Ali Benflis : "Le 4 mai a été un véritable acte d’autodétermination citoyen"
Ali Benflis, président de Talaie El Hourriyet, a tenu une conférence de presse samedi matin dans laquelle il a fait une analyse particulièrement cinglante des dernières législatives. Extraits
(...) Il me semble utile et instructif que nous nous rafraichissions ensemble la mémoire en nous rappelant les grands mérites que le régime politique en place a attribué avec insistance et bravade à ces élections législatives.
Ces élections nous ont été présentées en premier lieu comme n’ayant rien à envier à leurs semblables dans les démocraties les plus avancées. Il n’y a que notre régime politique pour oser pareilles outrances visant à nous faire croire que nous vivons dans un ordre démocratique parfait et dans un Etat de droit solidement établi.
Ces propos ont tantôt choqué et tantôt suscité la moquerie. Il y avait de quoi car chacun d’entre nous sait qu’entre notre système politique et les systèmes démocratiques avancés, c’est le jour et la nuit. En effet, en matière de vie démocratique notre pays est très loin du compte au vu des places affligeantes qu’il occupe régulièrement dans tous les classements internationaux dédiés au respect des normes démocratiques universellement définies et admises.
Ces élections nous ont été présentées, en second lieu, comme destinées à concrétiser de manière éclatante les prétendues réformes légendaires introduites par la dernière révision constitutionnelle. Très peu ont été ceux qui ont cru à la pertinence et aux promesses de cette révision constitutionnelle. Et très peu sont toujours ceux que surprennent l’absence de changement et l’incapacité d’une simple révision constitutionnelle à venir à bout de la mentalité politique, de la culture politique, de la pratique politique, et des comportements politiques enracinés dans un système politique qui ne peut durer que sous couvert d’abus, d’arbitraire et de non-droit.
Ces élections nous ont été présentées en troisième lieu comme le miroir réfléchissant de la stabilité politique et institutionnelle du pays. Notre régime politique a son propre lexique politique. Ce qu’il appelle la stabilité politique et institutionnelle n’est pour le commun des mortels que de l’inertie et de l’immobilisme qui se propagent du sommet de l’Etat à tous les autres segments institutionnels de la République. Notre régime politique a aussi le culte de la forme. Que les élections se tiennent en temps et en heure lui suffit pour être un gage de stabilité. Et peu lui importe que ces élections se tiennent dans le contexte d’une impasse politique totale dont il s’échine à détourner les regards, d’une crise économique dont il ne sait plus comment dissimuler l’exceptionnelle gravité et d’une déstabilisation sociale menaçante dont il ne sait par quels moyens conjurer ses effets imprévisibles.
Continuons à nous rafraichir la mémoire ensemble et rappelons-nous qu’au plus profond de lui-même, notre régime politique savait parfaitement que son argumentaire ne tenait pas la route, qu’il n’était ni persuasif, ni crédible et qu’il ne faisait pas le poids face à la désaffection citoyenne qui se profilait à l’horizon et que l’on pressentait destinée à prendre des proportions inconnues jusqu’ici.
C’est ainsi que le boycott ou la non-participation aux élections sont devenus un cauchemar et une peur obsédante pour le régime politique en place. Pour sortir de ce cauchemar et pour se libérer de cette peur obsédante, le régime politique en place n’a pas lésiné sur les moyens, pour certains très peu honorables et pour d’autres franchement condamnables.
Rappelons-nous aussi que le boycott ou la non-participation aux élections ont été assimilés avec beaucoup de légèreté et d’irresponsabilité à un acte antipatriotique.
Rappelons-nous aussi que le boycott ou la non-participation aux élections ont été qualifiés de collusion ou d’intelligence avec des mains étrangères, toujours elles, car pour notre régime politique elles sont partout.
Rappelons nous en outre que même des maisons de Dieu ont été appelées à la rescousse pour édicter que le vote est un devoir religieux et un acte d’obéissance au Tout Puissant.
Rappelons nous enfin, que les partisans du boycott ou de la non-participation aux élections ont été traités de "Hraimia" - sauf votre respect- .
Le boycott ou la non-participation aux élections ont fait perdre au régime politique en place et à ceux qui ont parlé en son nom, à cette occasion, tout sens de la mesure, tout sens de la retenue et tout sens des convenances et du respect dus à des citoyens libres dans leur pays et seuls maitres de tous leurs choix.
L’abstention des trois quarts de l’électorat, c’est un coup de tonnerre dans le ciel déjà si lourd de notre pays. Qu’osera dire le régime politique en place maintenant ? Osera-t-il encore dire à cette écrasante majorité du peuple algérien qu’elle est composée de traitres à leur patrie, de valets de l’étranger, de mauvais musulmans ou encore de "Hraimia" ?
Osera-t-il encore dire tout cela, alors qu’il est lui-même seul responsable de la déconfiture électorale qui vient de s’achever et qu’il a fabriquée de ses propres mains de bout en bout ?
Le régime politique en place a voulu un simulacre de compétition électorale et il l’a eu.
Il a voulu aussi une parodie de scrutin et il l’a obtenu. Il a voulu des élections taillées à la mesure de ses desseins étriquées et il a eu gain de cause. Mais il n’a pas eu ce qui comptait le plus pour lui et qu’il désirait de toutes ses forces : que le peuple algérien joue les faire-valoir et accepte de lui servir de faux témoin, d’alibi et de caution. Le régime politique en place a écrit un scénario électoral à sa propre gloire, de son prologue à son épilogue, mais le peuple algérien a massivement refusé de tenir le rôle de figurant et d’élément de décor dans une pièce mal inspirée et de mauvais goût.
Tout cela s’est exprimé à travers des chiffres accablants, affligeants et honteux.
Premièrement, près des trois quarts de l’électorat ne se sont sentis concernés ni de près ni de loin par ce scrutin qui fera date dans l’histoire politique nationale. D’où viendra donc la légitimité même douteuse de la future instance législative ? Sur quelle base pourra-t-elle prétendre à la représentativité ? Et quelle sera la source de la crédibilité dont elle pourrait abusivement se prévaloir ?
Deuxièmement, l’abstention a eu des effets ravageurs sur ce scrutin. Les abstentionnistes ont formé le parti le plus puissant et le plus représentatif du pays avec 15 millions d’adhérents. Si ce parti pouvait être représenté il aurait pourvu l’intégralité des sièges de la future assemblée, il aurait formé le gouvernement à lui seul et il aurait disposé de la majorité plus que qualifiée pour réécrire la Constitution comme il le veut.
Troisièmement, le parti du vote nul est la seconde force politique du pays. S’il pouvait lui aussi être représenté à l’assemblée, il y compterait près de 200 sièges et il pourrait légitimement prétendre à diriger le gouvernement. Le Ministère de l’intérieur a compté plus de 2,1 millions de bulletins nuls. Le Conseil Constitutionnel en a revalidé plus de 350.000 mille, arrêtant ainsi le nombre de bulletins nuls à plus de 1.750.000. Comment une si grosse erreur a-t-elle pu échapper à la vigilance des services du Ministère de l’Intérieur ? Et quel usage a-t-il été fait de ce nombre considérable de voix qui ont été revalidées sans que les résultats globaux du scrutin n’en aient été affectés de quelque manière que ce soit ? Par quel miracle tout ce grand nombre de voix a-t-il été revalidés sans qu’absolument rien ne soit modifié dans la distribution des sièges ?
Quatrièmement, le parti arrivé en tête du scrutin n’a recueilli que 7% de l’électorat. Le parti arrivé en deuxième position n’a obtenu quant à lui que 4% de l’électorat. A elles deux, ces deux formations totalisent un peu plus de 11% du corps électoral. Pourtant, ce sont elles qui gouverneront, qui feront les lois et prétendront parler et agir au nom du peuple algérien dont les électeurs leur ont refusé leurs suffrages à plus de 89%.
Cinquièmement, 60 partis et listes indépendantes seront représentés au sein de la future assemblée dont 46 avec un ou deux représentants. Voilà des chiffres uniques dans l’histoire parlementaire de la planète. Voilà des chiffres dignes d’être immortalisés dans le livre Guinness des records. Voilà la situation calamiteuse à laquelle mène la politique irresponsable de distribution politico- administrative de quotas électoraux conçu comme instrument de récompense des allégeances et des clientèles et de sanction des insoumissions et des désobéissances.
Sixièmement, que dire de l’instance de surveillance des élections ? Tout a été dit par son propre président dont les constats sont sans équivoque, amers et accablants. Cette instance mérite plus la compassion que l’incrimination. Le régime politique en place ne l’a jamais conçue comme la gardienne suprême de l’intégrité des processus électoraux. La marge de manœuvre qu’il lui a concédée était extrêmement étroite. Elle a été donc dépassée par les enjeux et par les évènements depuis qu’elle a vu le jour. Elle a fait l’éclatante démonstration de son incapacité à assurer une compétition politique honnête et loyale et un scrutin en tout point inattaquable et irrécusable.
Au vu de l’ensemble de ces chiffres, il apparait clairement qu’une échéance électorale déjà futile et dérisoire a viré à la tragi-comédie. Et comme dans toute tragi- comédie, je ne sais s’il nous faut recourir à l’auto- dérision et rire de cette situation ou en pleurer tant est grande notre peine de voir notre malheureux pays continuer à être tantôt un objet de dérision et tantôt de commisération dans le monde entier.
Mesdames et Messieurs,
L’échéance législative n’a pas été le cadre d’une mais de deux compétitions politiques : une compétition politique mineure et une compétition politique majeure.
La première de ces deux compétitions politiques est secondaire et sans signification. Elle a rassemblé des forces politiques avec les résultats que l’on sait et dont personne ne peut être fier. L’enjeu en était simplement pour les compétiteurs politiques participants, le plus grand nombre de sièges à se voir octroyer dans la future assemblée.
C’est la deuxième compétition qui est la plus essentielle, la plus significative et la plus déterminante pour l’avenir de notre pays.
Dans cette compétition, il y avait d’un côté le régime politique en place et de l’autre le peuple algérien dans son ensemble. Dans cette compétition là, l’enjeu était autrement plus grand. Il s’agissait de la participation ou de l’abstention, de la mobilisation ou de la désaffection, de la confiance ou de la défiance et de la crédibilité ou du discrédit.
Dans cette compétition là qui est la seule qui compte, le régime politique en place a perdu et le peuple algérien a été le grand gagnant.
Je tiens ici à saluer avec considération et respect la leçon retentissante de maturité politique que les électeurs algériens ont administrée magistralement au régime politique en place ainsi qu’à l’ensemble de la classe politique algérienne. Je tiens aussi à rendre un hommage sincère à tous nos compatriotes qui ont bravé les insultes, les intimidations et les menaces pour dire au régime politique en place les vérités qu’il n’aime pas entendre et le mettre face aux réalités qu’il n’aime pas voir.
Le 4 mai 2017 sera retenu comme le grand moment d’un éveil patriotique et d’un sursaut citoyen.
Le 4 mai 2017, de manière pacifique, de manière civilisée, de manière civique et d’une manière confondante de finesse, d’élégance et d’intelligence, près des trois quarts des électeurs ont fait savoir au régime politique en place qu’ils ne croyaient plus en lui, qu’ils ne lui faisaient plus confiance et qu’ils n’étaient pas dupes de ses engagements non assumés et de ses promesses non tenues.
Le 4 Mai 2017, près des trois quarts des électeurs ont fait savoir au régime politique en place qu’il a échoué sur toute la ligne et qu’ils le tenaient pour le premier responsable de la situation désastreuse dans laquelle se trouve notre pays politiquement , économiquement et socialement.
Le 4 Mai 2017, près des trois quarts des électeurs ont dit tout haut et de manière explicite et ferme qu’il n’y a pas menace plus grave pour le pays que celle venant d’un régime politique qui persiste à le maintenir dans l’impasse politique totale au lieu de travailler à l’en sortir, un régime politique qui assiste en spectateur à l’aggravation de la crise économique et un régime politique qui ne sait quoi faire face aux périls de la déstabilisation sociale dont les signes annonciateurs se multiplient de partout.
Le 4 mai 2017, près des trois quarts des électeurs ont signifié au régime politique qu’il était vain de sa part de parier sur leur lassitude, sur leur essoufflement, sur leur passivité ou sur leur accoutumance aux faits accomplis pour atteindre le seul objectif qui lui tient à cœur, celui de tenir coûte que coûte et de durer le plus longtemps possible.
Le 4 mai 2017, près des trois quarts des électeurs ont refusé de servir de caution à l’entreprise d’affaiblissement de l’Etat national et de privation de ses institutions de la légitimité, de la représentativité et de la crédibilité sans lesquelles il ne peut pas y avoir d’institutions du peuple, par le peuple et pour le peuple.
En un mot le 4 mai 2017 a été la date d’une réappropriation de la citoyenneté par près des trois quarts des électeurs et d’une expression de leur volonté d’être des artisans de la construction de leur destin.
Oui le 4 mai 2017, nous avons, en vérité, été les témoins d’un véritable acte d’auto-détermination citoyen. Il y a eu un avant 4 mai 2017, il y aura un après 4 Mai 2017 dont nul ne doute qu’il ne sera plus le même. La citoyenneté a désormais fait irruption dans l’histoire de notre pays et elle tient son cours entre ses mains.
Al Benflis
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جزاكم الله خيرا
merci bien pour les informations