Aux sincères ami(e)s du peuple (II)
Voici les personnes auxquelles nous ne nous adressons pas, parce qu’elles sont nos ennemis résolues et implacables : toutes celles qui ont la triste (pour nous) fonction d’agir comme garde-chiourmes, gardiens du « Palais », mercenaires de la plume et de la parole, bref contre-maîtres de leurs Maîtres.
3. "Courroies de transmission"
Écartons un malentendu.
Nous savons que certaines de ces personnes sont, notamment, des caméléons : « démocratiques » et « progressistes » en paroles, mais, en réalité, profiteurs du système jupitérien. Nous connaissons votre but inavoué : rafler le fromage, l’argent du fromage et même le corps de la fermière. Vous, vous savez « profiter de tout », pour satisfaire votre adoration intégriste de votre Saint Ego.
Déjà, à l’époque de la « glorieuse » et « progressiste » dictature du complice d’un colonel, puis de celui-ci lui-même, nous avions compris la valeur du fameux « soutien critique ». Durant celui-ci, vous avez su, profitant de la bonne foi de votre « base militante », tirer profit du « moulin » du pouvoir étatique, et du « four » du peuple asservi. La « révolution » et le « peuple » ont été et demeurent pour vous un investissement en terme d’argent et de postes administratifs. Si tel ne fut pas le cas dans votre idéaliste jeunesse, vous l’êtes devenus dans votre « réaliste » âge adulte. Preuve en sont votre carrière « honorable », votre niveau de vie satisfaisant, votre statut social brillant, et l’admiration que vous portent les médias de la caste dominatrice, dont les strapontins vous sont concédés.
Nous constatons combien vous dénoncez l’obscurantisme islamique. Mais cela n’est pas le produit d’un réel sens démocratique, mais uniquement de votre souci de ne pas perdre les miettes que vous a concédé la hiérarchie dominante. Nous, peuple, sommes victime de deux obscurantismes : l’imposture à masque religieux, et votre tromperie à masque laïc.
Les « courroies de transmission » que vous êtes sont notre malédiction. Vous êtes la garantie de l’existence du système jupitérien. Sans vous, il s’écroulerait. C’est donc vous, les premiers responsables.
C’est pourquoi nous aimerions que les auteurs d’articles qui critiquent Jupiter et sa Cour s’intéressent plutôt, d’abord et principalement à vous, les « courroies de transmission » de l’exploitation dominatrice que nous pâtissons. Parce que, nous le répétons, sans vous, pas de Jupiter ni les clans de sa Cour.
4. De la rupture, mais après ?
Nous lisons également, quotidiennement, des pronostics divers sur le moment et les modalités de fin du système dominant. Et chacun va de son analyse.
C’est utile, bien entendu. Cependant, il nous semble que, dans beaucoup de textes, échappe cette simple banalité : un système social prend fin quand ceux d’en « haut » ne peuvent plus le gérer, et ceux d’en « bas » ne peuvent plus le supporter.
Savoir en quoi, comment et jusqu’où ceux d’en « haut » ne peuvent plus gérer, nous l’avons dit, c’est découvrir un mystère dans une énigme. À ce sujet, les moins scrupuleux avancent des affirmations sans preuves convaincantes ; les plus circonspects avouent leur incapacité.
Le cas n’est pas spécifique à l’Algérie. Pour citer deux exemples, Lénine fut surpris par la chute du tsarisme ; De Gaulle, par le mouvement de mai 1968. Pour revenir à l’Algérie, l’ « élite » algérienne, laïque et religieuse, elle aussi, fut prise au dépourvu par le déclenchement de la lutte armée de libération nationale.
Quant à ceux d’en bas, il ne suffit pas de prévoir quand ils ne supporteront plus, et s’ils le manifesteront de manière pacifique, légale ou violente. Il y a plus important : se soucier du comment ils ne supporteront plus.
Si leur révolte, légale et institutionnelle ou violente, accouche uniquement d’un autre Jupiter et de sa Cour, que gagneront-ils ? Quand, ailleurs, Lénine, Mao Tsé Toung et autres, quand, en Algérie, Ben Bella, Boumediène et autres ont remplacé le système précédent, qu’a gagné le peuple, autre que de changer de maître ?
Oui, certes, quelques « os » (dans les domaines de la santé, de l’instruction, des salaires, etc.) furent concédées aux « masses », mais pas l’essentiel : le pouvoir social, celui de s’auto-gérer. Et quand une partie de ces « masses » pratiquèrent l’autogestion, elle fut, nous l’avons dit, réprimée dans le sang.
Ce qu’il faut donc c’est préparer le peuple à ne pas être réduit, encore une fois, par ses « sauveurs », à une simple « masse » de manœuvre, permettant aux futurs nouveaux maîtres de renverser les anciens, puis de prendre leur place.
Antonio Gramsci disait, je cite de mémoire : Instruisons-nous, car au moment décisif, nous aurons besoin de toutes nos connaissances pour réaliser la révolution.
Cette exigence, je l’ai vécue personnellement. Jeune étudiant, j’ai participé au mouvement de mai 1968. J’y ai constaté combien l’instruction citoyenne était fondamentale, non seulement pour promouvoir le mouvement social, mais lui assurer la victoire. Nous étions arrivés jusqu’à une grève générale nationale de plus de dix millions de travailleurs, et à voir le président-général De Gaulle abandonner le palais de l’Élisée, pour se réfugier auprès du chef de l’armée française, stationnée en Allemagne, le général Massu, de sinistre mémoire en Algérie.
Malheureusement, notre formation intellectuelle se révéla insuffisante pour changer de système social. Bien entendu, la défaite s’explique par d’autres facteurs. Mais notre manque de préparation théorique adéquate en fut un.
De même, si le peuple disposait de formation théorique suffisante, pour agir de manière conséquente, le parti bolchévik n’aurait jamais accaparé le pouvoir, en Russie ; les soviets auraient triomphé. En Algérie, aussi, la guerre de libération nationale n’aurait jamais accouché de la dictature, mais aurait généralisé l’autogestion sociale.
C’est dire combien l’éducation, l’instruction citoyenne, la formation intellectuelle sont l’exigence première et fondamentale pour se préparer à affronter la rupture sociale, la faillite de tout système jupitérien. C’est, nous semble-t-il, ce que l’histoire enseigne. Afin que le peuple ne soit pas réduit, encore une fois, à n’être qu’un instrument manipulé, pour se retrouver soumis à un système différend, mais toujours un pouvoir hétéro-gestionnaire.
Nous sommes conscients que la tâche est difficile. D’une part, sur elle pèsent plus de trois millénaires d’autoritarisme hiérarchique, clérical et laïc, partout sur la planète. D’autre part, son adversaire, sournois et retors, manifeste la plus grande cruauté, bien décrite par un de ses membres, Machiavel : l’État, quelque que soit sa forme, ouvertement despotique (« Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent ») ou hypocritement « démocratique » (« Il suffit de leur laisser croire que leur est libre, l’important est qu’ils nous élisent »).
Mais nous savons, également, autre chose. Que l’analphabète esclave Spartacus avait réussi, grâce à sa formation de gladiateur mais, surtout, à son intelligence, à former une armée d’ex-esclaves, que celle-ci a tenu tête et même fait trembler le pouvoir romain pendant plusieurs années, qu’elle gagna beaucoup de batailles contre des soldats dirigés par des généraux. Et que, à la fin, la révolte la plus importante de l’Occident antique fut vaincue uniquement par la traîtrise, la ruse et la corruption de marchands.
Nous savons, aussi, que les expériences d’autogestion les plus importantes, celle des soviets russes et ukrainiens et celles des collectivités espagnoles, sans oublier la nôtre algérienne, avaient donné des résultats appréciables ; seule notre manque de formation a permis à nos adversaires de nous vaincre.
5. Que (re)vive l’autogestion sociale !
Retournons à l’article cité plus haut. Nous aurions voulu y lire des propositions d’organisation des forces populaires évoquées. Ce que nous attendons de tous-tes ceux-celles qui nous aiment, nous le peuple, ce sont des propositions concrètes, pratiques pour jouer pleinement notre rôle.
Une chose curieuse : de tous les textes qui font l’éloge de notre histoire récente (guerre de libération, ensuite indépendance nationale), rares sont ceux qui évoquent l’événement qui, pour nous, fut le plus important, le plus sinon le seul révolutionnaire.
D’abord, entendons-nous sur cet adjectif. C’est un processus social qui change la base, la racine d’un système social. Or, quelle est cette base, cette racine ?… Ce n’est pas le colonialisme ni l’impérialisme, c’est l’exploitation de l’homme par son semblable, par l’intermédiaire de sa domination.
Or, la guerre a libéré le pays du colonialisme, mais pas de l’exploitation-domination du peuple par une caste minoritaire. Donc la guerre de libération a abouti à une réforme (substitution d’une caste dominatrice-exploiteuse étrangère par une autre, indigène) et non à une révolution.
Où donc fut l’aspect authentiquement révolutionnaire en Algérie ?… Dans un événement qui ne vint pas d’un Jupiter ni de membres de sa Cour ou de son arrière-cour. Cet événement fut l’initiative de nous, les « ignorants », les « analphabètes » : ce fut l’autogestion des entreprises et des champs.
Oui ! Uniquement cet événement fut une authentique révolution : parce que cette autogestion fut notre action libre et autonome, gérée par nous de manière également libre et autonome, parce que, durant cette période, fut éliminée l’exploitation et la domination de l’homme par son semblable, parce que cette maudite et vénéneuse racine et base de société fut éliminée.
| Lire aussi : Aux sincères ami(e) du peuple (I)
Malheureusement, cette bénéfique autogestion fut écrasée par ceux-là même qui se proclamèrent « révolutionnaires ». Ô, hypocrisie ! Il est vrai que ces Tartuffe avaient l’illusion idéologique d’être nos « sauveurs », cette maudite et malfaisante croyance de réaliser le bonheur du peuple à son détriment, contre sa propre volonté et ses spécifiques désirs ! Pour établir une nouvelle caste dominatrice-exploiteuse, dite « populaire », « républicaine », « socialiste », « communiste », etc.
Hélas !, nous en sommes encore là, aujourd’hui. À l’exception de l’époque où notre autogestion exista, qui donc, par la suite, a encore parlé de notre autogestion, de notre capacité réelle et effective de prendre nous-mêmes notre destin en mains ? Et que cette magnifique expérience prit fin uniquement par la répression du Jupiter et la Cour alors dominant le ciel de l’État ?
N’est-il pas significatif que cette idée d’autogestion a été et demeure totalement ignorée, occultée des textes qui cherchent des solutions aux diverses « crises » successives survenues en Algérie, comme ailleurs dans le monde ?
Et, pourtant, ces textes, répétons-le, se disent, - et il n’y pas motif d’en douter -, « démocratiques ». Dès lors, en eux, où sont l’affirmation et les propositions de pouvoir effectivement du peuple ?
Par suite, une question se pose : pourquoi, aux efforts divers, multiples, continus, répétés de chercher et de proposer des solutions provenant uniquement de Jupiter et de la Cour, ne trouve-t-on pas les mêmes efforts concernant nous, le peuple ? Pourquoi cet oubli de l’autogestion ?
Il est vrai que cette conception fut, historiquement dans le monde, minoritaire. Et chaque fois qu’elle exista, elle fut réprimée dans le sang.
Mais il est également vrai que, dans le monde, cette conception n’est pas morte, que de temps en temps, elle réapparaît dans la pratique sociale, non seulement dans les pays développés, mais également dans des contrées non développés et en guerre.
Cependant, encore hélas !, dans le monde comme en Algérie, la conception jacobine demeure majoritaire. L’un des motifs de cette situation est le fait que les « élites » intellectuelles demeurent tributaires de cette même conception. Et si elles le sont, c’est parce qu’elles en profitent par les privilèges recueillis.
Mais, pourrait-on demander, où trouver des ouvrages parlant d’autogestion, d’expériences ayant eu lieu, contenant des analyses des succès et des erreurs, proposant des solutions ?… Rien de plus simple : chercher sur internet. Il est plein d’ouvrages et d’informations gratuites. (A suivre)
Kadour Naimi
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جزاكم الله خيرا
merci