Mémoire algérienne : défaite ou résistance ultime ? (I)

Un exemple à retenir : Djamila Bouhired, cette grande moudjahida qui a refusé que son nom soit associé aux falsificateurs de l'histoire.
Un exemple à retenir : Djamila Bouhired, cette grande moudjahida qui a refusé que son nom soit associé aux falsificateurs de l'histoire.

Ce texte est le fruit de mes réflexions sur les commentaires de lecteurs concernant les deux contributions précédentes, sur Djamila Bouhired puis à propos des moudjahidines authentiques encore en vie. Par conséquent, ces considérations visent à approfondir et élargir le débat d’un point de vue général, dans le cadre d’un journal, bien entendu limité mais non pour cela superficiel. Ajoutons que ces observations n’ont pas la fonction de clore mais d’ouvrir un débat très urgent et absolument indispensable. Les propos qui suivront en sont des éléments espérons provocateurs, dans le bon sens de l’adjectif, autrement dit stimulateurs.

Une personne ou un peuple qui a perdu sa mémoire, précisément celle de ses actions en faveur d’une existence digne, libre et solidaire, cette personne et ce peuple sont définitivement vaincus. Et d’abord par eux-mêmes ! En effet, tout vainqueur d’une personne ou d’un peuple a besoin et entreprend, pour consolider sa domination, d’éliminer, chez le vaincu, toute trace de ce qui lui permettait d’avoir été libre, par conqéquent de l’être à nouveau. Ainsi, il oubliera cette période de sa vie, pour croire que son existence n’est que servitude, que cette situation est "normale", "naturelle".

Partout et toujours, les vainqueurs ont agi ainsi, et continueront à le faire. Il en va de l’existence de leur domination.

Mais, le vaincu, personne ou peuple, doit-il se plier à cette ultime phase et admettre sa définitive défaite, celle de la mémoire de ce qu’il fut ou, sinon, furent ses parents ou encore ses ancêtres, ou, allons le plus loin et le plus largement possible, l’humanité dont il fait partie ? À savoir des personnes ou des peuples libres et solidaires ? En effet, jamais la nature n’a mis au monde une personne dominée-exploitée, mais libre. Jamais un peuple a commencé à exister en étant dominé-exploité, mais libre. Ce sont les hommes qui transforment un individu ou un peuple en sujet à exploiter, et donc à dominer. Trop de personnes oublient cette banalité, parce qu’ils sont, pour employer une métaphore de Platon, dans une caverne obscurcie par le servilisme, qui les empêche de voir le soleil de la liberté solidaire.

L’esclave qui oublie la lutte des esclaves spartakistes contre la domination romaine, la lutte des paysans extrême-orientaux contre leurs oppresseurs impériaux, les luttes qui ont éliminé l’esclavagisme, puis le féodalisme, luttes qui ont tenté de bannir le capitalisme, puis le capitalisme d’État "socialiste", bref toutes ces luttes où les êtres humains, femmes et hommes, ont voulu demeurer ou reconquérir leur liberté et leur solidarité réciproque, toutes ces luttes, si elles ont oubliées, que reste-t-il donc ?… L’apparente "éternité" de la domination et de l’exploitation d’une majorité d’êtres humains par une minorité de sangsues à visage humain. Par conséquent ne demeure que la soumission, la résignation, la justification par le vaincu de sa défaite, l’acception volontaire de sa servitude. Selon la fameuse expression biglique : "Sous le soleil, rien de nouveau !" Effectivement, pour tout dominateur, ce slogan est adéquat. Tous les empires, sans exception, n’ont-ils pas proclamé être "éternels" et "naturels" ? A l’exception du nazisme qui se contenta bizarrement d’un "Reich de mille ans". Tous les systèmes sociaux (esclavagisme, féodalisme) ne se sont-ils pas, eux aussi, considérés comme "éternels" et "naturels" ? Même Platon et Aristote ont ainsi pensé du système esclavagiste (mais pas Diogène de Sinope ni Épicure, en Occident, et ni Lao Ze et Chuang Ze, en Orient). Aujourd’hui, le capitalisme ne se proclame-t-il pas, lui aussi, "éternel" et "naturel" ?

Voilà où mène l’oubli, l’occultation de la mémoire émancipatrice : à l’acceptation résignée et apparemment justifiée de la situation actuelle. En perdant de vue la réelle histoire passée, on est incapable d’envisager un présent autre que celui qui nous domine, et donc un futur meilleur, sinon pour nous, du moins pour nos descendants.

L’Algérie n’est qu’un exemple parmi tous ceux qui affligent, de tout temps et partout, l’humanité de ce fléau qu’est l’éradication de la mémoire des luttes pour une vie digne, c’est-à-dire sans dominateur-exploiteur. Il suffit de lire les livres d’histoire : la majorité absolue est écrite par les mandarins des vainqueurs. Les crimes sont présentées comme des exploits civilisateurs, les mensonges comme des vérités, les luttes pour la liberté comme des actes au mieux d’utopistes imbéciles et personnellement frustrés, au pire de bandits assoiffés de sang, barbares et ignares.

Même les mots évoquant la liberté et la solidarité sont usurpés, faussés, manipulés pour servir le vainqueur. Ainsi, des mots "révolution", "liberté", "démocratie", "autogestion", "partisan", "anarchie", "communisme", "socialisme", "moudjahid", etc.

Et, hélas !, trop nombreux sont celles et ceux qui renoncent à ces mots parce que d’autres les ont récupérés, usurpés et faussés pour servir leurs infâmes objectifs. Mais le renoncement à ces mots entraîne celui de leur contenu initial. Et voilà consommée la défaite complète. Ainsi, par exemple, un commentateur d’une de mes contributions (http://informationnelle/news/24756-appel-aux-ex-moudjahidates-et-moudjahidines-a-leurs-enfants-et-aux-jeunes-historiens-algeriens.html) écrit : "Réveillez-vous Mr Naimi on est en 2017 ! Vous êtes en retard de près de 50 ans. En effet votre appel aurait un sens si il avait été fait dans les années 70's mais en 2017 c'est quoi un moudjahid ? Tout le monde vous dira un terro de l'Afghanistan! Vous vivez dans un autre monde."

Et voici comment, selon ce lecteur, il nous est dorénavant interdit d’employer le terme "moudjahid", ce mot qui fut le plus beau mot de notre lutte de libération nationale. Comme chez nous et ailleurs sont devenus "archaïques" et "ridicules" d’autres termes qui furent le levain des luttes populaires pour leur émancipation : démocratie, droits des citoyens, révolution, socialisme, communisme, anarchisme, etc.

Sur la planète, aujourd’hui, il y a même des régimes politiques qui bloquent à leurs citoyens sur internet l’accès à des sites contenant des mots comme "démocratie", "droits humains", etc., ou se réfèrent à des événements sociaux, autrement dit à des luttes libératrices, que les dominateurs, qui les ont écrasés dans le sang, veulent faire oublier à leur peuple.

Partout et toujours dans le monde, le même hideux et abject mécanisme (il s’appelle également censure) est présent : la gestion de la mémoire par les vainqueurs, pour empêcher son autogestion par les vaincus. Car si ces derniers continuent à la gérer librement eux-mêmes, alors ils ne sont pas totalement écrasés, ils penseraient : "S’il fut un temps où nous avons été libres de toute exploitation-domination, si, également, il y eut un temps où nous avons combattu courageusement contre cette infamie, alors, nous pourrons, de nouveau, reprendre cette lutte". Les Italiens aiment penser : "La speranza è l’ultima a morire !" (L’espoir est le dernier à mourir).

A propos de l’importance de la mémoire comme enjeu de domination ou de libération, voici des exemples à méditer. On y constate à quel degré d’abjection est parvenu l’occultation des mémoires émancipatrices.

Les premiers Chrétiens, une fois parvenus au pouvoir par l’alliance avec l’empereur Constantin, ont détruit ou brûlé tous les livres considérés païens, autrement dit contraires à leur foi nouvelle dominante. Pour avoir une idée des méfaits commis, quelques exemples : des trois cent (300) volumes environ écrits par Épicure, et plus ou moins le même nombre par Diogène de Sinope, il nous est parvenu uniquement une centaine (100) de pages du premier, et, du second, uniquement des citations dans des ouvrages de ses partisans ou adversaires. C’est comme si, aujourd’hui, on détruisait les ouvrages de Jean-Jacques Rousseau, Diderot, Voltaire, Karl Marx, Michel Bakounine ou Sigmund Freud, de manière à ce que les générations futures n’en sachent rien ou presque. C’est ainsi que les actions des premiers Chrétiens, parvenus au pouvoir, ont commis l’un sinon le plus grand crime contre la culture humaine émancipatrice. De là, la régression intellectuelle qui s’ensuivit en Europe, avec son asservissement des mentalités pour conforter uniquement le Pape Infaillible et sa caste de prêtres, garants des empereurs et rois féodaux.

Second exemple. Les adorateurs du "camarade" Staline, appelé par la suite, une fois devenu le Tout-Puissant sur terre, le "Père des peuples", ont été, avec lui en premier lieu, jusqu’à effacer des photos de l’époque révolutionnaire des personnages ; ainsi, par exemple, Trotsky fut éliminé de photos où il se trouvait à côté de Lénine, pour faire oublier au peuple l’action du premier au profit de Staline qui, à l’époque, était un militant de second ou troisième rang.

Troisième exemple. À son tour, le "camarade" Trotsky écrit sa volumineuse "Histoire de la révolution russe". Eh bien, vous chercherez en vain à savoir qu’il commanda l’Armée "rouge" qui massacra, à la mitrailleuse et avec les bombes d’avions, les vrais partisans des authentiques soviets, les accusant d’etre "au service de la contre-révolution". En réalité, tout prouve le contraire : les victimes étaient les vrais défenseurs de l’autogestion populaire, et les "bolchéviques", avec Lénine et Trotsky à leur tête, ont rétabli une forme de capitalisme d’État avec la NEP.

Dernier exemple. Chez nous, en Algérie, les vainqueurs se sont également distingués. Ils sont allés jusqu’à cacher des… cadavres de dirigeants de la lutte de libération nationale, tels le corps de Amirouche, de peur que l’existence de sa tombe permette au peuple de conserver mieux le souvenir de son action anti-coloniale.

Revenons à une situation banale et ordinaire. Quand toi, algérienne ou algérien, écoute le récit d’un ex-moudjhahid ou moudjahida de notre lutte de libération nationale, ou edntends le récit d’un travailleur de l’autogestion surgie juste après l’indépendance, que se passe-t-il en toi, dans ton cœur et dans ton esprit ? Ou bien, parce qu’en toi vit encore un brin de dignité, tu ressens de la fierté, et ta voix intérieure te dit : "S’ils ont été capables de ces dignes actions, pourquoi pas moi?"

Ou bien, parce que, désormais et hélas !, tu es un esclave volontaire, ta voix intérieure te murmure : "Allons ! Oublie ça, c’est du passé, une exception à la règle, et suis le troupeau en baissant la tête, en acceptant le bâton ou le foin de ton berger."

Un exemple de ce genre de soumission, se masquant d’une illusion de fière revendication individuelle (je l’appelle individualiste) se trouve dans le commentaire de Hend Uqaci Ivarwaqène, à ma contribution précédente (https://www.lematindz.net/news/24756-appel-aux-ex-moudjahidates-et-moudjahidines-a-leurs-enfants-et-aux-jeunes-historiens-algeriens.html). Tout son texte est à lire et à méditer. Il illustre la fausse conscience qui se fabrique à partir d’une argumentation qui se voudrait moderne et libre, mais, qui, en définitive, est soumise. Ce lecteur ne veut pas se « faire une conscience de redevable à vie et inhiber définitivement toute tentative d'individuation. » Donc pas de dette, ah non ! Pas même une reconnaissance, l’important est désormais la « tentative d’individuation ». Que signifie ce terme ?… N’est-ce pas « Chacun pour soi ! », expression typique d’une société où règnent le plus rusé, le plus cruel, le plus égoïste et le plus cynique, au détriment de celles et ceux qui n’ont pas ces horribles et méprisables caractéristiques ?

Et voici ce que le même lecteur écrit : "Vous voulez nous faire gober que si d’authentiques za3ma révolutionnaires avaient pris les rênes du pays ils auraient renoncé à l’arabo-islamisation du pays ? Au socialisme ? A leurs rentes ?"

Tout devient clair. Ce langage est la simple reproduction de l’idéologie dominante des vainqueurs. Que dit-elle ? "Allons ! Allons ! Tous, sans exception, sont pourris ! Quelques soient ceux qui auraient pris le pouvoir, ils auraient pensé à leurs rentes ! Dès lors, Boumediène-Ben Bella et leurs successeurs d’une part, ou, d’autre part, Larbi Ben Mhidi, Abane Ramdane, Mohamed Boudiaf et Hocine Aït Ahmed, ils sont tous les mêmes !"

Dans les pays développés, ce discours se manifeste de cette manière : "Les révolutionnaires ?!… Ha ! Ha ! Ha ! Laisse-moi rire !… Tous les mêmes ! Lénine, Staline Hitler, Gorbatchev, Poutine, Kennedy, Nixon, Trump et compagnie ? Tous pourris. Tous pour la rente !" Et on oublie l’existence, par exemple, de Che Guevarra, de Gandhi et de Nelson Mandela.

Il est vrai que la possession du pouvoir corrompt. Et cela fut constaté parmi ceux qui furent auparavant d’authentiques révolutionnaires, tels les bolcheviques, puis, à leur suite, toutes les nomemklatura "communistes", sans une seule exception, pas meme au Viet-Nam.

Cependant, confondre Benbella-Boumediène et leurs successeurs avec Larbi Ben Mhidi, Abane Ramdane, Mohamed Boudiat et Hocine Aït Ahmed, c’est faire un procès d’intention à ces derniers. Boudiaf et Aït Ahmed n’ont-ils pas prouvé qu’ils préféraient rester et défendre les intérets du peuple laborieux plutôt que d’occuper des fauteuils au sein du pouvoir ? Et que cela leur coûta très cher, mais qu’ils persistèrent toute leur vie ?

Le genre de confusion en examen, entre les uns (dominateurs-exploiteurs) et les autres (défenseurs des intérets réels des citoyens), fut l’une des méthodes principales de la propagande qui permit la naissance et la victoire du fascisme en Italie, puis du nazisme en Allemagne. Mussolini puis Hitler dénonçaient tous comme identiques : capitalistes, communistes, francs-maçons, juifs, bref tout ce qui s’opposait à leur domination. Les intellectuels italiens conscients inventèrent un terme pour désigner ce phénomène : "qualunquismo". Le mot a été fabriqué à partir de "qualunque" (quelconque). Et le fascisme de couleur islamiste a employé le même procédé : tous les mêmes, tous pourris à l’exception des islamistes. Marine Le Pen et tous les extrémistes de droite, eux aussi, recourent au même procédé. Trump idem.

Le discours du lecteur auparavant mentionné et celui à peine cité ont le même but : occulter et salir les authentiques actions et tentatives de s’affranchir de l’exploitation-domination. Ces discours justifient, même s’ils ne le croient pas, et légitiment le système actuellement dominant. Un lecteur le déclare clairement dans son commentaire. Il affirme : "Tous les pays développés ne l’ont été que grâce à l’exploitation, la confiscation des terres, les massacres, la spoliation sans lesquelles l’accumulation eût été impossible."

Cette assertion, tirée d’une observation de Marx, dans "Le Capital", était correcte à son époque. Mais, depuis, des expériences ont pouvé qu’une accumulation est possible en excluant domination et exploitation au profit d’une coopération solidaire. Le cas le plus exemplaire a été l’expérience espagnole des "collectivités" entre 1936-1939.

Voici donc comment un citoyen, certainement de bonne foi, est conditionné à justifier, par ignorance historique, le système dont il est victime. Ce lecteur conclut : « Non, notre problème n’est pas dans l’interprétation ou dans la relation de l’histoire, il ne s’agit pas de remplacer les indus héritiers par les ayants-droits : il est ailleurs. En clair ce n’est pas en lui faisant mordre sa queue à l’histoire qu’on sortira de l’auberge !... »

Et voici comment le refus de connaître la vraie histoire est présenté comme une revendication légitime, comment sont confondus les "indus héritiers" et les "ayants-droit". Autrement dit, usurpateurs-faussaires et authentiques combattants pour l’établissement d’une société libre et solidaire, c’est kif-kif ! Vouloir enfin écrire l’histoire de vaincus, ce serait adorer un nouveau "Veau d’Or", affirme le lecteur. Lui préfère le veau d’or de son "individuation". Significatif exemple d’une mentalité d’esclave qui se cache derrière le paravent de l’"individuation". Autrement dit, c’est le "chacun pour soi !" dont j’ai parlé auparavant. Ce qui se manifeste par ce comportement : puisqu’il y a eu, il y a, et donc il aura toujours d’une part les dominés-exploités, et, d’autres part, leurs victimes, eh bien il ne me reste qu’à m’arranger pour me placer là où il faut. Et amen ! Que chacun se débrouille ! Et comme disaient Nixon et Tatcher, comme déclarent aujourd’hui Décameron ou Trump, et, avant tous ces « chefs », les idéologues du passé : Celui qui est dominé-exploité en est responsable ! Il n’a qu’à s’arranger pour devenir un dominateur-exploiteur ! Notre libre et démocratique société le permet, elle offre toutes ses chances à celui qui sait les prendre (entendons : le malin, le rusé, le cynique, l’égoïste, le cruel, bref celui qui pense uniquement à son seul intérêt, sans se soucier de celui des autres).

Toute cette conception provient d’une ignorance de l’histoire, causée par le refus, l’incapacité ou la fainéantise de déployer les efforts pour la connaître. Il n’y a pire ignorant que celui qui ignore son ignorance, disait plus ou moins Socrate.

Voici un exemple des ravages de l’ignorance qui ignore son ignorance. On voit un film hollywoodien sur la révolte des esclaves de Spartacus, ensuite on s’efforce de lire quelques brefs articles de journal sur le sujet, enfin, on lit une brochure superficielle ou l’évocation de cet événement dans un livre plus « savant », peut-être de Marx ou Engels. Et voilà ! On parle de cette révolte d’esclaves avec aplomb, comme si on en connaissait tous les aspects, causes et conséquences immédiates et lointaines. L’Ego, toujours en action, nous berce de l’orgueilleuse illusion de savoir tout ce qui est nécessaire pour affirmer péremptoirement.

Un second commentaire de lecteur, Rabah Benali, est un exemple significatif. Il part d’un fait incontestable : trop de personnes ont utilisé et abusé du titre de moudjahid pour s’emparer illégitimement de biens matériels. Et il arrive à cette conclusion : une "dé-moudjahdinisation" profonde à très long termes. »

N’est-ce pas, ainsi, confondre authentiques et faux moudjahids ?… Par conséquent, rejeter le bébé avec l’eau sale ?… A qui ce raisonnement profite ?… C’est, encore là, une manière de tomber dans le piège des usurpateurs-faussaires : il est dans leur intérêt que soient confondus vrais et faux ex-combattants de la guerre de libération. Ainsi, seront oubliés et éliminés les vrais. Et les faux peuvent exploiter et dominer à leur aise.

Dès lors, ne nous étonnons pas qu’en Algérie, par exemple, la lutte de libération nationale a été et demeure falsifiée pour légitimer la domination des vainqueurs. Quant à la période d’autogestion ouvrière et paysanne, qui donc en parle, même parmi l’"élite" algérienne la plus "progressiste" et "démocratique" ? Il est vrai que l’autogestion dérange et infirme le schéma marxiste conventionnel, privilégiant le "Parti" et son « Avant-garde », composée de « révolutionnaires professionels » (quel adjectif ! Et quelle implication bureaucratique et autoritaire il contient !)

Moi, aussi, je fus dans ma jeunesse un marxiste convaincu, un maoïste plus exactement. C’est-à-dire un ignorant qui ignorait son ignorance. Mais, ayant conservé avant tout le souci du peuple laborieux, j’ai fini par comprendre mon erreur. Ainsi, j’ai pu apprécier l’autogestion et sa valeur précieuse, et donc être un peu moins ignorant.

Que les ignorants prennent le temps et la peine de lire l’histoire réelle, celle des vaincus, occultée par les vainqueurs. Ils verront comment ces derniers ont falsifié, tronqué et sali les actions de libération et de solidarité authentiques entre les citoyens du monde. Et cela depuis toujours et partout. Et cela même de la part d’un Karl Marx vis-à-vis de Joseph Proudhon et Michel Bakounine, même de la part d’un Lénine et d’un Trotsky vis-à-vis des authentiques militants des soviets (autogestion), tels Pierre Kropotkine, Stepan-Petritchenko, Makhno et Voline. Alors, on ne s’étonnera pas des actions similaires de personnages, de dimension infiniment plus petite, en Algérie.

Cependant, au vaincu dans son corps, exploité, emprisonné ou exilé, il reste son esprit. Depuis que l’espèce humaine a appris à penser, ses représentants les meilleurs ont dit, écrit et agi en sachant que tout peut être exploité et dominé chez l’être humain, mais pas son esprit, lequel active sa mémoire. Rappelons-nous l’anecdote de plus d’un militant de la liberté, emprisonné : "Entre quatre murs, je suis plus en liberté que la majorité des gens qui sont en dehors, parce que mon esprit, à moi, est demeuré libre de penser et de se souvenir, mais celui des autres n’est occupé qu’à subir ce que ses maîtres ont décidé."

Esprit libre signifie esprit qui prend la peine et le temps de connaître la vraie histoire de l’humanité. Non pas seulement pour écrire des livres ou faire des conférences, mais d’abord afin de posséder les leçons qui s’imposent pour lui-même, de manière à mieux comprendre comment agir dans le présent. Et ne pas être la stupide et dérisoire victime d’un conditionnement inconscient opéré par les vainqueurs du moment. Ce processus parvient à donner au citoyen l’illusion d’être libre et de penser librement, alors qu’en réalité sa pensée et son action ne sont que le résultat programmé part ses maîtres. Lisez donc "De la servitude volontaire" d’Étienne de la Boétie ! (librement télé-déchargeable sur internet). La pire des servitudes est celle qui s’ignore et s’érige en prétention de liberté, jusqu’à revendiquer le mépris de la mémoire des faits passés, en faveur d’une société humaine libre et solidaire. Les citoyens des Etats-Unis et d’Europe ne se considèrent-ils pas libres de pensée et d’action ?… Pourquoi donc connaissent-ils si mal l’histoire de l’humanité, notamment ses luttes émancipatrices ? Pourquoi votent-ils toujours pour leurs dominateurs-exploiteurs ? Pourquoi leur permettent-ils et soutiennent-ils leurs crimes contre l’humanité dans les pays militairement plus faibles ? (A suivre)

Kadour Naïmi

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Commentaires (30) | Réagir ?

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algerie

جزاكم الله خيرا

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messwar mess

MERCI

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