Tebboune, ses parrains et la bourgeoisie compradore
Les luttes claniques en Algérie sont légion mais celle qui vient de secouer en ce mois d’août le régime d’Alger a ceci de particulier qu’elle tranche sur les précédentes.
Pour la première fois, les clans belligérants n’ont pas pu entièrement crypter comme à leur habitude leurs faits et gestes, ce qui témoigne de la férocité et de l’âpreté du conflit qui couve. A peine nommé il y a trois mois, le nouveau Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune est démis de ses fonctions après s’être vu "recadrer" par un chef d’Etat décidément invisible et aphone. Tebboune avait tenté de lancer une campagne contre la corruption, stratagème employé de tout temps pour faire redorer le blason du pouvoir. Mais cette fois-ci la machine s’est grippée, probablement parce que les promoteurs de la campagne "mains propres" n’ont pas voulu associer le camp opposé (qu’ils cherchaient à neutraliser ?). Visiblement l’objectif assigné à cette campagne qui ciblait nommément Ali Haddad, dont le profil mêle affairisme et clientélisme, était de rendre populaire le nouveau Premier ministre qui se serait mis sous la protection de Gaïd Salah, chef d’Etat-major et vice-ministre de la Défense nationale. En application des instructions du Premier ministre des mises en demeure adressées à des entreprises dont celle d’Ali Haddad ont été publiées dans la presse. Elles sommaient ces sociétés de droit privé d’honorer dans les meilleurs délais leurs engagements vis-à-vis de l’Etat en vue de finaliser les travaux restants.
Signe d’une implication active, le ministère de la Défense nationale publie lui aussi une mise en demeure à l’encontre d’une entreprise, semble-t-il partenaire de celle de Haddad. Ce détail atteste du lien qui unissait Tebboune à l’institution dirigée par Gaïd Salah.
La levée de boucliers contre Tebboune qui s’en est suivie, semble être inspirée par le Département du renseignement et de la sécurité (DRS) d’Athmane Tartag. Ainsi Sidi-Saïd qui a dû se souvenir des sueurs froides qu’il avait versées dans l’affaire Khalifa, s’était démené comme un diable pour soutenir Haddad. Le secrétaire général de l’UGTA n’aurait jamais osé voler au secours de ce dernier ni braver le Ministère de la Défense nationale s’il n’y avait pas été invité. Mais l’attaque la plus virulente est venue du quotidien L’Expression qui, saisissant l’opportunité de la rencontre entre Tebboune et son homologue français, Édouard Philippe, accuse Tebboune d’avoir adopté un profil bas qui rappelle celui qu’aurait eu le Colonel Si Salah pendant la guerre d’indépendance, lorsque celui-ci avait rencontré à l’insu du FLN le général de Gaulle. La vigueur de la riposte anti-Tebboune a dû faire réfléchir l’Etat-major.
Ouyahia revient
Surnommé par la presse "l’homme des sales besognes", Ahmed Ouyahia est le prototype de l'homo politicus algerianus des travées secrètes. Apprécié par les décideurs de l’armée, il a toujours suivi comme une ombre Abdelaziz Bouteflika, soit en tant que chef de l’Exécutif, poste qu’il occupera de 2003 à 2006, puis de 2008 à 2012 ; soit en tant que chef de cabinet du Président de la République, poste qu’il occupera de 2014 à 2017. Sans oublier qu’il avait déjà occupé sous le général Zeroual le poste de chef de l’Exécutif de 1995 à 1998. Tout ceci renseigne sur la réalité de l’étendue du pouvoir qu’avait pu exercer le chef de l'exécutif actuel. C’est donc le DRS qui en est sorti vainqueur du conflit qui l’opposait à l’Etat-major. Tebboune qui, lui aussi, a dû se rappeler la sueur froide qui avait perlé sur son front lors du procès Khalifa dans lequel il avait été cité, est parti en déclarant qu’il restait "fidèle à Bouteflika" autrement dit, qu’il ne bougera pas le petit doigt contre l’ordre établi. Le retour d’Ouyahia semble indiquer que les parties en conflit se sont entendues sur une solution provisoire en attendant de trouver le potentiel successeur d’Abdelaziz Bouteflika dont l’inaptitude à gouverner n’a jamais paru aussi éloquente.
Mais pourquoi Tebboune avait-il dérangé ?
Il semblerait que le clan qui l’avait porté était tenté par une opération de toilettage à même de crédibiliser l’action du pouvoir dont l’impopularité est devenue patente depuis les élections législatives de mai 2017 qui avaient été marquées par un fort taux d’abstention. Le pouvoir a été d’autant plus sensible à ces résultats qu’ils avaient pour lui valeur de plébiscite. En s’attaquant aux opérateurs économiques de la bourgeoisie compradore, les parrains de Tebboune semblent avoir sous-estimé les gros intérêts qu’ils étaient susceptibles de heurter au sein même de leur propre maison. Cette bataille clanique n’est pas l’expression d’un dualisme bourgeoisie compradore/ bourgeoisie bureaucratique d’Etat. Il s’agit d’un affrontement pour le contrôle du pouvoir politique entre deux tendances au sein même de la bourgeoisie compradore, laquelle dispose de relais solides jusque dans les circuits étatiques.
Larbi Graïne, journaliste
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جزاكم الله خيرا
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