Enseignement de l'histoire : à quand la démystification ?
L'enseignement de l'histoire continue à coltiner une forte charge d'idéologie, un nuage de flou artistique, un cafouillage dans la chronologie événementielle et un morbide effet repoussoir auprès des jeunes.
L'entreprise de mystification a surtout gravement affecté la période de la guerre de Libération et le mouvement national qui lui a donné naissance, sans que, par ailleurs, la période postindépendance soit épargnée par les circonvolutions d'une mémoire malmenée par le traitement politique que l'on a fait subir à l'histoire.
En 2015, un groupe d'islamistes avait lancé un appel pour enlever la plaque commémorative de Maurice Audin de la place du même nom à Alger-Centre, afin de la faire remplacer par on ne sait quel autre nom ! L'entrefilet de la presse qui donnait cette nouvelle peut paraître marginal ou anecdotique. Mais il exprime une profonde et grave méconnaissance de l'histoire du pays, qui conduit la jeunesse algérienne à renier tout un pan - voire des pans entiers - de l'histoire de leur pays.
La même semaine où fut lancé cet appel à un deuxième kidnapping du mathématicien et militant algérien, Maurice Audin, décéda Claudine Chaulet, une autre militante de la cause algérienne; mission qu'elle assumée avec son mari, Pierre Chaulet, et que, tous les deux, ont poursuivie après l'Indépendance en s'investissant dans la tâche d'édification nationale. Les jeunes Algériens, "subissant" les cours d'histoire à l'école au lieu de les recevoir et d'y participer, et trompés par l'intégrisme religieux ambiant, ignorent qu'un Européen, Fernand Yveton, pour ne pas le nommer, a été guillotiné pour la cause algérienne dans la même prison, Barberousse, ou a été décapité Ahmed Zabana. Des dizaines de Français ont participé à la révolution algérienne par des moyens divers. Il se trouve que même les officiels ou les personnalités historiques, en dehors de Redha Malek et de quelques rares autres noms, peinent à mettre en exergue ces hommes et ces femmes qui ont fait le choix de l'Algérie. "Le Choix de l'Algérie" est le titre même du livre des Chaulet, publié en 2012, l'année de la mort de Pierre.
Cette ignorance pathologique d'une histoire plus ou moins récente, renseigne, on ne peut mieux, sur les faiblesses, voire même les dérives, de l'enseignement de l'histoire à l'école.
Mais comment accabler de jeunes Algériens, que la mauvaise gouvernance culturelle et le détournement de l'histoire à des fins de pouvoir ont déconnectés des réalités de leur peuple, lorsque de mesquines et abjectes chamailleries sur certains faits de la révolution sont étalées publiquement par des acteurs de cette même révolution? Ici, nous faisons allusions à ces feuilletons interminables, portées par le canal de quelques journaux, où s'étrillent et s'étripent le colonel Benaouda, Khaled Nezzar, Daho Ould Kablia et d'autres acteurs.
Se réconcilier avec soi
Néanmoins, malgré les revers, les déconvenues et, parfois, les situations d’impasse, que traverse la jeunesse algérienne depuis des années, il est certainement heureux et de bon augure d’observer ce fougueux désir d’appropriation de l’histoire du pays et de ses différentes stations par cette même jeunesse. Après qu’elles furent le monopole obligé des tenants du parti unique, ces stations et ces dates de l’histoire du pays commencent à être avantageusement explorées, même si les chemins vers la réconciliation avec les valeurs du patriotisme et du don de soi, charriées par la révolution de novembre 1954, sont encore assez longs, raboteux et laborieux.
La tentation de monopoliser l'écriture de l'histoire de la révolution de novembre 1954- comme ce fut le cas pendant les journées d' "études" spécialement dédiées, pendant plusieurs années, à cet objet par l'appareil central du parti unique au cours des années 1980- existait bien chez les hommes du pouvoir. Elle était censée, à leur yeux, conférer légitimité au pouvoir politique du moment, y compris par la manipulation et la falsification des faits.
L'Histoire et le cours de l'histoire
En avril 1986, René Galissot écrit, dans "Temps Modernes", revue fondée par Jean Paul Sartre: "Les noms propres, les acteurs historiques n’ont guère le droit à l’existence dans les publications algériennes (…) L’idéologie nationale, c’est-à-dire l’exploitation du capital idéologique de la guerre, qui donne sa raison d’être au FLN, est appelée à servir d’illustration et de légitimation de l’Etat ; elle substitue une ligne univoque à la polyvalence de la culture nationale ; elle prétend même diriger l’écriture de l’histoire".
Ainsi, des pages entières de la révolution n'ont été révélées aux jeunes Algériens qu'après ce qui sera appelé l'"ouverture démocratique" de 1989. C'est dire, rétrospectivement, le ridicule de l'entreprise du parti unique, lequel se croyait éternel et capable d'arrêter le cours de l'histoire. Le cours de l'histoire, ce sont ces jeunes qui cherchent aujourd'hui leurs repères dans un pays qui n'a rien fait pour les ancrer dans leur histoire par la connaissance sereine et apaisée, non seulement de la guerre de Libération, mais également de tout le mouvement national dont la guerre fut l'aboutissement. "Notre enseignement n’a pas décolonisé l’histoire, il en a seulement fait le miroir inversé de l’histoire coloniale (…) L’histoire ne peut être ni une addition, ni un entrecroisement de mémoires. Et si on la réduit à cela, on perpétue ce qu’on veut guérir, les traumatismes de l’autre et les incompréhensions", soutient l'historien et moudjahid, Mohamed Harbi.
Inexorablement, la fatalité biologique fait diminuer chaque année le nombre d’acteurs et de témoins de la guerre de Libération. Signe des temps, au gouvernement, c'est la première fois, en 2014, qu'est nommé un ministre des Moudjahidine, Tayeb Zitouni, qui n'est pas lui-même moudjahid, mais fils de chahid. De même, le travail mémoriel au sens traditionnel- porté par le seul souvenir à raconter oralement- a montré ses limites. Une telle mission doit être prise en charge professionnellement, en explorant les archives d'Algérie et de France. Le couronnement d'une telle entreprise devrait être la fin de la surpolitisation de l'histoire et surtout de son idéologisation, pour laisser place à un traitement scientifique, pédagogique et apaisé, devant profiter aux jeunes générations, rongées prématurément par la haine de soi, happées par l'esprit "harga" et gagnées par la culture de la violence sous toutes ses formes.
Amar Naït Messaoud
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جزاكم الله خيرا
Merci pour cet article