Les bureaux d'études algériens écrasés par l'économie rentière
Le gouvernement de Abdelmadjid Tebboune compte réactiver les projets gelés par son prédécesseur Sellal. C'est ce qu'il a décidé et déclaré devant les députés au cours de la présentation de son plan d'action devant les deux chambres du Parlement.
Le Premier ministre a fait montre d'une forme d'assurance peu habituelle, en soulignant que l'Algérie dispose des fonds nécessaires pour remettre sur la table les projets d'investissements publics (infrastructures et équipements) gelés depuis 2015. Mais, curieusement, Tebboune dit s'appuyer sur l'argent liquide des opérateurs informels et sur des financements non conventionnels faisant appel à la planche à billets.
Il faut bien se rendre à l'évidence que la première source - le marché informel - n'est pas du tout acquise, même si elle brasse quelque 40 milliards de dollars de transactions et qu'elle représente près de 45 % du PIB.
La preuve de son "indisponibilité" est que les deux formules utilisées en 2015/2016 - à savoir la mise en conformité fiscale volontaire et l'emprunt obligataire - pour l'attirer dans les circuits réguliers, ont lamentablement échoué. Le nouveau Premier ministre en est même amené à "supplier" les détenteurs de capitaux liquides à participer à l'effort de développement national et à sortir le pays de la crise, en les assurant que l'on ne cherchera pas à connaître l'origine de leurs fonds. L'épanchement de sentiments a-t-il jamais eu une quelconque place dans le monde froid des affaires ?
La seconde source, qui recourt à la planche à billet, constitue un danger que les Algériens n'ont connu que trop sous l'ère de Chadli Bendjedid, à savoir l'inflation et le risque d'hyperinflation.
Par-delà la reprise ou la relance des projets gelés, auxquels Tebboune compte affecter un ordre de priorités, la grande problématique qui se pose et qui paraît inscrite dans une sorte d'une fatalité chronique, c'est bien la non-maîtrise technique des projets et de l'organisation managériale des entreprises; ce qui est à l'origine d'insupportables surcoûts pour le budget de l'Etat. L'on se souvient que des flux non négligeable de critiques ont été décochés, au cours de ces dernières années, en direction des maîtres d'ouvrage qui sont parfois amenés à réévaluer les projets jusqu'à 500 % de sa valeur initiale. Les rapports de la Cour des comptes, relatifs aux exercices budgétaires 2013/2014, sont explicites à ce sujet.
Cette façon de consacrer la mauvaise gestion et la dilapidation des deniers publics de façon "légale"- car la procédure de réévaluation est prévue dans la législation des marchés publiques- est souvent imputée à des études "non-maturées", sans que personne ne daigne à expliquer cette situation ou à en faire publiquement le procès.
Importation des études et expertises: 12 milliards de dollars/an
Mieux, ou pire encore, une facture salée de 12 milliards de dollars par an est payée depuis le milieu des années 2.000 pour importer des études et des expertises étrangères, dont la performance et la validité technique n'étaient pas au-dessus de tout soupçon.
Le président Bouteflika en avait même fait le procès en 1010, dans une directive adressée aux ministres et walis, soulignant qu'il s'agit là d' "études virtuelles ou fictives qui font l’objet d’un commerce auprès d’opérateurs nationaux. Ces derniers, mal informés, paient le prix fort en devises pour ces études". En tous cas, un certain nombre de projets d'infrastructures sont là pour témoigner du manque de fiabilité des prestations d'études commandées à l'étranger.
Après avoir investi près de 700 milliards de dollars dans les logements, les routes, les chemins de fer, les universités, les barrages hydrauliques, les hôpitaux,…etc., l'Algérie a visiblement tiré peu de leçons à partir des difficultés qui ont grevé la marche et la qualité des projets réalisés. Outre la faiblesse de l'outil national de réalisation- entreprises publiques et privées-, mise en relief au milieu des années 2000, et dont le constat a été maintes fois réitéré, la faiblesse et la fragilité caractérisant les bureaux d'études nationaux demeure un problème de fond auquel on n'a pas pu tracer de meilleures perspectives après que ceux qui sont supposés développer et mettre en pratique une expertise nationale, eurent été "battus à plate-couture" par l'importation d'études et d'expertises étrangères étalées sur une quinzaine d'années. Le montant annuel de telles dépenses dépasse celui de la facture alimentaire.
Les prestations portent sur des opérations de consulting, d'études techniques préliminaires relatives à la faisabilité, des études relatives à l'impact environnemental des projets, et d'études d'exécution dont se servent directement les entreprises de réalisation retenues pour les projets.
Outre les études livrées en documents graphiques, les prestations de ces bureaux étrangers portent également sur le suivi de réalisation en fonction des études. Donc, le marché initial avec le maître de l'ouvrage peut être limité à l'étude, supposant que le suivi fera l'objet d'une autre procédure de consultation; ou bien encore, le marché portera directement sur les deux segments- étude et suivi-, alternative généralement adoptée par l'administration maître d' l'ouvrage pour des questions de "commodité", sachant qu'un bureau d'étude ayant produit une étude sur un projet est supposé "mieux placé" pour conduire l'opération de suivi.
Le grand coup des… surcoûts
L'autre option - un bureau d'études suivant un projet dont l'étude est faite par un autre partenaire- risque de réserver des surprises dans le sens où le chargé de suivi peut, le cas échéant, remettre en cause l'étude. Mais, c'est aussi une option qui a ses avantages, du fait même qu'elle comporte ce risque de pouvoir remettre en cause l'étude initiale. La confrontation qui s'ensuivra, quitte même à ce qu'elle prenne une dimension contentieuse, passible d'un traitement judiciaire, serait une forme de "procès technique" qui dissuaderait bien des aventuriers à se lancer dans des études fantaisistes. Pourtant, c'est malheureusement à ce genre de phénomène - des études fantaisistes - qu'une partie des projets d'investissements publics algériens ont eu affaire au cours des ces quinze dernières années. Les preuves en sont fournies continuellement sur le terrain et par les observations qui émanent de hautes autorités du pays.
Il est de notoriété publique dans les cercles techniques que, lorsque les surcoûts engendrés par des études insuffisamment maturées ou carrément bâclées dépassent un certain seuil, généralement fixé à 20 % du projet initial, c'est toute l'étude qui est remise en cause. Cela appelle aussi des sanctions pour les partenaires d'études, aussi bien sur le plan de l'accès à la commande publique pour les consultations et avis d'appels d'offres suivants, que sur le plan judiciaire.
L'on se souvient que les ministres des Finances ont été plusieurs fois interpellés par les députés de l'APN sur les récurrentes réévaluations qui affectent, depuis plusieurs années, les marchés publics portant sur les infrastructures et équipements publics. On dénonce, à l'occasion, les multiples surcoûts qui grèvent le budget de l'État et les risques techniques (glissements, chutes, explosions,…) qui pèsent sur les ouvrages ainsi réceptionnés. Les ministres interpellés répondent presque machinalement en avançant la "non-maturité" des études. Cela entraîne inéluctablement des glissements successifs des coûts jusque, dans certains cas, à pouvoir financier un autre projet avec les rallonges budgétaires qui sont mobilisées. Indubitablement, cette façon de faire fausse aussi les calculs de la planification et oblitère l'esprit même de ce qui est appelé le "plan" (qu'il soit quinquennal ou autre). Les "correctifs" apportés aux prévisions budgétaires bouleversent complètement la donne suite aux différentes réévaluations.
Les malfaçons, les défectuosités, les grands risques avérés et les réévaluations financières dont souffrent les projets d'investissements publics ont pour origine principale la qualité médiocre ou le niveau insuffisant des études. Une part de ces dérives peut, le cas échéant, être attribuée à la phase de réalisation et du suivi; mais cela demeure minoritaire par rapport à l'enjeu des études.
Les bureaux d'études algériens restés à la marge
Dans toutes les dépenses consenties depuis le début des années 2000, presque aucun intérêt n'a été manifesté en direction des bureaux d'études algériens, publics et privés, qu'il s'agit de requalifier, réhabiliter et promouvoir, afin de les mettre au niveau des défis de l'heure.
Le potentiel national en matière d'études existe. L'Algérie a hérité d'un corps technique solide ayant exercé pendant les années soixante-dix et quatre-vingts du siècle dernier. Malheureusement, il a été "absorbé" et phagocyté par l'importation des études et expertises étrangères, y compris dans les domaines les plus banals; comme il a été également relégué à l'arrière-plan par l'économie de bazar qui a mis à genoux la plupart des entreprises publiques dans les années 1990. Certains ingénieurs ou techniciens algériens en sont réduits à quémander de la sous-traitance auprès de bureaux d'études étrangers qui ont acquis des contrats publics en Algérie. Le reste de la ressource humaine- y compris des cadres quinquagénaires- a choisi des cieux plus cléments, sous d'autres latitudes, là où le concept d'études revêt toute son importance.
Pour réduire au maximum la facture des prestations en études et expertises étrangères, particulièrement en ces temps de dèche financière, l'Algérie n'a d'autre choix que de réhabiliter son outil technique par une nouvelle organisation des métiers liés aux bureaux d'études, par la facilitation d'accès au crédit devant les aider à se mettre à niveau sur le plan technologique, par des incitations fiscales et par une politique de formation tous azimuts.
Amar Naït Messaoud
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