Projets de développement : entre gel, dégel et navigation à vue
La crise financière que traverse l'Algérie depuis juillet 2014 semble donner le tournis au gouvernement et aux autorités politiques, si bien que, en l'espace de trois ans, on a eu droit à des propositions de thérapies tantôt fantaisistes, tantôt inconsistantes; en tous cas, toutes sans boussole ou GPS.
Entre le gel anarchique de centaines projets d'investissements publics au début 2015, la loi de finances complémentaire de la même année, par laquelle ingénument, le gouvernement tablait sur un engouement démesurément enthousiaste des porteurs de capitaux informels pour les déposer dans les banques, les mesures d'urgence, basées sur la surtaxe de la vie quotidienne, prises dans le cadre de la loi de finances 2016, l'emprunt obligataire, lancé la même année, et par lequel on comptait sauver les projets d'investissements publics en les faisant financer par les patrons ; entre toutes ces étapes, beaucoup d'illusions, d'hallucinations et de mirages ont recouvert le ciel d'Algérie.
En d'autres termes, la crise des revenus pétroliers a conduit à la mise à nu d'une absence de gouvernance économique, laquelle ne pouvait pas être bien constatée et reconnue clairement pendant les années d'euphorie financière, à l'ombre d'un baril à 120 dollars.
En tous cas, le cafouillage ayant caractérisé les décisions de gel des projets est assez éloquent pour dire l'inanité des organes de planification et de gestion. Alors que plusieurs centaines de projets de développement sont gelés depuis presque trois ans, des ministres, se rendant dans les wilayas, développent un autre discours, "rassurant" la population par des harangues peu crédibles. C'est que le gel des projets ne s'est pas fait de manière "clandestine" ou informelle. L'on se souvient des notes successives de la direction générale du budget (DGB), organe dépendant du ministère des Finances, par lesquelles ce dernier instruit les organes financiers sous sa tutelle (contrôleurs financiers et directeurs de la planification et du suivi budgétaire [DPSB]), exerçant auprès des ordonnateurs du budget de l'État, de geler les projets inscrits mais non lancés sur le terrain. Cela concerne le budget d'équipement, autrement dit, les projets d'investissements publics portant sur les infrastructures de base et les équipements (routes, autoroutes, barrages hydrauliques, transferts hydrauliques, chemins de fer,…).
Il est tout à fait compréhensible que, lorsque ont veut dresser un ordre de priorités dans de tels projets pour réduire les dépenses publiques, ce sont les projets non lancés qui sont faciles à suspendre ou à annuler carrément, car ne générant aucune litige avec d'éventuels entreprises ou bureaux d'études, car les procédures de contractualisation, hormis l'inscription au ministère des Finances, n'ont pas commencé. Cet ordre de priorité est valable du point de vue strictement procédural. Quant à la justification qui s'appuierait, par exemple, sur un ordre de priorité basé sur l'utilité sociale et économique des projets, elle donnerait assurément d'autres résultats.
Il est fort possible, c'est même une certitude, que parmi les projets non lancés visés par le gel décidé par l'ancien Premier ministre, A. Sellal, figurent des projets de haute importance pour les services publics ou pour la base économique du pays. Mais, comme à l'accoutumée, la facilité impose ses lois qui ne cadrent ni avec les impératifs économiques ni avec les nécessités sociales.
Cette façon de réfléchir et d'agir ne date pas d'aujourd'hui. L'on se souvient de la mini-crise de mai 2012, lorsque les prix du pétrole avaient montré quelques signes d'inflexion, mais sans atteindre l'amplitude ou la gravité d'aujourd'hui. L'ancien ministre des Finances, Karim Djoudi, avait annoncé devant l'APN que si la chute des prix de l'or noir allait se poursuivre, le gouvernement serait obligé de prendre ses responsabilité et d'annuler les projets d'équipements programmés non encore lancés. Donc, la même "philosophie" est mise sur la table avec la nouvelle conjoncture, avec cette fois-ci un ordre formel de passer à l'action. Et ce fut fait.
Pour espérer "amortir" les effets de la crise des finances extérieures, le raisonnement du gouvernement de l'époque était étrangement clair et limpide et curieusement opératoire. Car, au fond, il est simpliste. Il s'agit de se dédire par rapport à ce qui n'a pas encore de caractère concret, malgré l'effet d'annonce dont il a bénéficié. Cependant, par rapport aux prévisions de ce même gouvernement en matière de croissance, de pouvoir d'achat et surtout de création d'emploi, voici un revers dont on ne dit pas encore les conséquences. L'inflation, dont le taux officiel est de 7 %, a rogné le pouvoir d'achat. Le taux de chômage dépasse 12 % de la population active. Ce sont là des chiffres officiels établis par l'Office national des statistiques. La réalité sur le terrain est autrement plus dure. C'est la conséquence logique de l'arrêt et de l'affaiblissement des entreprises ayant fonctionné jusqu'ici sur la base de la commande publique. Cette dernière ayant fortement décliné, y compris dans le volet du budget de fonctionnement (fournitures des administrations publiques en matériel mobilier, bureautiques, pièces mécaniques, véhicules,…), il était naturel que les entreprises et les fournisseurs en subissent le coup. Des entreprises n'ont pas perçu l'argent de leur facture depuis plusieurs mois, voire plus d'une année pour certaines. Le résultat ne se fait pas attendre : un grand nombre d'unités ont mis la clef sous le paillasson.
Le défaut de la cuirasse de tout l'échafaudage du gouvernement, en matière d'investissements publics, se trouve sans doute dans ces décisions intempestives de gel de projets, que le même gouvernement qui les a conçus finit par les juger "non prioritaires" ou carrément fantaisistes. Abdelamelk Sellal en avait même donné des exemples, avec le gel de projets de tramway dans certaines villes du Sud et des Hauts Plateaux. Sur quelle base ces projets ont été inscrits ? Quelle fiabilité accorder aux études ayant conclu à l'"opportunité" de ces équipements ?
Pour se démarquer de l'ère Sellal, Abdelmadjid Tebboune, nommé Premier ministre en mai 2017, n'a pas hésité à promettre publiquement, avec un certain air de démagogie, la réactivation de plusieurs projets gelés par son prédécesseur. En a-t-il étudié l'opportunité et la pertinence ?
Dans le contexte de crise persistante des finances publiques, comment le gouvernement se résoudra-t-il à financer ces projets après s'être rendu compte, de façon formelle, que le financement alternatif - tel qu'il a été imaginé avec l'emprunt obligataire - n'est pas garanti?
Il est pour le moins paradoxal et curieux, voire énigmatique, que, au moment où les autorités politiques ont été appelées à prendre des décisions de cette ampleur- conception de projets, gel, dégel,…-, décisions nécessairement lourdes de conséquences, le gouvernement se soit délesté de tous les organes de planification et de prospective [secrétariat d'État aux statistiques et à la prospective, Commissariat général à la statistique et à la prospective,…], qui auraient pu réaliser des projections et des scénarii, avant de se résoudre à prendre une décision qui a des répercussions de grande ampleur sur le plan socioéconomique. L'inscription même de ce projet aurait due être soumise à ces organes qui n'existent plus aujourd'hui dans l'organigramme du gouvernement.
Comment compte le gouvernement Ouyahia mener sa barque dans ce capharnaüm, sachant qu'un grand nombre de projets, aujourd'hui gelés, ont été proposés et conçus lorsqu'il était, avant septembre 2012, Premier ministre ?
Amar Naït Messaoud
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جزاكم الله خيرا
Thanks for sharing an informative post.