supplémentaire des recettes fiscales. Est-ce bien raisonnable ?
3- Conclusion
Tous les signes montrent que même Ouyahia ne croit pas à son programme.
Pour preuve dans son discours, il implique plus le président de la république que lui-même. Il ne manque pas de ruse non plus. Appréhendant des difficultés pour le faire passer, il a lancé lors de sa rencontre avec les 4 partis de la coalition au pouvoir et qui jouissent de la majorité au parlement que si le programme et l’amendement de la loi sur la monnaie et le crédit ne passent pas, le gouvernement aura des difficultés de payer les salaires du mois de novembre, sous-entendu ceux des députés et des parlementaires y compris.
Conséquence : il est assuré qu’ils seront adoptés yeux fermés. Mais que se passera t-il le lendemain au moment de la mise en œuvre ?
Rabah Reghis, Consultant et Economiste Pétrolier
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merci
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