Le Pen, Macron et Oradour-sur-oued, oued de sang... (I) Par Md Benchicou

Le Pen, Macron et Oradour-sur-oued, oued de sang... (I) Par Md Benchicou

Emmanuel Macron, candidat à la présidentielle française, a pris l'initiative d'évoquer le massacre d'Oradour-sur-Glane où il sera ce vendredi 28 avril 2017. Il sera donc beaucoup question de ce massacre de civils français par les soldats allemands et qui a précédé de peu celui de Sétif par les troupes françaises. Et si on établissait un parallèle entre deux carnages qui ont marqué l'histoire de manière différente : Oradour-sur-Glane, lorsque la France tremblait sous le joug nazi; Sétif, le jour où cette même France dansait...sur les cadavres d'Algériens ? Oui, fallait-il que la mémoire fût si courte et la douleur si brève, fallait-il qu’Oradour ne fût qu’un cauchemar fugace pour qu’eux, les fils du deuil limousin, tuent à leur tour d’autres enfants innocents, ce jour où la France dansait ? À Oradour et à Sétif, les assassins allemands et français, comme effrayés devant leur propre barbarie, avaient caché à Dieu, aux hommes et aussi à eux-mêmes le spectacle de leur folie meurtrière. À Oradour, ils avaient enterré les cadavres dans des fosses derrière l’église, après les avoir recouverts de paille et y avoir mis le feu ; à Sétif, ils avaient creusé des trous semblables dans la forêt qui surplombe la ville, recouvert les corps de chaux avant de les y entasser, puis de damer le sol. Extraits du roman "Le Mensonge de Dieu" de Mohamed Benchicou (Michalon-Paris et Koukou-Alger 2011)

"Je n’avais retrouvé ni Aldjia ni Gabríl. Ma compagne et mon père avaient péri dans deux tueries inimaginables de férocité, et que seule pouvait imaginer la folie humaine : Gabríl dans le massacre d’Oradour-sur-Glane, lorsque la France tremblait ; Aldjia dans le carnage de Sétif, le jour où cette même France dansait.

– Ton père est mort au milieu de mille cadavres, m’avait dit Paolita.

Ce jour-là, Gabríl passait près d’Oradour. Il n’y allait que rarement. Dans le maquis limousin, l’ordre était d’éviter les villages de la région, surtout Oradour, trop proche de Limoges, trop ouvert, comme tous les villages de marché. Gabríl y connaissait Rodriguez et Paolita, un couple d’Espagnols républicains qui avaient trouvé dans ce bourg l’odeur de leurs Asturies. Mon père choisissait toujours le samedi pour se rendre à Oradour.

Ce jour-là, jour de marché, le village s’ouvre à ses chalands, aux foules voisines et aux gens de Limoges qui viennent pour l’emplette et pour les dernières nouvelles, par le tramway poussif, formant une belle cohue provinciale au milieu de laquelle Gabríl passait toujours inaperçu.

Ce samedi 10 juin de l’année 1944, Oradour s’adonnait à son rite avec une verve inaccoutumée. Au tumulte de ses paysans endimanchés et aux clameurs des citadins expansifs s’était ajouté le piaillement inhabituel des enfants des quatre écoles de la commune, rassemblés pour une visite médicale, et du café de la place parvenaient les rumeurs d’une ambiance particulièrement excitée. On y parlait du dernier exploit de la résistance limousine. Le commandant allemand Helmut Kämpfe, officier sanguinaire responsable de nombreuses exactions, avait été capturé la veille, à la tombée de la nuit, à l’entrée du village de La Bussière.

– Hé cabourds, parlez moins fort de ça ! insistait le patron du café.

– Ba pla, Dédé ! Toujours à rouméguer ! Qu’es aquo ? T’es devenu pignoufle ? Les Fritz prennent la rouste en Normandie, c’est fini ! Et puis, il ne vient jamais d’Allemands par ici, tu le sais !

Dédé avait hoché la tête.

– Me fas caga, Gaston ! Aussi fin que le gros sel ! T’es sorti de l’université de Breuilaufa ou quoi ? Les Fritz, ça a des oreilles partout !

Ce samedi noir, Paolita avait préparé une tortilla et Rodriguez lui racontait l’accrochage avec les hommes de Kämpfe, puis l’exécution du commandant nazi au milieu de la nuit.

– On dit que c’est Gabríl qui l’a descendu. De deux balles. « Une pour Belaïd et une pour Hanna ! »

Ils parlaient autour de la tortilla quand tout bascula.

– Les Allemands ! avait crié Rodriguez.

– C’était trop tard ! Ils encerclaient déjà la maison. Ils nous ont conduits dans la grande place du village…, me raconta Paolita en tremblant.

Ce jour-là, Gabríl passait près d’Oradour pour rejoindre la forêt du Bois-Sournet où était installé le maquis du communiste

Georges Guingouin dont il dépendait. Du village parvinrent alors des cris déchirants.

– Avançons, Gabríl, c’est peut-être un piège ! avait dit Xavier, le chef de patrouille.

– Non, je vais aller voir. Je vous rejoins après.

– Ton père et Rodriguez sont morts au milieu de mille cadavres, m’avait dit Paolita.

Mille cadavres. Les cadavres des enfants et des femmes d’Oradour ; les cadavres des hommes incrédules et ceux des gens de Limoges. Oradour-sur-Glane, un jour de marché, quand montaient, des ruines fumantes, les gémissements des êtres innocents

qui agonisaient.

Les soldats de la Panzerdivision étaient entrés à l’improviste. En partant, ils n’avaient laissé d’Oradour qu’un champ de dépouilles.On racontait que Gabríl avait tué deux Panzer-grenadiers du côté de l’entrée nord, puis deux autres Allemands qui traînaient une mère et son bébé. Et puis, à court de munitions, il perdit la tête et se mit à tourner sur la grande place du village, en apostrophant le ciel.

– Dis-nous, Dieu, combien Te faut-il de Verdun pour Ton répit ? Dis-nous, qu’on sache enfin mentir à notre tour aux hommes égarés. Je ne suis qu’un indigène fourvoyé dans l’amour des hommes et Toi Tu ne m’entends pas ! Dis-nous, dis-nous… !

Il tournait sur la grande place d’Oradour-sur-Glane en sanglotant.

– Belaïd, je viens ! Je viens en enfant émerveillé ! Tu m’entends ? Je sais que tu m’entends ! J’ai survécu au serment fait aux figuiers de Tizi-n’Djemaâ ! J’ai survécu, Belaïd !

C’est sur la grande place d’Oradour-sur-Glane, raconte-t-on, que Gabríl fut capturé, blessé à la tête et au ventre, et jeté parmi les hommes du village qui attendaient la mort.

Mon père mourut dans le plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes.

Et ma compagne Aldjia périt dans le plus grand massacre de civils commis en Algérie par les armées françaises.

 Mon père mourut dans le plus grand massacre de civils commis en France par les armées allemandes.Et ma compagne Aldjia périt dans le plus grand massacre de

civils commis en Algérie par les armées françaises.J’appris de Samuel que ma femme fut tuée le jour où je finissais de libérer l’Europe de son cauchemar. Le jour où la France, enfin délivrée, riait et dansait, et que les indigènes pensaient qu’il y avait à rire et à danser pour tout le monde. Oui, pour tout le monde, se disaient-ils, puisque le monstre nazi était notre tourment à tous, qu’il avait coûté du sang indigène pour le terrasser et qu’à bien y réfléchir, cette guerre avait fait du maître et du métayer deux créatures à peu près semblables. L’humiliation d’avoir été occupés puis asservis tous les deux était, pensions-nous, le plus court chemin vers l’égalité et la fraternité.

Ce mardi 8 mai était jour de marché à Sétif. Comme à Oradour. Aldjia était dans le cortège. J’imagine qu’elle était encore plus belle avec sa colère enfouie. Quand son frère Siyad lui avait montré le tract du parti, elle avait froncé les sourcils. Une manifestation pacifique à Sétif le jour où l’Allemagne

capitule ?

– Cela ne servira à rien ! avait-elle soupiré.

Plusieurs nuits j’ai écouté Siyad pleurer.

– Dieu, elle m’avait dit… Elle m’avait dit que s’il y avait un espoir de grandeur dans cette France oublieuse, Yousef n’aurait pas déserté. Elle m’avait regardé droit dans les yeux : « Liberté, égalité, fraternité ? Pas pour nous, Siyad, pas pour nous ! Ils en ont fait trois mensonges. » Puis elle avait ajouté : « Mais je serai avec toi dans la manifestation. Qui gardera les enfants ? »

Elle parlait comme ça, Aldjia.

Je l’avais imaginée, en cet instant, féline et tourmentée. Rebelle et mère. Siyad l’avait entendue parler dans un coin à son fils Zouheir en lui accrochant au cou un pendentif.

– Tu n’as que cinq ans, Zouheir, mais tu peux comprendre les mots de ton père Yousef : « Mon fils, je te donne les quatre directions du monde, car on ne sait pas où tu iras mourir. » Ainsi parle notre clan : on y meurt aux quatre coins de la terre. Ainsi tu parleras à ton fils, à sa puberté, et ainsi ton fils parlera au sien !

Elle avait confié Zouheir et Zoubida à l’autre grand frère, Laïd, qui habitait Belcourt, un quartier populaire d’Alger.

Le matin du 8 mai, elle était dans le cortège.

LIRE AUSSI : Le Pen, Macron et Oradour-sur-oued, oued de sang... (II et fin) Par Md Benchicou

Extrait du roman "Le Mensonge de Dieu" de Mohamed Benchicou (Michalon-Paris et Koukou-Alger 2011)

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Commentaires (4) | Réagir ?

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chawki fali

thank you for sharing

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algerie

merci bien pour les informations

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