Associations : entre allégeance, grenouillage et simple faire-valoir
Pour asseoir sa politique budgétaire, tendue vers plus d'austérité - sous couvert de "rationalisation des dépenses" -, et pour espérer atténuer quelque peu les effets directs et indirects de la crise financière sur les population, le gouvernement de Abdelmadjid Tebboune compte associer les partis et ce qu'il appelle la société civile aux décisions qui seront prises dans un avenir très proche.
On compte faire… le décompte des vrais ménages nécessiteux afin, dit-on, de moduler les subventions au soutien des prix des produits de première nécessité. Cette nouvelle procédure, appelée "ciblage", requiert évidemment le recensement des foyers pauvres ou ayant de faibles revenus. Pendant que coulait à flot l'argent du pétrole, les pouvoirs publics n'avaient ni le temps ni disponibilité d'esprit de procéder à ce recensement.
Aujourd'hui, le seul pauvre "couffin du Ramadhan"- un panier de produits alimentaires que le ministère de la Solidarité met à la disposition des familles pauvres à l'occasion du mois de Ramadhan- pose des problèmes inextricables, étant même à l'origine de rixes, de traitement discriminatoire et de crises au seins des exécutifs municipaux.
Afin de préparer la loi de finances 2018 - avec le nouveau cran d'austérité qu'elle requiert - et procéder au ciblage des subventions, le gouvernement se sent trop seul, même s'il dispose d'une majorité confortable au sein de l'Assemblée nationale. Car, dans les faits, il sait que cette majorité ne reflète pas vraiment la société et est loin de consacrer le principe de la représentativité. Et c'est pourquoi, on tient à associer les autres instances, vues et admises tacitement comme les vraies représentations de la société. Il s'agit des partis de l'opposition, des syndicats, des organisations patronales et des associations. Cette dernière catégorie nous intéresse à plus d'un titre, attendu qu'elle a sollicitée et "utilisée" à chaque fois que le pouvoir politique et les institutions légales se sentent en difficulté.
Décidément, les pouvoirs publics soufflent le chaud et le froid sur le mouvement associatif. Après la nouvelle loi promulguée en 2012, et à laquelle toutes les anciennes associations étaient censées se conformer - faute par elles de s'exécuter, elles se verront dissoutes de facto -, des personnalités politiques et des animateurs du monde associatifs ne se sont pas empêchés de dénoncer les contraintes et les limites d'organisation et d'activités que leur impose la nouvelle législation.
Dans un pays où, déjà, une sorte d'écran opaque est dressé entre la jeunesse et la classe politique, il serait maladroit, voire dangereux, de continuer à fermer les horizons d'organisation libre aux jeunes. L'on sait depuis la nuit des temps que la nature a horreur du vide. Le vide dans lequel évolue aujourd'hui la jeunesse algérienne risque d'être rempli, s'il ne l'est déjà, par toutes sortes de dérives et de déviances sociales, et par un processus de marginalisation de la frange juvénile dans le processus d'intégration progressif dans le champ politique.
Plus de 10.000 associations religieuses
L'Algérie compte environ 100.000 associations, dont plus de 10 % activent dans le champ religieux. En révélant ces chiffres en 2014, l'ancien ministre de l'Intérieur, Dahou Ould Kablia, a reconnu que la majorité de ces organisations n'activent plus et qu'il ne reste que leurs dossiers poussiéreux sur les étagères du ministère ou des directions de la réglementation et des affaires générales (DRAG) des wilayas. La haute administration, instruite par cet état de fait, recourt à d'autres instances d'intermédiation, de statut informel, dès que les choses commencent à lui échapper sur le plan de l'ordre public, comme cela a été déjà vu en Kabylie et dans la région du M'zab. En réalité, cette pratique consistant à rechercher des "A3yen" (notables) dès que la situation commence à se corser, a été vérifiée dans d'autres régions du pays. Des walis préfèrent constituer leurs réseaux "associatifs" sur qui ils comptent pour maintenir l'ordre public et anticiper les troubles.
Ces supposés notables, dénichés dans la précipitation, se révèlent parfois comme des coquilles vides, ne représentant qu'eux-mêmes. Ils ont été propulsés par les événements et par…une espèce d'opportunisme. Dans le conflit qui a marqué la région de Beni M'zab depuis le milieu des années 2000- où une charte de la paix a été signée sous le patronage du ministère de l'Intérieur-, en Kabylie, lors des événements du Printemps noir de 2001, dans les wilayas du Sud lorsque le mouvement de contestation sociale risquait de devenir incontrôlable, pendant toutes ces occasions, le gouvernement s'est échiné à chercher des interlocuteurs valables, fiables, et crédibles pour apaiser les tensions, amorcer le dialogue et trouver des solutions aux conflits. Le pouvoir politique se voit contraint de verser dans des tractations informelles, avec des organisations officieuses, informelles; c'est un peu le pendant de la situation économique du pays oɣ près de 50 % de l'activité commerciale sont prises en charge par le secteur de l'informel, bien connu des structures de l'État.
Hégémonie de l'administration
Depuis qu'elle a été promulguée, la loi sur les associations (n° 12-06 du 12 janvier 2012), bien des acteurs du monde associatif n'ont pas cessé de la dénoncer et d'y relever une certaine ''hégémonie'' de l'administration lorsqu'il s'agit d'agréer ou de contrôler les associations qui se créent un peu partout en Algérie autour d'objectifs sociaux, culturels, professionnels, scientifiques, religieux, sportifs,…etc. Le fait est que, déjà, au sein même de la société, les regroupements de ce genre, en dehors même des problèmes ou contraintes de l'administration, sont devenus une denrée rare. Que les chiffres du ministère de l'Intérieur et des collectivités locales ou les statistiques des wilayas ne fassent surtout pas illusion.
De par le monde, le mouvement associatif est la celui par lequel la société respire le grand air de la liberté, organise ses forces et ses énergies et crée des contrepouvoirs efficaces contre les éventuelles dérives autocratiques. C'est la voie par laquelle la société assure sa promotion économique, sociale et culturelle, et surtout la promotion de la jeune génération. Le tissu associatif, issu des luttes syndicales, politiques, culturelles et sociales, est également le vivier et le giron du corps politique de la société. Contrairement à ce qui est plusieurs fois arrivé chez nous - où des partis politiques se donnent des appendices en créant leurs associations -, des associations ont donné des hommes politiques dans les pays de tradition démocratique, sans que le noyau originel ait eu à pâtir de cette filiation. Autrement dit, les objectifs assignés aux organisations associatives demeurent toujours les mêmes.
Lorsque l'État et la société se regardent en chiens de faïence
Cet état de fait, le moins que l'on puisse dire, est révélateur de la faillite des structures officielles de l'État et des instances élues. Que valent les partis dans des situations semblables ? Ils donnent parfois l'impression de s'impliquer, trop tardivement, lorsqu'ils sont surpris en flagrant délit de divorce avec la société, vivant dans une tour d'ivoire où ils constituent une clientèle du système rentier.
L'on peut, dans le même sillage se poser la question de savoir que valent les élections lorsque le poids des élus devient comme un fétu de paille dans les moments les plus délicats de la vie de la communauté, aussi bien à l'échelle d'une bourgade isolée que de toute une région, comme ce fut récemment le cas pour les wilayas du Sud.
La centralisation excessive des institutions et de l'économie du pays - ce qui signifie l'excessive centralisation de la décision -, la fraude électorale, qui discrédite même le personnel élu, la vision "policière'' de l'organisation et de l'activité associatives finissent par asphyxier les énergies saines au sein de la société. Cette dernière, prise comme un bloc anonyme, appelée à aller aux urnes pour cautionner une démarche ou une politique, impliquée - certes d'une façon très inégalitaire, mais toujours compromettante - dans le partage de la rente pétrolière, via des subventions, des pensions et le soutien des prix, est aujourd'hui menacée par ce que la sociologie appelle l'état d'anomie. Une espèce de grave dérèglement où disparaissent les solidarités familiales, fléchissent les sursauts salutaires et s'oblitèrent les capacités d'organisation. Il s'agit, en fait, de la perte d'autonomie par rapport à ce que Thomas Hobbes nomme le Léviathan, c'est-à-dire l'État, dans tout ce qu'il a d'autoritaire.
Un terrible déficit d'autonomie
Sur la centaine de milliers d'associations agréées, combien sont-elles sur le terrain, à accompagner la marche de la société ? Combien sont-elles à refuser de se soumettre au diktat de l'administration ? Les subventions accordées par les assemblées communales ou de wilaya, ou bien par l'administration centrale (ministères de l'Intérieur, de la Culture, de la Jeunesse,…) sont parfois vécues comme une invitation discrète à un ordre de "normalisation". Cela finit par donner des associations satellites, ou bien de l'administration, ou bien parfois encore, de certains partis politiques.
La course ouverte aux agréments pour les associations religieuses dénote un phénomène qui est loin de traduire la bonne santé de la société algérienne. Ouverte aux quatre vents (télévisions satellitaires, internet, prêches enflammés,…), elle subit les contrecoups d'un repli identitaire nourri par le déficit culturel et le vide politique que connaît notre pays. Cet état de fait est également sustenté par le système de la rente qui annihile les efforts de réflexion et avilit les valeurs de la formation scolaire et universitaire.
Si des associations sociales - portant aide et assistance aux nécessiteux, aux malades du cancer,…etc.-, et des associations culturelles-organisées sous forme de coopératives théâtrales ou gérant collégialement certaines activités (festivals, conférences, galas,…)-, ou bien encore, des collectifs défendant le cadre de vie et l'environnement, si ces entités continuent à honorer leurs missions du mieux qu'ils peuvent, souvent même dans l'anonymat, d'autres organisations, malheureusement, sont d'extraction factice, nées juste pour accompagner un parti ou pour approcher la machine à sous de l'État.
La maturation des luttes politiques et sociales, la décantation - longue mais inévitable - du champ politique national, le regard critique jeté sur ce qui se passe dans le monde dans le domaine associatif et, enfin, la revalorisation des valeurs éducatives de l'école, sont les conditions indispensables à la formation et à la promotion du mouvement associatif national, susceptible d'alimenter sainement la notion et l'esprit de citoyenneté bien assumée. Le parasitage actuel qui grève le tissu et l'espace associatifs fait partie de cette phase de perte de repères, d'interrogation et de recherche de soi.
Dans un tel capharnaüm, quelles sont les associations qui vont être sollicitées par le gouvernement pour "cautionner" sa nouvelle démarche économique et sociale basée sur l'austérité? Dans le cas où cela advient, que représentera, sur le plan de légitimité, cette forme de "caution" ?
Amar Naït Messaoud
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جزاكم الله خيرا
merci pour les informations