Elections législatives : la culture en rase campagne !

Azeddine Mihoubi, le ministre de la Culture, a déjà annoncé la drastique réduction du budget culture.
Azeddine Mihoubi, le ministre de la Culture, a déjà annoncé la drastique réduction du budget culture.

"Gens bien avisés, il nous reste un dé: C'est la culture, bien précieux / Gare à l'oubli! / La culture n'est ni à brader ni à hypothéquer." Aït Menguellet (1989)

C'est samedi dernier, le 29 avril, qu'est sorti dans les bacs le denier album de Lounis Aït Menguellet, un géant de la culture kabyle et algérienne qui célèbre cette année le cinquantenaire de sa production poétique. C'est un événement qui remet du baume au cœur de tous ceux qui sont déçus ou blasés par les discours électoraux de consistance nulle et qu'un chroniqueur vient de qualifier de "médiocrité médiocre". Sans doute que l'humour et le sarcasme contenus dans les desseins de presse et dans les chroniques ou billets, ainsi que la grande poésie, comme celle d'Aït Menguellet, sauront-ils venir au secours d'un public gagné par la lassitude et l'absence de perspectives.

À sérier les discours électoraux- véhiculés par les meetings, les interventions radiotélévisées, les prospectus,…etc.-, l'on est fondé à nous inquiéter sur l'avenir de la culture dans notre pays, sachant déjà que son présent ne brille par aucune espèce de performance, hormis quelques efforts individuels qui nous élèvent au-dessus des préoccupations strictement liées au ventre et au bas-ventre.

À entendre les harangues débitées sur les places publiques des villes, dans les salles de cinéma, dans quelques bourgades rurales et même à la radio et TV, l'on prend toute la mesure de la place que comptent réserver les futurs députés à la culture. Le plus ingénu des observateurs fera remarquer, au vu du "tout-venant" qui s'est présenté à la candidature à l'Assemblée nationale, qu'il ne peut en être autrement. En d'autres termes, le niveau politique et culturel des prétendants- ce qui ne signifie nullement une accumulation d'hypothétiques diplômes- laisse à désirer.

La culture va-t-elle continuer à être appréhendée par les hommes politiques comme la "cinquième roue" de la charrette ? C'est en tout cas l'impression qui se dégage de tout le brouhaha qui a prévalu à l'occasion de la campagne pour les législatives. Déjà, la campagne pour les présidentielles de 2014 avait bien montré la place peu flatteuse que tient la culture dans les programmes des partis politiques et dans les péroraisons qu'ils tiennent sur les places publiques. Il semble que les formations en question et leurs premiers responsables aient l'assurance de s'en tirer à bon compte et de s'être acquittés de leur devoir envers les électeurs, en leur promettant des logements, le nettoyage des quartiers et des boulevards, des emplois et d'autres actions relevant de la vie domestique pour lesquelles, pourtant, il disposent rarement d'une politique réaliste et cohérente.

Quant à la culture, elle demeure le parent pauvre de la politique nationale. Les déclarations, interviews et autres échos des prétendants au poste de député -ils sont plus de 12.000- que les chaînes de télévision et la presse écrite ont eu à couvrir, n'invitent pas à un excès d'optimisme en la matière. D'aucuns diront que c'est là une coutume qui ne dérange guère les esprits, sachant, pourtant, que, dans ce domaine précis de la vie, il s'agit peut-être de "déranger" justement les esprits engoncés dans une longue léthargie. L'ambiance et le milieu culturels algériens ont grandement besoin d'être secoués- non par une année de festivités budgétivores, comme en ont connu un certain nombre de villes algériennes déclarées "Capitales de la culture arabe ou islamique"-, mais par une politique culturelle cohérente qui investisse dans le fonds identitaire et historique algérien, tout en s'ouvrant sur le monde moderne, avec ses nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC). N'est-ce pas le sommet de paradoxe qu'une permanente nostalgie habite non seulement le public, mais également les créateurs, lorsqu'il s'agit de parler ou de débattre de cinéma, de théâtre, de chorégraphie, de littérature, de chanson et même de peinture ?

L'on a, à plusieurs occasions, assisté à des professionnels de cinéma faire état de l'impuissance des producteurs et réalisateurs d'aujourd'hui à atteindre les sommets des années soixante-dix du siècle dernier, lorsque des films de haute facture ont été produits, pourtant dans un climat de patente adversité politique, sous le parti unique. Au cours de ces dernières années, avec un multipartisme formel, à une étape des technologies avancées en matière de production culturelle, d'organisation de spectacles et de divertissement tous azimuts, et à l'ombre d'une aisance financière qui n'a fait faux bond qu'à partir de 2014, la jeunesse algérienne, laquelle représente plus des deux tiers d'une population forte de ses de 41 millions d'habitants, vit dans un désert culturel inédit.

Les quatre cents salles de cinémas héritées de l'administration coloniale, sont réduites à moins de trente à l'échelle du pays. La culture cinématographique, qui a connu ses heures de gloire avec des réalisateurs et des comédiens de talent, qui a pu se donner une revue de haute facture, "Les Deux écrans" (pilotée par Abdou Benziane, Mouny Berrah et d'autres rédacteurs), et une émission hebdomadaire à la télévision, "Télé Cinéclub" (dirigée par Ahmed Bejaoui), est devenue aujourd'hui un simple souvenir qu'on évoque dans des moments de grandes interrogations et d'inquiétantes impasses, et Dieu sait que ces deux fléaux sont aujourd'hui le pain quotidien des Algériens.

Naturellement, l'évocation nostalgique de la production algérienne des deux premières décennies de l'indépendance ne pourra pas faire avancer les choses aujourd'hui, à moins qu'il s'agisse de s'en inspirer pour espérer relancer la vie culturelle dans notre pays. Mais, pour tendre vers ce but, le minimum serait de poser le bon diagnostic et de fixer la place de la culture dans la vie nationale. Pendant toute la durée de la campagne électorale, on n'a eu droit qu'à des satisfactions béates en matière d'audiovisuel (création de chaînes privées qui, pourtant, peinent à justifier sur le plan culturel et intellectuel leur présence) et de création d'infrastructures (bibliothèques, nouvel opéra d'Alger, médiathèques, …), dussent-elles être boudées ou abandonnées.

La vacuité du champ culturel, que n'arrive pas à combler le semblant d'activisme mené par l'administration dans ce sport favori que sont les manifestations de prestige, servant plutôt des objectifs politiques, pèse lourdement sur la jeunesse algérienne. On ne retrouve pas ce malaise, cette perte de repères, cette recherche effrénée de soi qui prennent en étau les jeunes Algériens, dans les discours des prétendant à la députation. Pis, aucune espèce de solution, aucun plan de développement culturel, ne sont perceptibles dans les meetings. Avec un tel black-out sur ce qui est censé constituer la substantifique moelle de l'esprit de citoyenneté, l'on est quelque peu édifié sur le peu enviable sort qui sera réservé au domaine de la culture par la prochaine Assemblée.

En vérité, la couleur est déjà annoncée par le premier responsable de ce département ministériel, Azeddine Mihoubi, lorsqu'il a décidé en 2016 de réduire, sous couvert de "rationalisation des dépenses publiques", le budget des manifestations culturelles. On sait que la gestion de ce ministère a été mise à l'index et fortement critiquée par la Cour des comptes pour la période des années fastes, le milieu des années 2000 où avait officié Khalida Toumi. À l'époque, aucun député ni groupe parlementaire n'avait soulevé la question ni cherché à contrôler l'argent qui coulait à flot pour produire des milliers de livres, dont la majorité ne présentent aucune valeur culturelle établie, soutenir des films médiocres ou à valeur discutable, passer des marchés de fournitures ou de prestation de services sur lesquels pèsent de lourds soupçons. Le rapport de la Cour des comptes n'a eu aucune suite, ni judiciaire ni parlementaire.

Les producteurs culturels travaillent souvent seuls. En Kabylie, le mouvement associatif, y compris des collectifs qui n'ont aucun agrément de l'administration, se débat comme il peut pour animer la scène culturelle, lorsqu'on ne lui oppose pas des interdictions, comme celle qui a frappé le café littéraire d'Aokas.

Doit-on désespérer de l'engagement des futurs députés pour la culture ? À eux de démontrer le contraire. La crise financière ne doit pas être avancée comme argument-massue pour justifier l'inaction culturelle. Au contraire, ce seront les jeunes Algériens épanouis culturellement, formés à la bonne école, décomplexés sur le plan identitaire, qui travailleront, demain, au développement général du pays et qui pourront faire oublier le mythe lié à la rente des hydrocarbures.

Amar Naït Messaoud

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Commentaires (11) | Réagir ?

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chawki fali

Thank you very nice article

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gtu gtu

merci bien pour le site

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