Bessaoud Mohand Arav, la singularité d’un berbériste visionnaire
Marc Bénet, fils de Jacques Bénet, raconte Mohand Arav Bessaoud comme nous ne le connaissions pas.
Ce court récit écrit sur le vif est l’histoire d’une amitié a priori improbable entre un Normand et un Kabyle. Marc Bénet raconte l’histoire de son père avec ce révolutionnaire particulièrement atypique. "Comment devient-on un grand ami des Berbères, lorsque l’on est le dernier-né d’une famille d’agriculteurs que l’on a vu le jour dans un petit village normand ?" C’est à cette question que tente de répondre Marc Bénet.
Jacques le père de l’auteur a suivi pendant la guerre d’indépendance les cours de berbère d’André Basset. L’Algérie, il l’a connu pendant la seconde guerre mondiale et il y reviendra plus tard. Donc il n’était pas un néophyte en la matière. L’auteur souligne avoir trouvé dans les archives de son père cet article "Que fait-on pour la langue berbère ?", signé de Taos Amrouche et publié le 17 décembre 1956 dans Documents nord-africain. Dans une note de juillet 1957, Jacques Bénet appelle "l’administration française qu’elle renonce à son projet de rendre obligatoire l’enseignement de l’arabe en zones berbérophone".
C’est à Paris, après avoir quitté le maquis du FFS en 1965 que Bessaoud Mohand Arav rencontre Jacques Bénet à Paris. C’était en avril. Dans histoire de l’Académie berbère, Bessaoud raconte : "J’étais agréablement surpris de me trouver en face d’un homme pour qui je n’avais pas à justifier par une leçon d’histoire mon identité berbère. Il peut en effet vous entretenir avec aisance des Capsiens et des Ibéro-maurussiens, des Almoravides et de Almohades, des Kabyles et aussi des Touaregs…".
C’est dans ce contexte qu’il rencontre Mohamed Arkoun auquel il expose l’idée d’une académie berbère. Ils tombent d’accord. Mohand Arav prend contact avec Taos Amrouche et Mohand Saïd Hanouz. La première réunion pour la constitution de l’Académie a eu lieu au domicile de Taos Amrouche. A l’issue de la deuxième réunion, le dossier de fondation de l’Académie est constitué. C’est là que Jacques Bénet intervient pour obtenir le feu vert du ministère de l’Intérieur. C’est Abdelkader Rahmani qui sera le premier président. Ancien officier de l’armée française, Abdelkader Rahmani a démissionné avec éclat pour signifier sa désapprobation de la guerre menée en Algérie.
En 1968, l’Académie connut sa première crise. Selon l’auteur, Rahmani a tenté d’évincer Mohand Arav Bessaoud auquel il reproche d’être « trop activiste ». Avec le soutien de Hanouz, Bessaoud ne se laisse pas faire. Il crée l’Académie berbère –Agraw Imazighen. Pharmacien de profession, Mohand Said Hanouz est désigné président et surtout le principal soutien financier de Mohand Arav. Car il faut rappeler que Bessaoud se consacrait entièrement à la cause de l’identité amazighe.
Le 14 janvier 1970, Austin Ibazizen accueille chez lui une réunion de la commission linguistique de l’Académie berbère. En avril 1970 (quelle coïncidence !) est sorti le premier bulletin de la Revue Imazighen. Dans l’éditorial Mohand Arav Bessaoud écrit : « Nous sommes en effet nombreux à penser que le jour où les femmes berbères seront arabisées, notre culture s’estompera graduellement pour finalement disparaître. C’est du reste dans ce but que le plan algérien d’arabisation fait la part belle à la Kabylie ». Un alphabet de tifinagh avec aménagement des anciens caractères est publié second numéro de la revue.
Mohand Arav Bessaoud commence à avoir de sérieux problèmes de santé dès 1970 avec une pleurésie qui l’oblige à de longs séjours loin de Paris et des siens. Dans la foulée, apparaissent aussi les premiers différends entre Bessaoud et Hanouz au sujet de la grammaire à adopter. Mohand Said Hanouz a publié un livre dont Mohand Arav n’hésite pas à contester la validité scientifique. Hanouz met la pression sur lui sachant surtout qu’il est son soutien financier.
En 1975, le groupuscule les Soldats de l’opposition algérienne(SOA, anagramme de OAS) tente de prendre le contrôle de l’académie berbère . Mouloud Kaouane (appelé aussi Noël Kaouane) qui se pique d’être un opposant, a créé cette organisation où l’on retrouve quelques militants sincères comme Smail Medjber, Mohand Haroun, des harkis, des pieds nickelés, pieds noirs, escrocs …
Mohand Arav a très vite senti le coup monté. Dans son livre sur l’Académie berbère, il qualifie Kaouane de petit escroc retourné par la Sécurité militaire algérienne en 1968. Avant la séquence SOA, selon Bessaoud, Kaouane a convaincu Hanouz et quelques autres de créer un front berbère de libération. Mohand Arav prend ses distances et dénonce la connivence entre Kaouane, pieds noirs et harkis.
Le 3 janvier 1976, une bombe éclate devant l’imprimerie d’El Moudjahid, elle a fait plus de bruit que de dégâts. A Constantine, la bombe qui devait toucher le tribunal militaire est désamorcée à temps. Très vite, les médias du parti unique s’enflamment. Les premières arrestations sont opérées avec une célérité qui laisse planer quelques doutes. Les premiers aveux sont reproduits dans la presse. Le poseur de bombé présenté comme étant un Français était en réalité un jeune Algérien. Le Service de renseignement extérieur français est évoqué (Sdece) mais très vite, on change de version. On évoquera le SOA, des militants berbéristes et l’OAS : l’amalgame est explosif en effet.
Mohand Arav Bessaoud voit le coup venir et rédige un tract pour se démarquer de l’opération. "Dans quel but Boumediene a-t-il accusé la France ? En outre pourquoi Noël Kaouane a donné consistance à cette accusation en ne révélant pas la véritable identité de son «terroriste» ? Beaucoup pensent qu’il y a eu collusion quelque part. Nous le pensons aussi. A bas les menteurs ! Vive l’Algérie libre et algérienne !", écrit-il.
Les relations entre Alger et Paris sont des plus mauvaises. Les autorités algériennes font pression sur la France pour neutraliser l’Académie berbère. Mohand Arav est traqué, surveillé à Paris par des agents de la SM. Il se fera piégé grâce à la complicité d’un couple kabyle et sera accusé d’extorsion de fonds. Mohand Arav est incarcéré le 27 mars 1978 à la prison de Fresnes. Jacques Bénet se démène comme un diable pour le faire libérer. Pour défendre le cas Bessaoud et la cause amazigh, il écrit au garde des Sceaux Alain Peyrefitte, au ministère des Affaires étrangères, au Sénat, à la présidence française. Jacques Bénet devient une sorte d’ambassadeur de la cause auprès des institutions françaises. Pour lui, son ami Mohand Arav ne mérite pas d’être incarcéré. Il alerte les autorités françaises sur la sensibilité de la cause que défend son ami. Mohand Arav sortira de sa détention préventive le 26 septembre très affaibli. En 1980, alors que le printemps berbère a éclaté en Kabylie, il lui faut quitter la France où il est mis sous pression. Jacques Bénet le conduit en Espagne en juillet. De là, il rejoint l’île Wight où sa femme Dorothy Bannon et son fils Yuba l’attendaient.
Ce n’est qu'en 1997 que Mohand Arav revient au pays grâce au travail de son comité de soutien. Le vieux maquisard de la cause amazighe est très malade, fatigué des multiples luttes qu'il a dû mener. Mohand Arav y sera accueilli avec beaucoup de ferveur par cette jeunesse qui avait lu notamment son livre "Heureus les martyrs qui n'ont rien vu". Le 1er janvier 2002, il s’éteind sur l’île de Wight où il était retourné après un séjour en Kabylie. L'homme était entier et sans concession. Il aura passé sa vie pour son son idéal : la renaissance de l'identité amazighe.
Au-delà des parcours militants, le livre est aussi un clin d'oeil assez fort à cette amitié entre un résistant français, Jacques Bénet, à un autre résistant algérien, Mohand Arav Bessaoud.
Hamid Arab
"Jacques Bénet Mohand Arav Bessaoud, histoire d’une amitié", écrit par Marc Bénet et publié chez les éditions du Cellier de B.
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