Officialisation de tamazight : le timbre de l’aliénation
Au début de l’année 2017, les postes algériennes ont émis un timbre pour célébrer le premier anniversaire de l’officialisation de tamazight en Algérie. La manière dont a été constitutionnalisée l’officialisation de tamazight a suscité des dénonciations, des réserves, des polémiques et… des soutiens. L’analyse de ce timbre contribuera, sans doute, à mieux comprendre l’idéologie du pouvoir politique algérien concernant la question identitaire amazighe dans le pays.
Puisque nous lisons de haut en bas, le premier mot à lire est "Algérie" en français, pour ceux qui ont acquis une latéralisation de gauche à droite, ou en arabe pour ceux qui ont un réflexe contraire (de droite à gauche). Cette dernière catégorie sociale est plus importante depuis l’arabisation de l’école. En dessous, on trouve l’intitulé du sujet en arabe : "Première année de l’officialisation de tamazight". Cet intitulé, qui s’étale sur presque tout l’espace de la largeur du timbre, est suivi (en dessous) de sa traduction en tamazight transcrite en caractères tifinagh. Le lecteur bilingue peut faire un aller retour en commençant par la droite (latéralisation de l’arabe). Les dimensions des caractères ne sont pas les mêmes : ils sont plus gras et plus épais en arabe et en latin qu’en tifinagh. Les caractères de l’intitulé du timbre en arabe sont les plus grands. Tout cela indique une volonté de hiérarchisation à intégrer dans le subconscient de celui qui voit ce timbre.
En poursuivant la lecture dans le même sens, on retrouve, tout en bas de l’image, l’inscription "Poste" en arabe en dessous de laquelle est indiqué le prix du timbre. Ces caractères sont plus petits et moins gras que ceux utilisés en haut (en arabe et en latin) mais ils sont plus "visibles" que ceux de l’inscription en tifinagh dont les caractères sont très fins.
En dessous de l’image, on trouve vers la droite le nom (en arabe) de l’artiste qui a réalisé cette "œuvre", Djazia Cherrih, et vers la gauche, toujours en arabe, l’inscription "Banque d’Algérie 2017" (imprimeur du timbre).
Pour lire les autres inscriptions, il faut placer le timbre sur le côté. En haut (côté gauche du timbre), on lit "1ère année de l’officialisation de Tamazight". Sur le côté opposé du timbre, on lit la traduction amazighe de cette inscription, en caractères latins, "Aseggas amezwaru n usenṣeb n tamaziɣt". Pour les deux inscriptions, les caractères sont de plus petite dimension que ceux des inscriptions en arabe mais les caractères de l’inscription en français sont un peu plus grands que ceux employés en tamazight. Ici, aussi, il y a une hiérarchisation linguistique : d’abord en français, puis en tamazight, et des caractères plus grands en français. Pour accéder à tamazight, il faut passer par le français. On relève que l’intitulé du sujet du timbre en tamazight, dans les caractères en usage réel dans la société (latin), vient en dernier après l’arabe, tamazight en caractères tifinagh (qui ne sont en usage que sur quelques devantures d’institutions), et le français. Cela dénote la place réelle de tamazight dans les faits.
En plus de tout cela, on note une erreur linguistique. Il aurait fallu écrire : "Aseggas amezwaru n usenṣeb n tmaziɣt" et non "… n tamaziɣt". Ce qui dénote le bricolage de l’institution et l’incompétence linguistique (amazighe) de l’artiste.
Pour célébrer la première année de l’officialisation de tamazight, on met en circulation un timbre où les inscriptions en arabe prédominent. Même le français, une langue catégorisée comme étrangère, occupe une place plus importante que tamazight. On retrouve le même ordre hiérarchique que celui des langues enseignées à l’école : arabe, français, tamazight.
La dimension symbolique au niveau linguistique, notamment avec l’occupation de l’espace et la hiérarchisation, sera complétée par une analyse rapide des motifs retenus pour cette image.
Le fond du timbre se constitue essentiellement du drapeau algérien, à gauche, auquel se greffe une carte représentant une partie du centre et la moitié est de l’Algérie vers la droite de l’image. Le drapeau dépasse, en dimensions, l’espace géographique représenté de l’Algérie. Cela peut suggérer au lecteur de cette "œuvre" que le drapeau est mis pour identifier le timbre et non le pays ou qu’il est placé ainsi pour baliser ce côté (l’Occident). L’auteure du dessin a "planté" sur ce fond d’image le "z" en tifinagh qui symbolise pour beaucoup tamazight. Placé nettement à droite de l’image, ce symbole apparaît en déséquilibre dans le même sens. Cette inclinaison vers l’est dénote une volonté de suggérer une orientation de l’amazighité vers l’Orient et le monde arabo-musulman.
Le déséquilibre du symbole berbère suggère une absence d’enracinement de l’identité amazighe dans ce pays. Les dimensions réduites (par rapport à l’ensemble de l’image) de la représentation de ce symbole suggèrent le rang de la place assignée à l’amazighité dans son espace géographique naturel par les gouvernants. C’est aussi la place "rêvée" et représentée par l’artiste qui a réalisé l’image de ce timbre postal.
L’étude des couleurs, qui constituent autre dimension symbolique, confirmera cette orientation idéologique.
Si les couleurs du drapeau algérien sont attendues puisqu’elles sont connues, celles utilisées pour le reste de l’image sont cohérentes avec l’ensemble de la symbolique mise en évidence plus haut. Pour ceux qui ont une latéralisation de gauche à droite (ceux qui lisent en français ou en tamazight), les premières couleurs qui s’imposent aux yeux sont les couleurs algériennes (celles du drapeau), ce qui "oblige" à ne voir tamazight que dans cet espace symbolique que semble baliser, aussi, la carte géographique représentée dans l’image.
La première couleur, le vert du drapeau, symbolise la communauté musulmane (la Oumma) : c’est ce qui lui a valu sa place dans le drapeau algérien. Cet espace en vert de l’image semble suggérer une fonction d’écran vis-à-vis de l’Occident. Le vert, une couleur réputée froide, est complémentaire du rouge, une couleur chaude, qui est aussi une des couleurs du drapeau. Il est aussi en "harmonie" avec le marron et la couleur sable qui occupent une place importante dans l’espace de cette image.
Pour celui qui commence la "visite" du timbre de droite à gauche (un sujet dont l’instruction arabisante prédomine), c’est la couleur sable qui s’impose à lui dans cet espace qui suggère l’Orient et le désert arabique. L’espace algérien représenté dans la carte est en marron, plutôt, clair. Cette couleur neutre se marie bien avec le blanc qu’elle prolonge. Pour ce qui entoure encore cet espace, le « sable » évolue graduellement vers le gris à la limite du blanc du drapeau. Il y a aussi une gradation à l’intérieur de "l’Algérie" : le symbole berbère planté dans cet espace est de couleur marron foncé (très proche du noir). Dans les couleurs du drapeau algérien il y a le rouge qui est une couleur chaude, comme la couleur sable : ces couleurs attirent le regard. Le symbole berbère, déséquilibré et quasi noir, n’est pas fait pour attirer pas le regard et ne suggère ni un enracinement profond ni un espoir d’avenir : c’est l’idée en est donnée dans cette image.
Les couleurs « amazighes", le jaune et le vert (celui dont la nuance symbolise la nature) sont absentes dans cette œuvre de la plasticienne Djazia Cherrih. Pourtant, ces couleurs ont été portées, symboliquement, par la JSK (Jeunesse Sportive de Kabylie) pendant longtemps pour être connues par tous les Algériens. Cette équipe de football a contribué, par une posture de porte-drapeau, à la quête identitaire collective des Kabyles, notamment durant les années où le peuple était interdit d’expression sur ce sujet. Certes l’officialisation de tamazight est censée répondre à la revendication identitaire berbère de tous les Algériens qui se considèrent encore comme des Amazighs, mais c’est la Kabylie qui a porté pendant des décennies, quasiment seule, cette revendication avec des luttes qui ont causé des dizaines de morts, des militants torturés, d’autres emprisonnés. Les enfants et les jeunes de Kabylie ont boycotté l’école, l’université et la formation professionnelle pendant toute une année (1994/1995). Cela ne mérite-t-il pas une reconnaissance ? Les autres régions amazighophones ne sont pas mieux loties dans cette "œuvre".
Hormis le petit "z", coincé entre le vert de la "Oumma" et le sable de l’Orient, cette image ne contient aucun motif ou symbole civilisationnel amazigh. Pourtant, ce timbre est censé commémorer le premier anniversaire de l’officialisation de la langue qui véhicule la civilisation amazighe. C’est vrai que l’artiste qui s’est vu confier le projet de ce timbre n’est pas connue pour une œuvre artistique référant à cette civilisation. Et cela devait convenir au projet de la Poste algérienne.
Il faut rappeler que le timbre postal est réputé comme étant un véhicule idéologique dans tous les pays.
Si on avait voulu être positif, on aurait pu trouver, par exemple, quelque portrait de Massinissa, ou de Mouloud Mammeri, à mettre sur ce timbre pour célébrer cet événement. Mais, pour l’Algérie officielle, l’histoire du pays commence avec les invasions arabes présentées comme un apport civilisationnel positif et fondamental !
Ce timbre, qui est censé célébrer le premier anniversaire de l’officialisation de tamazight en Algérie, montre, en fait, le véritable statut accordé à cette langue : un "sous-timbre" pour une langue "sous-officielle" ou une "sous-langue" officielle. C’est un cadeau du gouvernement algérien pour ceux, parmi les Amazighs, qui ont soutenu ou applaudi sa décision de sous-officialiser tamazight en 2016. Et un défi pour les militants de la revendication identitaire : le déni persiste ! C’est toute la considération que peut avoir un régime arabo-islamiste pour tamazight et les Amazighs dans leur propre pays.
Nacer Aït Ouali
*Cet article est déjà paru dans la cyber-revue Ayamun n° 88 (mars 2017) sous le titre : "Un timbre qui colle à l’idéologie officielle algérienne".
Commentaires (4) | Réagir ?
thanks for this beautiful article
Ô qui'il est beau !! le symbole de notre liberté.