Algérie : pourquoi le "tous pourris" va prospérer ?
A peine nommé, le ministre du tourisme et de l’artisanat, Messaoud Benaggoune, a été limogé par le président de la République. A l’évidence, cela fait désordre le signalait un journaliste car la république n’apprend même plus de ses erreurs et par conséquent, elle s’expose à la répétition des mêmes méprises politiques, qui pour le moins, ternissent son image. Et à ce dernier de rappeler qu’en 2015, la présidence de la République a dû s’y prendre par deux fois avant d’obtenir la bonne copie de l’exécutif remanié d’Abdelmalek Sellal.
Pour le cas de l’ex-ministre du tourisme et l’artisanat, la lucidité et la vigilance ont semble-t-il manquées même si l’intéressé et la chapelle politique qui a proposé sa promotion se défendent des accusations qui leur ont été portées par les médias, notamment par Ennahar TV.
Des voix s’élèvent, pourtant, pour s’opposer officiellement, aux fuites dans la presse pouvant alimenter « une suspicion malsaine à l’égard des responsables politiques, notamment». Un argument partagé par ceux, de bonne foi, qui redoutent que la culture de la transparence ne tourne au nettoyage des écuries d’Augias et ne fasse qu’accentuer la fracture entre les citoyens et leurs gouvernants. Reste à savoir aussi si c’est l’excès de transparence ou une trop longue tradition d’opacité qui est à l’origine de cette culture du soupçon, que redoutent tant les politiques et qui amène les gens à penser que « Tous sont pourris ! ».
En tous les cas, l’affaire de Messaoud Benaggoune n’est pas close, elle feuilletonne et des questions subsistent :
1. Pourquoi la présidence de la république ou le gouvernement se montrent-ils aussi réservés et embarrassés pour expliquer aux Algériens ce qui a incité Abdelmadjid Tebboune à se séparer de son ministre du Tourisme et de l’artisanat, de manière aussi expéditive ?
2. Où se situent les responsabilités du grave préjudice causé au pays en termes d’image et de respectabilité des institutions ?
3. Pourquoi cette affaire a pris l’allure d’un scandale touchant le secteur du tourisme en plein cœur, à l’orée d’une saison estivale plus ou moins prometteuse au regard des multiples réalisations hôtelières inaugurées un petit peu partout dans le pays ?
4. A qui cela profite-t-il ?
Un gouvernement vient d’être mis en place ; de nouveaux ministres ont été installés. Et 14 autres, y compris le premier ministre ont été remerciés. Chacun d’entre ces responsables est astreint, normalement, par la loi de procéder à la publication de son patrimoine, ce qui permet de faire la comparaison entre le montant de sa fortune et ses biens au moment où il entre en charge, et le moment où il en sort. Cela permettrait, ainsi et surtout, de répondre à la question : "A-t-il profité de ses fonctions pour s’enrichir ?".
L’ex-président du MSP (Abou Djerra Soltani à l’époque), a reconnu implicitement, sur les ondes de la chaîne 2, que ni lui, ni aucun ministre de sa formation n’ont été soumis à cette obligation quand ils étaient au gouvernement. Il aurait ainsi déclaré : « Je suis pour la déclaration de patrimoine à condition qu’elle soit vraie, mais il faut savoir qu’aucun responsable en Algérie n’a de fortune en son nom (…) ; tous les biens des responsables algériens sont enregistrés sous des noms d’emprunts ».
Prenant un ton ironique, il a aussi dit à propos de certaines déclarations "minimisées" des ministres d’alors : "Le peuple algérien se réjouit de savoir que ses ministres sont pauvres".
Ce à quoi aurait répondu, l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi : « l’appréciation de Soltani sur la déclaration du patrimoine est d’une gravité qui interpelle les consciences des serviteurs et commis de l’Etat, quels qu’en soient la responsabilité ou le grade ; elle présente la corruption comme une fatalité et sa généralisation à ceux qui ont exercé ou exercent, encore, une responsabilité, comme une évidente réalité ».
Ailleurs, dans le monde, on réfléchit à la mise en place d’une "Haute Autorité chargée de contrôler le patrimoine des ministres et d’un parquet financier", ce qui apparaît comme une urgence, après des années d’atermoiement et d’une ferme volonté de moraliser la vie politique entachée par des scandales à répétition.
En Algérie, on a avancé un chiffre pour dire que 80% des grands commis de l’Etat et autres élus qui se sont succédés, toutes ces dernières années, ne déclarent pas leur patrimoine et conséquemment celui-ci n’a pas fait l’objet d’une publication ! Tous des pourris, pensent les algériens !
Il est intéressant de noter que dans ces cas-là, dans certains pays, européens notamment, c’est la cour des comptes qui prend sur elle de publier, sur son site internet, la liste des personnes n’ayant pas remis de déclaration de patrimoine initiale, après leur entrée au gouvernement ou à l’occasion de leur élection, ainsi qu’une liste de celles n’ayant pas remis de déclaration de patrimoine lors de leur cessation de fonction ou du non renouvellement de leur mandat électif.
En Algérie, la transparence et la moralisation de la vie publique, se sont-elles pour autant, inscrites au cœur du débat, avec l’affaire de l’ex ministre du tourisme et de l’artisanat ? Les algériens sont sceptiques, car bien après l’affaire de "Dounia parc" ou celle dite des "Panama Papers" où un ministre et non des moindres a été épinglé, ils ont le sentiment qu’on a à faire au "deux poids deux mesures", dès lors que les responsables incriminés n’ont pas été virés dans l’heure !
Les déballages, les affaires et tous ces procès d’intention arrivent au moment où le gouvernement est malmené par la chute du pétrole et la crise qui s’est installée dans le pays.
Contrairement à son prédécesseur qui donnait l’impression de naviguer à vue, Abdelmadjid Tebboune vient d’annoncer les grandes lignes de son programme gouvernemental à travers le triptyque "habitat-éducation-santé".
En d’autres termes, le premier ministre a décidé de mettre le citoyen au centre des préoccupations de son gouvernement, ce qui en soit est louable. Ceux parmi nos concitoyens qui ont accueilli favorablement sa nomination ont pris date avec ses engagements tout en espérant de sa part et de son gouvernement qu’une chose : qu’ils fassent leur métier avec la moralité et l’exemplarité exigées par leurs fonctions et surtout qu’ils disent la vérité au peuple algérien. Et pour cela, ils ne disposeront d’aucune période de grâce.
A défaut, les algériens continueront, de plus en plus, à manifester leur défiance au personnel politique, au pouvoir ou dans l’opposition, par une abstention encore plus massive au motif que "tous sont pourris".
Cherif Ali
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جزاكم الله خيرا
merci