Pas de main invisible en république bananière d’Algérie
En soulignant, au sein du quotidien Le soir d’Algérie du 13 août 2017, qu’il est "(…) actuellement très difficile de décrypter d'une façon juste, scientifique ce qui se déroule au sommet de l'État", Rachid Tlemçani avouait son incapacité à définir précisément les composantes groupusculaires du champ politico-économique.
L’enseignant-chercheur de l’université Alger III s’en remettait par conséquent aux "(…) intellectuels indépendants, intègres, pas liés aux sphères du pouvoir", seuls selon lui en mesure d’analyser, avec toute fois "(…) mille précautions", les rouages et arcanes d’un entourage décisionnel qui, telle une pieuvre, se déploierait à nouveau dans l’optique de tisser les fils de réseaux corrupteurs.
La mise en exergue de cet aspect interlope des choses accréditait encore la thèse de la "Main-invisible", et par là même des puissances obscures agissant au cœur d’un cabinet secret ou théâtre d’ombres, en somme une "Mano-negra" ("Main-noire") venue se substituer à la fameuse "Main-rouge" des années 50, cette funeste organisation paramilitaire d’ultras Algérie-française censée se livrer, au profit du Service de documentation extérieure et de contre-espionnage (SDECE), à des attentats ou assassinats ciblés. Seulement, l’ex-agent Bob Maloubier signalera plus tard (dans Histoire des services secrets français : l’heure des combats, 1940-1960) que "Chaque fois qu’il y a quelque chose qui se passe, on dit : c’est la Main rouge ! Et la Main rouge n’existait pas du tout". Roger Faligot et Jean Guisnel (auteurs de Histoire secrète de la Ve République) confirmeront qu’elle correspondait à "(…) la machine à tuer des services secrets français", à un subterfuge servant principalement à grimer les homicides en règlement de comptes signés du sceau d’une mystérieuse section. Amplement fictive, l’entité sera en réalité médiatiquement nourrie par des périodiques affidés, les aveux du dénommé Christian Durieux (se présentant comme l’un de ses principaux leaders) puis l’ouvrage La Main rouge (1960) de Pierre Genève.
L’entretien accordé à Rachid Tlemçani renvoie le lecteur à une identique croyance naïve ou chimérique. En participant (nous supposons involontairement) à sa prorogation, l’universitaire versait son propos dans l’imaginaire, s’épanchait sur "(…) ce flou qui caractérise la situation, (ce) jeu de marionnettes qui se dessine, (…) se profile", alors que les factions en présence-agissante sont parfaitement identifiables si l’on veut bien se donner la peine de révéler, via de sérieuses investigations ou implications, les noms des tireurs de ficelles. D’ailleurs, en rappelant qu’Abdelmadjid Tebboune "(…) est lié à un clan (…), qu'il ne peut pas avoir agi seul", le politologue algérien supposait que le révoqué de la dernière heure demeurait le maillon (en l’occurrence le fusible) d’une chaîne composée d’individus bien en chair et dont les patronymes peuvent parfaitement être connus de tous, à la manière de ceux affichés au milieu de tabloïdes dénonçant au temps de Mouloud Hamrouche les frauduleux récipiendaires de terres agricoles promues en zones constructibles. La démarche des deux anciens chefs de l’Exécutif se ressemblent du reste quelque peu, le premier d’entre eux ayant, avec la loi d'orientation sur les entreprises publiques économiques (N°88-01 du 12 janvier 1988), conseillé, déjà à partir du secrétariat d’El-Mouradia, d’accorder plus d’autonomie aux sociétés publiques alors sous la férule d’étroites directives. Nommé en septembre 1989 à la tête du Gouvernement, il exploitait la faille ouverte à la suite des émeutes d'octobre 1988 pour imposer le multipartisme, lever les blocages permanents du système de parti unique, supprimer son monopole sur la monnaie, le crédit et les médias, accorder des locaux et trois années de salaire aux journalistes du secteur étatique, des avantages bancaires et exonérations d'impôts aux professionnels d’une presse privée critiquant dorénavant les affaires louches d’hommes jusque-là intouchables. Convaincu d’une profonde réforme, l’ancien directeur général du protocole sous le règne de Boumediène libérait les dispositifs inhibant la parole associative et l'investissement novateur, mettait fin au ministère des Moudjahidine (anciens combattants) et remplaçait celui de l'İnformation par le conseil supérieur de l'audio-visuel de manière à amoindrir les privilèges d’un FLN à l’intérieur duquel les futurs candidats n’étaient plus désignés d’office mais choisis à partir de la base. Hors-sol, la plupart des éléphants perdaient pied, s’en remettaient à Chadli Bendjedid et au ministre de la Défense Khaled Nezzar qui, confrontés à la déferlante électorale du Front islamiste du salut (FİS), faisaient déployer les chars autour d’Alger, obligeant ainsi l’auteur du slogan "ça passe ou çà casse" à courber l’échine avant les prétendues "honnêtes" législatives de décembre 1991. Après l’explosion démocratique, les ordonnateurs reprenaient du poil de la bête par le truchement d’un État d’urgence limitant jusqu’à aujourd’hui toutes les marges bénéficiaires des véritables créateurs de richesses ou plus-values. C’était là aussi, pour reprendre la formule de Mohamed Hennad (publiée in El Watan, 17/08/17), le "(…) triomphe des forces du statu quo". Aux yeux de cet autre politologue la ré-homologation d’Ahmed Ouyahia, d’un vieux singe de la primature, reflète le "(…) degré d’avachissement de l’État algérien", nation prémoderne gérée par les coups de manœuvres d’opérateurs agissant sous couvert de campagnes calomnieuses. İls sortent leurs griffes dès que leurs intérêts financiers (convergents à ceux de firmes françaises ou étrangères) sont en périls, que la sacro-sainte stabilité, c’est-à-dire l’immobilisme rentier, tremble sous la pression des syndicats indépendants et des lanceurs d’alertes, court-circuitent, au plus près du sérail, les feuilles de route contraires au siphonage des fonds spéciaux, aux montages et démontages manufacturiers.
Abdelaziz Bouteflika, "l’homme qu’il faut à la place qu’il faut", en vertu de la légitimité historique préconisée et thésaurisée par les barons du régime militaro-industriel, leur garantit des dérives toutefois incompatibles avec le pouvoir monarchique auquel prétendrait le frère Saïd. Pousser davantage ce pion sur l’échiquier politique risquerait d’allumer la mèche de la poudrière. Par contre, reconduire, pour une période intermédiaire, Mouloud Hamrouche sur les rails progressistes, c’est proroger la filiation Boumediène, trouver un juste milieu avant les indispensables concessions ou sécularisations démocratiques, décourager au final les trublions du coup d’État permanent.
Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art
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جزاكم الله خيرا
merci