Ramdane Youssef Tazibt (PT) : "Que viennent faire des hommes d'affaires dans l'Assemblée ?" (II)
Ramdane Youssef Tazibt, réélu député d'Alger et secrétaire national du PT. Figure de proue du Parti des travailleurs, il répond ici avec franchise sur les législatives dernières et la situation du pays.
Le Matindz : Qu’augure la présence de 79 députés du FCE au sein de l’APN ?
Ramdane Youssef Tazibt : La première question à se poser c’est que viennent faire un nombre aussi impressionnant d’hommes d’affaires dans une assemblée législative ?
D’évidence ils cherchent une immunité/impunité. Plus que ça, lorsque nous savons que c’est une Assemblée de ce type qui a destitué la présidente du Brésil, Dilma Russeff, nous avons exprimé des craintes de voir le même scenario se produire chez nous. Les mêmes causes produisent souvent les mêmes effets.
Bien sûr qu’ils voudront légiférer pour eux-mêmes. Ils ne font plus confiance aux partis et députés qu’ils financent à coups de milliards. Ils veulent prendre en charge leurs affaires eux-mêmes pour faire adopter des lois s’attaquant sauvagement aux acquis de l’indépendance et à ceux des travailleurs (santé, code de travail, remise en cause des subventions…).
Le Matindz : Malgré toute la bonne volonté de l’opposition, la donne ne change pas depuis plusieurs décennies, le pouvoir reproduit le même schéma de fonctionnement. Que cela soit sur le plan économique ou politique. Pour autant, vous continuez à soutenir le président, seule personne censée détenir les leviers du changement…
Nous avons soutenu des mesures pour lesquelles nous nous sommes battues à l’image de celles contenues dans la LFC 2009 (droit de préemption, arrêt des privatisations, contrôle du commerce extérieur, règle de 51/49…) ou encore la constitutionnalisation de tamazight sans référendum, la renationalisation des hydrocarbures, les plans de développements…
Nous nous sommes opposés, souvent seuls, contre plusieurs politiques : tentatives de privatisation des banques, des terres agricoles, les hydrocarbures, fermeture des entreprises, licenciements des salaries …
En toute circonstance, ce qui dicte au PT son attitude vis-à-vis du pouvoir c’est l’intérêt du pays et du peuple. Nous avons soutenu des mesures positives, mêmes partielles et parfois contradictoires mais nous avons continué en parallèle à nous battre sur nos propres positions et visions.
Nous ne sommes pas les adeptes de "tout le monde est pourri". Il y a au sein des institutions de l’Etat des patriotes et des non patriotes. Nous jugeons à chaque fois à partir de faits concrets, nous jugeons sur pièce.
Le Matindz : Le marasme politique et économique est palpable. Le peuple est resté indifférent aux législatives. Ce désintérêt ne découle-t-il pas du personnel politique et de la panne généralisée à faire démarrer le pays sur des bases saines ? N’est-il pas un désaveu de ceux qui nous dirigent ?
C’est incontestablement un désaveu pour le régime, gouvernement et partis qui le soutiennent compris. La majorité ne croit plus en un changement par des élections organisées par le système. L’abstention massive livre un message clair aux autorités : Nous nous croyons plus aux promesses creuses. Les citoyens ont exprimé un rejet clair et net du gouvernement et de ses partis qui ont d’ailleurs multiplié les provocations et mêmes les insultes contre les abstentionnistes. Ce qui est une dérive anti-démocratique et une pression intolérable sur la conscience des citoyen/électeurs qui sont libres de voter ou non.
Les luttes syndicales, populaires, estudiantines, jeunes … n’ont d’ailleurs pas arrêtées ni avant, ni pendant ni après le scrutin. La place naturelle du PT est dans ces mouvements de résistance au rouleau compresseur du gouvernement et des partis qui soutiennent cette politique qui va aller en s’aggravant. Suite logique du coup de force du 4 mai.
Le Matindz : Vous avez introduit des recours auprès du Conseil constitutionnel. Ils sont de quel ordre ? Et pensez-vous sincèrement que vous allez obtenir gain de cause ?
Nous avons introduit 25 recours concernant 25 circonscriptions électorales (wilaya). Nous aurions pu déposer plus si on avait un peu plus de temps. Tous ces recours sont accompagnés de centaines de PV, de faits, de vidéos, photos… démontrant la fraude généralisée qui a émaillé cette élection.
Le nombre de recours déposés auprès du Conseil constitutionnel est sans précédent (+ 300 recours) même les partis du gouvernement ont déposé des recours en nombre ce qui confirme, si besoin est, que nous sommes bel et bien en présence d’une mascarade électorale jamais connue en temps de paix. C’est ce qui nous a amenés à parler d’élections à la Naegelen, du nom de l’ex-gouverneur colonialiste qui spolié les partis indépendantistes algériens de leur victoires électorales.
En 2012 sur des dizaines de sièges spoliés, le PT a récupéré 06 sièges après les recours déposés au Conseil constitutionnel. Nous savons que dans plusieurs wilayas nous avons eu des sièges (fiefs électoraux traditionnels du PT) comme Guelma, Oran, Annaba, Chlef, Taref, Blida, Mostaganem, Sidi Bel Abes, Alger, Constantine, Skikda… Dans certaines wilayas nous avons occupé la première place avant de dégringoler par le fait de la fraude.
Le Matindz : Les dernières mandatures ont montré que l’APN est une espèce de chambre d’enregistrement. Quel pouvoir, selon vous, pour une assemblée dans un système politique hyper-présidentialisé ?
Malgré le système présidentialiste, l’APN possède des prérogatives pour peu qu’elle les utilise. Le problème est dans sa composante (près d’une centaine d’hommes d’affaires y siègent) et dans la forme de son élection (la fraude). Peut-on raisonnablement dire que ces "députés" feront autre chose qu’être au service des forces, notamment l’argent sale, qui les ont cooptés. La majorité parlementaire tue dans l’œuf toute initiative parlementaire de l’opposition. Initiatives qui n’arrivent même pas en plénière car le bureau de l’APN, obtempérant aux injonctions de l’exécutif, agit en commission de censure.
Malgré ce climat hostile, les députés du PT, de l’aveu y compris de nos adversaires, ont tiré leur épingle de jeu en respectant leur mandat. Ils ont répercuté tous les problèmes dont souffre la population laborieuse. Les députés du PT ont alerté, à chaque fois, l’opinion publique sur tout ce qui se tramait à l’intérieur de l’APN contre la nation et la majorité du peuple. Ils ont dénoncé, pris position contre toutes les attaques et agressions contre les acquis socio-économiques et démocratiques.
Ils ont constitué un point d’appui pour toutes les luttes syndicales et populaires. C’est justement cette politique indépendante qu’ont voulu sanctionner les auteurs de la fraude qui a ciblé le PT, qui s’en est sorti grandi de cette bataille électorale livrée de manière énergique et offensive, avec ses propres moyens et de manière indépendante.
Le Matindz : Louisa Hanoune, patronne du PT, a parlé de risque de putsch contre le président. Pouvez-nous nous éclairer sur cette déclaration ?
Ce qui s’est passé ces derniers temps s’est cristallisé le jour du vote par un coup de force aux relents putschistes. Le putsch est toujours destiné contre le pouvoir en place.
Il n’y a aucune autre explication et caractérisation à donner de ce qui s’est passé la journée et la nuit du 4 mai dernier. Des forces organisées ont agit de manière à empêcher l’expression libre de la volonté populaire (pour ceux qui ont choisi d’aller voter) et faire en sorte que la composante de la future assemblée soit celle qui a été dessinée. Une composante qui agira au compte de groupes d’intérêts privés contradictoires à ceux de la nation. Le coup d’Etat au Brésil et le processus de coup d’Etat au Venezuela ont été opérés à partir de composantes analogues à celle issues du scrutin (et non des urnes) du 4 mai.
Le Matindz : Les islamistes sont priés d’entrer au gouvernement. Y aura-t-il un ministre du PT dans le prochain gouvernement ? Autrement dit, êtes-vous disposés à intégrer le prochain gouvernement ?
Chaque parti est libre de faire de la politique comme il l’entend. Nous avons entendu des leaders politiques de cette mouvance déclarer être prêts à rejoindre une sorte de gouvernement d’union nationale, « nécessaire » disent-ils "pour mettre en œuvre une politique antisociale et antipopulaire".
Notre conception de la démocratie est différente. Le gouvernement doit être l’émanation de la volonté populaire librement exprimée. La constitution du gouvernement doit revenir au parti (ou partis) qui ont eu la majorité. Nous ne pouvons pas gouverner avec des partis qui ont des programmes diamétralement opposés à notre programme
Il n’y a aucun risque de trouver un membre du PT dans un gouvernement dont la politique consiste à broyer les acquis et conquêtes sociales, économiques et démocratiques du peuple travailleur.
Notre place est dans les luttes en cours, qui vont en s’accentuant contre justement la politique de guerre sociale et économique menée contre la majorité du peuple par le gouvernement actuel et celui à venir qui s’annonce non seulement dans la continuité du premier, peut-être même en rupture totale avec ce qui a prévalu jusqu'à maintenant.
Entretien réalisé par Hamid Arab
Lire la première partie : Ramdane Youssef Tazibt (PT) : "Ce qui s'est passé le 4 mai est tout sauf une élection
Commentaires (9) | Réagir ?
merci
merci pour les information