"La guerre, pourquoi ? La paix, comment ?" Bonnes feuilles (I)
A l’occasion de la publication de l'essai "La guerre, pourquoi ? La paix, comment ? Eléments de discussion aux gens de bonne volonté", écrit par Kaddour Naïmi, nous proposons hebdomadairement quatre extraits, dont voici le premier. Il fait partie du chapitre "Prémisse ou droit de pensée et devoir de mémoire".
3. Qui exerce et qui subit le pouvoir ?
Toujours et partout, à l'exception des anarchistes libertaires, on parle de « prendre » le pouvoir, et jamais de le « partager ». Même quand on déclare vouloir « partager le pouvoir» avec les citoyens, - c'est le cas des marxistes comme des libéraux -, l’intention n’est jamais réellement concrétisée.
A de très rares exceptions, la personne la plus révolutionnaire, la plus libérale, la plus généreuse, la plus altruiste, qu'elle soit dirigeant politique ou tout simplement concierge d'immeuble, quand elle occupe une position de pouvoir, se transforme généralement en dictateur, en égoïste, en égocentrique. Elle justifie son attitude par les motifs les plus invraisemblables, auxquels elle est la seule à trouver une légitimité. Comment, alors, s'étonner de la perte de confiance des gens dans un éventuel projet de transformation de la société, qui se proposerait l'égalité entre les citoyens dans la gestion de la société ?
Ce qui le [César] poussait à s'en prendre à tous les hommes, c'était le sentiment qui avait animé avant lui Alexandre et autrefois Cyrus : l'amour irrépressible du pouvoir et un désir insensé d'être le premier et le plus grand (1).
Cette observation ne s'applique-t-elle pas à n'importe quel dirigeant, non seulement au dictateur déclaré, mais tout autant au marxiste ? Et combien de dirigeants politiques libéraux ont quitté le pouvoir sans regret ? Existe-t-il d'autres exceptions que le Mahatma Gandhi et Nelson Mandela ?
Quel besoin, donc, pousse l'individu à désirer et à jouir du pouvoir sur ses semblables, pour se sentir valable, pour se croire important ?… La cause n'est-elle pas un vide, une déficience mentale, une tare psychique, une incapacité de se contenter de partager ce pouvoir avec ses semblables ? D'où peut venir cet handicap sinon d'une enfance malheureuse, ayant provoqué une blessure narcissique que l'adulte croit guérir par son accession à un pouvoir exercé sur les autres ?
De l'autre coté, quel besoin pousse un individu à se soumettre volontairement à celui qui détient ce pouvoir, que ce dernier ait été conquis par la force dictatoriale ou par le libre vote ?
En cas de dictature, quelle est la part de la crainte et celle de l'ignorance ?
Pour ce coup je ne voudrois sinon entendre comm'il se peut faire que tant d'hommes (...), tant de nations endurent quelque fois un tyran seul, qui n'a puissance que celle qu'ils luy donnent ; qui n'a pouvoir de leur nuire, sinon tant qu'ils ont vouloir de l'endurer ; qui ne scaurait leur faire mal aucun, sinon lors qu'ils aiment mieulx le souffrir qui lui contredire (2).
En cas de démocratie comme de dictature, qui a intérêt, autre que celui qui en tire des privilèges, à faire croire que la société peut fonctionner uniquement par l'existence d'une minorité qui gère le pouvoir, en prenant les décisions, et d'une majorité qui les exécute ?
Examinons le problème de manière particulière.
Dans toutes les des sociétés humaines, qu’elles soient sur une partie de la planète (voir l'un des Commandements de l’Ancien Testament) ou sur l'autre partie (voir les livres classiques de Confucius), il est ordonné aux enfants d'honorer leurs parents. Ne fallait-il pas ajouter que les parents doivent, eux aussi, honorer leurs enfants ?
De même, il est commandé aux femmes d'obéir aux hommes, aux épouses d'obéir aux maris. Ne fallait-il pas ajouter l'application de la même règle pour les hommes envers les femmes, et pour les maris envers les épouses ?
Enfin, il est prescrit aux citoyens de satisfaire la volonté de leurs dirigeants. Ne fallait-il pas ajouter que ces derniers doivent, eux aussi, satisfaire la volonté des premiers ?
Retournons aux êtres les plus faibles, les plus innocents : les enfants. Par jalousie amoureuse, Médée a puni son mari en égorgeant leurs enfants, qu'elle a ensuite offerts en repas au père. Pour entreprendre une action de guerre contre Troie, Agamemnon a égorgé sa fille préférée, Iphigénie, pour accomplir la volonté des dieux. Au nom de la foi religieuse, pour obéir à la volonté de son Dieu, Abraham accepta d'égorger son tout jeune fils.
Pourquoi Médée et Agamemnon sont généralement considérés des héros plutôt que des assassins ? Et, concernant l'action d'Abraham, combien sont sensibles et compatissants pour le traumatisme subi par son enfant ? Plus encore, combien se posent cette question : pourquoi un Dieu, dont la première qualité est la bonté, a voulu un tel geste ?
Concluons. En considérant toute l'histoire humaine, et notamment ce début de XXIème siècle, comment juger la domination, qu’elle soit dictatoriale ou démocratique, d'une minorité sur la majorité, et l'acceptation par cette dernière d'une telle situation ?... Est-ce là une manifestation d'intelligence, de rationalité et de civilisation, ou de manque de ces aspects ?
(…)
5. Religion
Les êtres humains les plus antiques, qui ont été découverts, remontent à environ deux millions d'années (l'Homo abilis, en Afrique) et 1,9 millions d'années (l'Homo ergaster, également en Afrique). Le Dieu des religions monothéistes s'est manifesté pour la première fois seulement voilà 5.000 ans, avec les dix commandements. Comment expliquer cela ?
Sur une partie de la planète existent des religions monothéistes. Sur l'autre face de la même planète, en Asie, la majorité des gens vivent sans les connaître. Que peut-on en déduire ?
Pourquoi Bouddha et Jésus (3) ont refusé d'utiliser la violence, même pour se défendre, et se sont abstenus de conquérir le pouvoir politique, pour accepter seulement le pouvoir spirituel ? Et pourquoi les partisans de Jésus ne l'ont généralement pas imité, et ceux de Bouddha ne se sont pas toujours conformés à la conduite de ce dernier ?
Dans le passé comme aujourd’hui, verser le sang au nom de l'amour d’une divinité (panthéiste antique, Dieu monothéiste ou déité hindoue, etc.), cela est-il conforme à cet amour ?
Qu'est-ce qui porte, au nom d’une divinité, à tuer ? Est-ce un commandement divin ? N'est-ce pas, en réalité, la disposition mentale subjective du croyant, puisque d'autres croyants à la même foi condamnent ce comportement ?
Dans l'histoire des religions jusqu'à aujourd'hui, qu'est-ce qui a porté et continue à porter les fidèles d’une religion à manifester plus de matérialisme que de spiritualité, plus d'égoïsme que de solidarité, plus de haine que de compréhension, plus de guerre que de paix ? A quoi et à qui ce comportement est imputable, sinon, en dernière analyse, au caractère individuel de ces fidèles, à leur histoire existentielle personnelle ? Autrement comment expliquer les jugements et comportements exactement opposés des fidèles d’une même religion, les uns justifiant la domination et le meurtre, tandis que d’autres privilégiant la coopération et la non violence ?
6. Identité
L’être humain n'est-il pas d'abord et essentiellement un humain ?… Dans l'affirmative, pourquoi la majorité des personnes, y compris celles qui disposent d'instruction supérieure, ont besoin de se définir non par l'identité qui leur est commune, mais d’abord par celle qui les différencie, utilisant celle-ci, généralement, pour s'opposer aux autres ? Ainsi, fonctionnent les identités suivantes : la situation économique (Nous sommes les riches, tandis qu’ils sont les pauvres), la position de pouvoir (Nous sommes les dirigeants tandis qu’ils sont les exécutants), la nationalité (Nous avons tel passeport, tandis qu’ils ont un autre), la couleur de peau (Nous sommes d’une belle couleur, tandis que les autres sont d’une couleur laide), le sexe (Nous sommes des hommes tandis qu’elles sont des femmes), la foi (Nous sommes d’une telle religion tandis que les autres sont des mécréants), les coutumes (Nous sommes les civilisés tandis que les autres sont des barbares), la culture (Nous savons tandis que les autres sont des ignorants), la prétendue « race » (Nous sommes aryens tandis que les autres sont de races inférieure ; nous sommes « hans » tandis que les autres sont des « minorités ethniques »), etc. ?
Tant que le besoin d’identité secondaire prime sur l’identité principale, peut-on éviter les guerres entre individus et les guerres entre peuples ?
Notes
1. Plutarque, Vies parallèles, ch. Alcibiade-Coriolan, Edizione Quarto-Gallimard, 2001, p. 1674.
2. Étienne de la Boétie, Le discours de la servitude volontaire, Edition Payot, Petite Bibliothèque Payot, Paris, 1993, p. 104-105. Cet essai, écrit au XVIème siècle, est une réponse fondamentale et classique au problème de la servitude volontaire. Pour les non familiers du vieux français du XVIè siècle, voici une traduction en français actuel :
“Dans ce dernier cas, je voudrais bien comprendre comment tant d’hommes (…), tant de nations endurent quelquefois un seul tyran, lequel n’a de puissance que celle qu’ils lui donnent ; n’a de pouvoir que de leur nuire, tant qu’ils veulent l’endurer ; ne saurait leur faire aucun mal, sinon parce qu’ils aiment mieux le souffrir que de le contredire.”
3; Si l’on ne tient pas compte, pour ce dernier, de deux déclarations qui lui sont attribuées dans des Evangiles : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais l'épée » et « Emparez-vous de mes ennemis et égorgez-les devant mes yeux.»
Le livre est gratuitement télé-déchargeable ici : La guerre, pourquoi ? La paix, comment ? Éléments de discussion aux gens de bonne volonté. (2016)
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