Les moulins à vent d’Alger
Bien sûr, chacun est libre de choisir ses batailles et la manière de les mener. Et la mienne, dans ce cas est celle-ci : dévoiler la supercherie d’un faux combat pour la libre conscience. Alger s’est mobilisé pour défendre l’honneur du romancier Rachid Boudjedra. Tant mieux suis-je tenté de dire.
Alger s’est mobilisée pour défendre l’honneur du romancier Rachid Boudjedra. Tant mieux suis-je tenté de dire. Mais, ma mémoire n’est pas encore suffisamment oublieuse pour me laisser aller à cette légèreté.
Rachid Boudjedra fut certainement une icône du communisme algérien, comme le fut aussi Tahar Ouettar à un moment. Cela forge une aura dans les milieux militants. Et, lorsque la consécration littéraire vient vous confirmer sur votre piédestal, la subjugation n’en devient que plus grande et tend vers l’ordre du divin.
Alors, je ne m’étonne pas de voir des chefs de partis, certains d’être dans le cours du fleuve, battre le pavé algérois pour défendre l’honneur bafoué, non pas celui de la Tribu, mais celui de Si Rachid.
Ennahar est une raclure médiatique, nul besoin d’attendre son irrévérence à l’endroit de Boudjedra pour la vilipender. Toujours cette foutue mémoire ! Les jeunes activistes de BARAKAT ont subi ses lacérations assassines sous les regards médusés de tous ceux qui se réveillent aujourd’hui. A l’occasion des déclarations de général en retraite Ben Hadid, elle a réédité la prouesse avec autant de cynisme. Aujourd’hui, cela a choqué, peut-être est-ce une bonne chose ?
Seulement, dans le cas de Rachid Boudjedra l’épisode Ennahar n’est qu’un moment d’une longue séquence qui dure depuis mai 2015.
A l’époque, il avait été l’invité d’un programme de la chaîne télévisuelle Echourouk. "Tu es l’accusé", tel est l’intitulé de l’émission. L’animatrice l’interroge sur ses convictions religieuses. Il accepte de répondre et s’assume athée, sur le plan philosophique, et communiste, marxiste, sur le plan politique. De mon point de vue, il est sorti grandi de cette émission. "Je refuse l’hypocrisie et je ne suis pas un hypocrite !". Chapeau bas ! m’étais-je dis à ce moment-là. Mais j’allais très vite déchanter….
Quelques jours plus tard, il était l’invité d’honneur du festival du film arabe à Oran. Dans le somptueux décor du Sheraton, sous le portrait géant du Régent et les applaudissements de spécimens de la caste, Boudjedra se rétracte et se déjuge. Je ne sais pas si, au fond de son être, résonnait la fameuse phrase de Galilée : "et pourtant elle tourne" ( E pur si muove!), mais le spectacle de ses contorsions était révulsant. "Je suis musulman et je défends l’Islam", a pris le pas sur "Je ne suis pas un hypocrite. Je préfère m’assumer mon Athéisme que d’être un musulman hypocrite".
Le communiste audacieux qu’il se voyait n’était plus qu’un trophée supplémentaire qui pendait à la ceinture de ceux qu’il vilipendait hier. Peut-être qu’il fallait voir là, déjà, qu’il n’a peut-être plus toute sa tête.
Concernant la déchéance de l’homme et de l’écrivain l’épisode actuel n’apporte rien de nouveau. La venue du frère du régent confirme, s’il le fallait, la mauvaise fin d’un parcours qui aurait pu être glorieux. Reste les soubresauts du microcosme algérois. Pour beaucoup ils tiennent d’un enferment temporel qui les fige dans une perception fantasmée et datée de l’Algérie des années 1970. Pour d’autres, ils traduisent l’ambivalence d’une impatience juvénile de voir se lever la vague salvatrice et d’une peur viscérale de voir le peuple en être l’acteur. Reste quelques-uns dont les motivations souterraines doivent certainement recouper des jeux en cours dans le sérail.
L’essentiel reste que la cause censée être défendue dans ce soubresaut ne l’est pas de façon conséquente. Boudjedra n’est pas Calas. Et, dieu sait si nos Calas sont nombreux. Des héritiers de l’Imamat de Tahert, premier Etat musulman sur notre territoire, persécutés aujourd'hui parce que Ibadites, aux Ahmadites désignés à la vindicte de la justice par un pouvoir défaillant devant le wahhabisme, en passant pas nos concitoyens chrétiens (évangélistes, oui) régulièrement arrêtés et jugés. Ceci, sans parler de nos concitoyens juifs dont l’existence et tue et cachée, et qui restent sous la protection de la France et des USA.
Boudjedra termine bien mal. Les bonnes consciences peuvent se rassurer en le défendant. Je refuse de souscrire à une telle fourberie.
Slimane Bouhafs vit le calvaire en prison. Les jeunes facebookistes sont oubliés de tous. Le Dr Kamel Eddine Fekhar et ses camarades, après des années de prison, sont renvoyés chez eux avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête… et on se donne bonne conscience en s’inventant des moulins à vent.
Mohand Bakir
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جزاكم الله خيرا
merciii