Lorsque le graphe du pétrole devient une obsession
L'Algérie n'a d'yeux que pour le graphe du prix du pétrole sur les marchés mondiaux.
La crise des recettes extérieures qui frappe le pays depuis juillet 2014, supposée théoriquement orienter les efforts du gouvernement vers d'autres sources de recettes, via une diversification des investissements productifs, n'a pas réussi à détourner les yeux des gestionnaires de l'économie nationale du graphe de l'or noir sur les marchés de Londres, New York ou Singapour. Ce n'est pas un journal malintentionné ou un parti d'opposition aigri qui fait ce "reproche" au gouvernement, mais c'est l'ancien Premier ministre lui-même, Abdelmalek Sellal, qui révèle cette hantise.
Quelques jours avant d'être "débarqué" et remplacé par Abdelmadjid Tebboune, Sellal avouait aux Algériens, et ce, en pleine campagne électorale pour les législatives du 4 mai dernier, qu'il passait des moments difficiles et que, quelques jours auparavant - il précisait que c'était un jeudi -, il avait passé une nuit blanche à "réfléchir" à la manière de traiter la crise financière. Il dira alors au public de Médéa et aux citoyens qui le suivaient à la télévision: "Je ne dors plus. Jeudi passé, j'ai passé une nuit blanche. Ne croyez pas que je suis les chaînes de télévision, comme vous, pour regarder les films ou les infos. Je passe mon temps à suivre la chaîne Bloomberg pour prendre connaissance des fluctuations du cours du pétrole".
Le graphe du pétrole est devenu une obsession en ces moments de grande dèche, qui succède à plus d'une décennie d'abondance, de gaspillage et de corruption.
Le nouveau Premier ministre ne déroge pas à la règle, en donnant, quelques semaines avant sa désignation, une représentation bien imagée de l'illusion nourrie par la rente pétrolière, lorsqu'il a comparé l'intérêt accordé au prix du baril du pétrole à cette fièvre de la nuit du doute où est guetté le croissant lunaire du Ramadhan ou de l'Aïd. C'était au cours d'un entretien accordé jeudi dernier à la Radio chaîne 3 où il s'exprimait en tant que ministre du Commerce par intérim. Cependant, hormis la figure de style, le discours entendu ressemble à tous les autres discours débités par les officiels depuis des années, y compris lorsque régnait l'aisance financière, où rien ne pouvait contraindre les responsables et les gestionnaires de l'économie nationale à un minimum d'inventivité et d'esprit d'initiative.
Ironie du sort, c'est en se rendant à Genève pour défendre l'option de la reconduction de l'accord sur la réduction de la production de pétrole, afin d'en relever les prix et de maintenir justement le graphe du pétrole toujours souriant, que l'ancien ministre de l'Énergie, Noureddine Bouterfa, a été dégommé. Les voies du seigneur sont impénétrables.
Il a suffi que le président américain, David Trump, annonce, jeudi 1er juin, le retrait des États-Unis de l'Accord de Paris sur les changements climatiques- accord issu de la réunion de la COP21 à Paris en décembre 2015 -, pour que le baril continue sa chute au-dessous de 50 dollars.
Depuis que ce mouvement descendant a commencé en juillet 2014, il n'est plus correct de le qualifier de "conjoncture". Le mouvement s'inscrit dans une espèce de chronicité qui a ses raisons intrinsèques et extrinsèques. La géostratégie mondiale, l'option américaine du schiste, l'avancée continue, même si elle est encore timide, des énergies non-conventionnelles et renouvelables, les accès de faiblesse grevant des économies réputées fortes - à l'image de la Chine - et d'autres facteurs encore, ont décidé de maintenir le baril loin de ses sommets historiques des 140 à 150 dollars.
De son côté, l'économie algérienne est affectée par une crise structurelle de forte intensité, qui n'a été voilée et "édulcorée" que par ces moments fastes de l'embellie pétrolière. Aujourd'hui, la décrue des recettes pétrolières met à nu l'inanité du système économique algérien et l'expose à une fragilité historique qui déteint sur tout le corps social et les institutions de l'Etat. En d'autres termes, c'est la gouvernance générale du pays - telle qu'elle a été bâtie sur la rente pétrolière, le clientélisme, l'autoritarisme et la centralisation excessive du processus de prise de décision - qui ne cesse de montrer ses limites objectives.
L'Algérie n'a pas tiré de leçons particulières de la crise des revenus pétroliers de 1986, ni même, plus proche de nous, de la chute des prix de l'or noir de 2008/2009, ni à fortiori de la crise financière mondiale qui a commencé en 2007 et dont certaines séquelles sont encore visibles en Europe et en Amérique. Après toutes ces séquences, où se mêlent la crise du capitalisme mondial et l'esprit de sous-développement qui a pris en otage un certain nombre des pays du Sud, y compris les grands producteurs pétroliers, l'on continue à reluquer inlassablement du côté du baril et des oscillations de son graphe sur les marchés mondiaux. C'est dire que l'espoir de fonder une nouvelle économie n'est pas encore acquis.
L'on ne peut que remettre sur la table la question - une lourde interrogation, même - qui a été posée, en mars 2007, par un journaliste du quotidien espagnol El Pais au président Bouteflika au sujet des réformes économiques qui avaient tardé - et qui tardent toujours- à s'opérer.
"Grâce aux revenus des hydrocarbures, l'État algérien n'a jamais été aussi riche de son histoire. Vous avez mis en route des projets de développement, la création de grandes infrastructures, des logements sociaux, etc. Mais on a un peu l'impression que l'âge d'or que vous traversez vous incite à ajourner les réformes économiques. Est-ce vrai ?", interroge le journaliste. Le président: "Absolument pas. Le processus de réforme se poursuit. Il y va de l'intérêt du pays, car nous savons que la richesse pétrolière n'est pas éternelle. Il faut donc préparer l'après-pétrole".
Et on sait que l'après-pétrole n'est pas nécessairement la fin des réserves géologiques, mais c'est aussi tous les aléas et les grandes incertitudes du marché pétrolier, liés à la géostratégie mondiale, à l'exploitation des gaz et pétroles de schistes en Amérique et ailleurs et à l'accélération de l'accès aux énergies propres et renouvelables.
Amar Naït Messaoud
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Merci
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