Les "législatives" du 4 mai : pour faire quoi ?
En décembre 1991, il y avait les premières élections législatives pluralistes de l’histoire de l’Algérie. L’activité politique était bouillonnante. On profitait d’une ouverture politique récente.
On pensait, et croyait, que cela allait faire bouger une Algérie sclérosée par une trentaine d’années de parti et de pensée uniques. Mais le régime avait décidé que le pays devait faire du "sur place", à n’importe quel prix. Les élections furent annulées entre les deux tours. Les gouvernants savaient bien ce qui allait sortir des urnes avant l’élection, sinon à quoi servaient tous leurs services de renseignement ? Un coup d’Etat fut organisé et nous voilà sous un état d’exception. La première élection législative pluraliste a permis au pays de sortir de l’ère du parti unique pour le plonger dans un état d’urgence qui sera suivi d’une guerre civile qui allait durer une décennie environ.
C’était la première fois que j’ai voté.
En juin 1997, de nouvelles élections législatives étaient organisées. Le terrorisme était installé depuis quelques années déjà. Le contre-terrorisme, aussi. Une violence qui avait fait des dizaines de milliers de victimes. L’activité politique était extrêmement réduite du fait de l’état d’urgence qui était devenu permanent. Mais il y avait quand même des élections législatives pluralistes. C’était la proportionnelle par wilaya qui était adoptée comme mode de scrutin. Je n’étais pas vraiment convaincu de l’utilité de cette élection. L’opportunisme qui se développait dans les partis d’opposition, les parachutages, le mode de scrutin, le verrouillage politique et médiatique par le pouvoir étaient autant de raisons d’être pessimiste. Et puis, on préfère souvent ne pas se rappeler que le fait de voter pour un parti ou un homme politique ne nous met pas à l’abri de sa matraque (bénie par ce suffrage) dès qu’on manifeste un peu fort contre lui lorsqu’il est au pouvoir.
Les élections passées, les nouveaux élus au parlement deviennent, pour leur écrasante majorité, invisibles. Il n’y a pas de permanences parlementaires. Dans la réalité, c’est toujours le même régime politico-militaire qui dirige le pays. Le RND, parti créé le 21 février 1997, gagne les élections du 05 juin de la même année (après trois mois et demi d’existence !) en remportant 156 sièges sur les 380 que compte le parlement : le pouvoir avait voté pour lui et c’est ce qui avait été « décompté » vraiment. On comprend vite que ces députés de l’opposition sont plus utiles au régime, comme caution « démocratique », qu’au peuple qui les élit. C’était la deuxième et dernière fois que je votais.
Pour se perpétuer, le pouvoir en place depuis l’indépendance est prêt à tout. Il crée des partis-satellites ou partis-alibis à profusion. Des journaux sans lecteurs poussent comme des champignons. Il infiltre et « normalise » de tout parti qui s’inscrit vraiment dans l’opposition.
Lors des mandatures suivantes, les députés voient leurs indemnités et avantages augmenter considérablement. Les élus locaux, aussi, ne sont pas oubliés. Les parlementaires bénéficient aussi d’avantages en nature assez importants. L’argument avancé de mettre ces élus à l’abri de la tentation de la corruption ne tient pas la route. C’est l’éducation et l’engagement politique et idéologique qui sont les vrais remparts contre la corruption. Si un élu est à vendre, offrez-lui toutes les indemnités et tous les avantages que vous voulez, il sera corrompu. Cette augmentation des revenus des parlementaires est un coup fatal qui a été porté aux partis d’opposition.
Le FLN et son « fils » le RND sont au pouvoir. En plus des postes de parlementaires, et d’autres élus, ils disposent de moyens considérables pour attirer des cadres comme « militants » : diplomates, walis, chefs de daïra, directeurs d’exécutifs de wilaya, directeurs d’administrations centrales, recteurs d’universités et directeurs de grandes écoles, etc. Ils disposent aussi de réserves considérables dans les postes intermédiaires et subalternes de l’administration ou dans les entreprises publiques. Les entrepreneurs aussi se bousculent aux portes de ces partis par intérêt économique. Les réserves de ces partis en militants opportunistes sont immenses. Faire des campagnes électorales n’est pas un problème pour eux : ils disposent de la main d’œuvre nécessaire. Et des moyens financiers en conséquence. Ils rencontreront des électeurs « opportunistes » qui constituent leur clientèle. Les partis qui ont rejoint la coalition gouvernementale ont pu avoir des adhésions opportunistes à un moment de leur existence. Mais l’incertitude de ces coalitions ne peut pas être productive en adhésions qui s’inscrivent dans la durée.
Les partis islamistes disposent d’un immense espace de recrutement : les 18 000 mosquées du pays. L’opportunisme est différent de celui des partis au pouvoir. C’est le projet d’un Etat islamique qui est la source principale de la motivation, avec les conséquences pour les militants : le partage du pouvoir et des richesses. Et si cela augmentait les chances des militants d’aller au paradis, alors tant mieux. En plus de la pensée unique, ils ont un rêve unique ! Et cela leur facilite la tâche.
Les partis d’opposition, dite démocratique, sont les grands perdants dans cette histoire. Ne disposant ni de postes de travail à offrir à leurs adhérents ni de « clés du paradis » à partager, ils sont pris au piège tendu par le pouvoir. Le militant qui va faire la campagne d’un futur député devient rare, voire rarissime. Ces partis ont du mal à mobiliser des troupes dans toutes les élections. Le poste de parlementaire est très convoité : la rumeur publique rapporte que des candidats aux législatives payent des sommes très importantes pour figurer dans des positions éligibles sur certaines listes. D’autres achètent des voix à des électeurs, inconscients de leur acte, pour une poignée de dinars. Pour ces candidats, ce n’est qu’un investissement qui attend un retour. Ce n’est plus une élection politique mais une bourse ou une foire que le peuple observe.
Comme on se posait déjà la question de l’utilité du député, avec tous ces marchandages, on commence à voir un peu clair. Le mandat de député est utile pour celui qui en est investi. C’est ensuite utile pour le régime qui veut donner l’illusion d’un pouvoir démocratique.
Que font les députés ? Comme la majorité est toujours acquise au pouvoir en place, comme un héritage du parti unique, toutes les lois passent sans problème. Les quelques députés de "l’opposition" amusent la galerie avec des discours dénonciateurs du système ajoutant, ainsi, une autre illusion : la liberté d’expression. Que peut faire cette éternelle minorité, composée pour la plupart d’opportunistes ? La démission du député Mostefa Bouchachi en 2014 est une réponse intéressante : son geste était motivé, selon lui, par "l’impossibilité de faire son travail de parlementaire". Et lorsqu’on sait que pour être promulguée, une loi a besoin de la volonté et de la signature du président de la république qui peut, par ailleurs, modifier ou abroger toute loi, on se rend compte de la place réelle du pouvoir législatif dans le pays.
Le pouvoir finit par être pris par le piège qu’il avait tendu aux partis politiques. En discréditant l’activité politique transformée en lutte permanente pour des postes d’élus ou de fonctionnaires, le peuple finit par se détourner de ce spectacle indécent. Les électeurs se raréfient. Les électeurs opportunistes, ceux qui vendent leurs voix, ceux qui n’ont pas perdu leur réflexe ou la peur de représailles de l’administration ne suffisent plus pour faire une participation qui rende possible la manipulation des résultats tout en offrant la "caution" populaire à un suffrage dénué de sens et d’utilité par la volonté du pouvoir qui semble paniqué au point d’utiliser tous les moyens pour limiter l’hémorragie des électeurs. Il va jusqu’à interdire l’expression de ceux qui appellent au boycott ou à l’abstention : prétendre organiser une élection pour « consolider » la démocratie dans le pays et interdire la parole à ceux qui ne sont pas du même avis qu’eux ne semble pas constituer une contradiction à leurs yeux.
A côté de ce gouvernement énervé, il y a d’autres participants à cette élection qui "étripent" les abstentionnistes et les boycotteurs : on comprend que leur orgueil soit touché par le rejet des uns et l’indifférence des autres. Quand on sait que le narcissisme est la chose la mieux partagée par les hommes politiques, on comprend leur comportement agressif. On peut voir sur les réseaux sociaux que les boycotteurs ne ménagent pas leurs adversaires et usent des mêmes arguments. Cette ambiance donne une idée de l’esprit démocratique qui anime tout ce monde et de sa « force » de persuasion. La virulence des propos des uns et des autres présage de la force de la matraque qu’ils réservent au peuple le jour où ils accèderont au pouvoir. Les insultes et les invectives qui fusent de partout dénotent une absence d’arguments intellectuels, idéologiques et politiques. Pour rallier des citoyens à sa cause, un politicien doit avoir des arguments solides et faire preuve de pédagogie ; l’invective est contreproductive.
Si, dans les pays démocratiques, les citoyens ont des estimations de résultats d’élections à la sortie des urnes, en Algérie seul le "vote" du pouvoir compte vraiment et les résultats sont établis après la sortie des seules urnes des décideurs. Les témoignages de fraudes électorales dans le passé, y compris par de très hauts responsables politiques du pays de l’époque, discréditent les organisateurs de cette élection. Ils feraient tout aussi bien de désigner les députés et faire l’économie de cette farce électorale du 4 mai prochain.
Nacer Aït Ouali
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Merci
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