Marine Le Pen et nos professeurs de vertu, par Mohamed Benchicou
La qualification de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle française et la réaction outragée de plusieurs médias parisiens devant ce qu'ils appelent "l'éventualité du cauchemar", me rappelle que pour des manchettes similaires, les journalistes algériens étaient qualifiés de "sbires à la solde des généraux éradicateurs".
Nous devions accepter ce que les journaux français refusent aujourd'hui avec véhémence : vivre sous un régime islamique puisque, tout bien pesé, nous sommes un peuple à peine sorti de primitivité et, qu’à bien y réfléchir, l’on ne saurait, sans dommages pour nos neurones, passer de la pirogue primitive creusée dans un tronc d'arbre à une moderne péniche au mazout. Libération, Libé pour les branchés, c'est le symbole du verbe impertinent, qui osait dire sur l'Algérie ce que nous, journalistes locaux, émargeant à la sécurité militaire, n’osions écrire. Nous avions fini, du reste, par nous faire une raison : le journalisme n'a pas été inventé pour nous. C’est une activité réservée, tels le golf ou le yachting, aux gens de pedigree, se revendiquant de prestigieuses ascendances, Diderot ou d'Alembert, Hubert Beuve-Mery ou Jean-Paul Sartre, qui, seuls, savent en respecter les codes, l’esprit, les règles, bref, tout ce qui fait la noblesse du journalisme.
Nous traînions notre statut de canassons perdus dans une épreuve de pur-sangs jusqu’à ce lundi 22 avril 2002 et cette manchette qui barrait la première page du quotidien français Libération, symbole de l’impertinence et de l’irrévérence, complètement affolé à l’idée que la France puisse se soumettre à Jean-Marie Le Pen, leader de l’extrême-droite, qui venait d’accéder, la veille, au second tour des élections présidentielles françaises. Renonçant subitement au flegme so british qui a fait sa réputation, Libé barrait sa une d’un immense "NON" sur une photo de Le Pen ! Et, patatras, voilà le prestige du très distingué journal, symbole de l’impertinence et de l’irrévérence, qui vole en éclats sous l’effet de l’émotion et de l’affolement ! Libération nous copie ! Oui, le modèle de l’information professionnelle, nous plagie sans vergogne, nous les journaux indigènes abrités derrière de ténébreux généraux, qui n’avons jamais su tenir la distance entre le cœur et le devoir professionnel ! Il nous plagie, nous imite sans talent, nous transcrit, bref nous mime sans vergogne après nous avoir appris, avec force quolibets, qu’en toutes circonstances il faut savoir son tact garder et son métier sauvegarder.
J’étais triste pour Libération. Pas lui, pas ça ! Que nous autres feuilles de chou algériennes, sans gloire et sans ascendance, sourds aux exigences du journalisme moderne, avons succombé à la tentation de crier "NON" au Front islamique du salut (FIS) se justifie par notre statut de roturiers promus journalistes, ignorants de Jules Vallès, de l’art de vivre et de la distance entre le cœur et le devoir professionnel. C’est tellement nouveau, pour nous, tout ça … Mais le journal de Monsieur Serge July ! Le journal de Madame José Garçon journaliste-vedette de Libération sous l’œil de laquelle nous avons si humblement entrepris de nous soigner, Madame Garçon, aux penchants pédagogiques infinis, à qui on doit la délicatesse de nous avoir régulièrement affublé du bonnet d’âne à chaque fois que nous gagnait la tentation d’être discourtois à l’endroit de Abassi Madani, vainqueur comme Jean-Marie Le Pen au premier tour des législatives !
Nos professeurs de vertu étaient pris en flagrant délit de vices les plus détestables : les nôtres !
Emu, j’ai refermé le journal avec une pensée pour la réputation perdue de nos confrères. Le journalisme professionnel ne se pratique donc qu’en beau temps ! Ou alors quand il fait gris chez les autres. Nous tâcherons de ne pas oublier cette leçon, nous qui nous pensions perdus pour le journalisme.
Bienvenue, confrères, au monde des cancres, des auxiliaires des généraux et de la modestie.
M.B.
Commentaires (18) | Réagir ?
oui
merci