A comme Algérie (14)

A comme Algérie (14)

Il y a deux sortes de non. Celui qu’on réserve à nos semblables : parent, enfant, ami, conjoint, cousin, voisin etc. Ou l’autre, le plus dangereux, celui qu’on ose avec nos supérieurs.

N comme Non

Nos maîtres, ceux, notamment, qui s’autoproclament en faisant fi de notre "non" et qui possèdent la police l’armée la justice les comptes et les prisons pour nous faire taire avant que Dieu ne le fasse. Et nous nous taisons ou du moins, nous faisons semblant en pataugeant dans le monde des "si" et des à-peu-près". De la lâcheté courageuse au courage lâche, du "non" qui tranche la tête au "oui" qui empoisonne le sang. Pour finir par faire l’unanimité sur la responsabilité du destin, Si el Mektoub. Foultitude des zombies algériens qu’on menace de plus en plus que s’éloigne et se dégonfle le printemps arabe qu’elle a pourtant boudé en s’étranglant avec sa peur.

Un penseur français a dit que mon ennemi c’est celui qui me prive du peu de liberté qu’il me reste. Comment savoir ce qu’est un ennemi quand on ne sait pas ce que liberté veut dire ? Est-ce cette drogue au virtuel injectée en pianotant un clavier sous l’œil d’un satellite ? Ce matériel intelligent qui se perfectionne de jour en jour pour mieux nous espionner. Les Renseignements se renseignent entre eux. Ils se démocratisent entre eux. Par exemple, la CIA n’est pas là pour veiller sur la sécurité de l’Américain lambda sinon elle aurait bombardé la Banque au lieu de l’Afghanistan. La première a fait infiniment plus de victimes que la seconde et ça continue. Par exemple, l’Algérien qui était considéré comme le plus rebelle le plus civilisé de l’élément arabe a fini par être la risée dans le dernier des continents : l’Afrique. Plus on monte plus fatale est la chute. On dit bien qu’on reconnaît la force d’un pays dans sa capacité à vivre en autarcie. C’est un fait, notre double dépendance scientifique technique alimentaire vis-à-vis de l’Occident et de l’Orient pour la culture, la politique, la religion. Au moment de la capitulation du Japon écrasé par la seconde bombe atomique, le grand philosophe allemand Heidegger surpris son entourage en affirmant que le pire c’est quand elle n’éclate pas. Certes les tueurs les plus efficaces sont silencieux. Et seuls des cadavres expriment les "non" les plus efficaces via le suicide.

La solidarité tribale a émigré de la majorité dominée à la minorité régnante. Pas étonnant qu’au sommet de l’Olympe les Néron savants dévoilent aux cancres la technique pour débusquer le blogueur "malsain" qui compte sur son pseudo et les murs de son gourbi pour se protéger. De l’autre, on dit merci en livrant la liste des rejetons mabouls : les terroristes formés et financés par des Martiens. A la prison, se retrouvent les grévistes de la faim qui poussent les journalistes du douar au choix : le hara-kiri ou la misère. Diderot disait qu’avoir des esclaves c’est rien, mais ce qui est intolérable c’est d’avoir des esclaves appelés citoyens. C’est ce qui explique qu’en période de vote où les danseuses en papier sortent de leur boite magique pour amuser le bled, l’humiliation des bougnouls atteint son pic. En y ajoutant cette fois-ci, les insultes.

Etrange réaction d’une Régence de plus en plus invincible et mondialement admirée. Parce que tant de pouvoir ne peut être détenu que par des êtres à part, plus intouchables que le Prophète lui-même. Ce dernier a bien été moqué critiqué combattu par les Arabes à l’ère de l’Ignorance et dans la sourate La Vache chapitre 2, on peut lire : "…ce sont les fauteurs de troubles, sans s’en douter. Lorsqu’ils sont invités à embrasser la vraie foi, à l’exemple des Croyants : "Suivrons-nous, disent-ils, ces imbéciles ?" En vérité, ce sont eux les imbéciles, sans le savoir. "On aurait aimé être ces ignorants-là quand les "non" au vote des dupes sont traités de mécréants au moment où le roi du Maroc inaugure la plus grande centrale d’énergie solaire du monde. Et dire qu’on en veut encore à Ben Bella, ce "sage" d’Afrique qui voulait nous arabiser de force. C’est les Abbassides du temps magique des 1001 Nuits qui ont modifié le vocabulaire et la lumière fut : un opposant au calife est un opposant à Allah. De là à conclure que le calife est au moins prophète d’Allah, c’est plus subtil : Allah vous ordonne d’obéir à vos maîtres. C’est pour cela que les islamistes sans tousser menacent : si vous votez contre nous, vous votez contre Dieu. Comme toujours, le pouvoir algérien n’invente rien. Le problème avec la copie c’est qu’elle se limite à l’encre de la propagande, l’idée lui échappera toujours.

Prenons le cas de l’élimination d’un Tahar Djaout et d’un Faraj Fouda. Tous les deux ont été assassinés par des jeunes qui ne savaient même pas si la cible à abattre écrivait en arabe ou en chinois. Les érudits d’Al Azhar n’auraient jamais eu peur d’un poète qui les traite de "petite famille" qui ne parle de Ruptures que pour mieux encenser les fidélités. Pour qu’ils signent la fatwa contre leur maudit compatriote, il a fallu un débat de 3 heures où ce dernier leur tint tête en utilisant leurs propres arguments et notamment contre leur éminence grise le cheikh Al Ghazali. Le "réislamisateur" des indigènes algériens et auteur de près d’une centaine de livres traduits en plusieurs langues… Il faut dire que les réformes du Macédonien Méhémet Ali, vice-roi d’Egypte, ont réussi au Vatican sunnite. Dire non au vote n’est pas une spécificité algérienne, l’abstention est mondiale, les électeurs ont perdu confiance dans les élus même là où c’est eux qui les choisissent. La nouvelle trouvaille de la Régence c’est l’insulte et la rallonge de la liste noire des apostats. Si au moins, ils avaient besoin de l’avis des Algériens pour occuper leurs lumineux fauteuils.

Pavlov donnait un os au chien qui a fait sa célébrité. Que peut-on promettre à ceux qui iront se bousculer dans un bureau de vote comme dans le magasin du coin pour un sachet de lait dont on ne sait si c’est le sachet qui est cancérigène, le liquide ou les deux en même temps ? Tristes pions dont raffolent les caméras étrangères pour rassurer leur opinion public. Peut-on voter quand on n’a jamais occupé la rue ? Les Egyptiens et les Tunisiens l’ont fait, mais ils sont rentrés trop tôt chez eux en laissant le ménage aux rapaces. Dans son livre "Pilleurs d’Etat", Philippe Pascot, un ex-élu affirme que dans la République de l’égalité, la Liberté et la Fraternité, on peut être élu avec à peine 3 % de la population en âge de voter. En France, au lieu de menacer d’insulter on ruse, au lieu de tuer on exile. Il dit que la pire des oppositions c’est l’abstention qui arrange bien les politiciens du doublon unique droite-gauche. Grosso-modo, il suffit de mobiliser les militants, les assistés sociaux multiraciaux, les patrons de la mondialisation et le tour est joué du 100 %. Au Koweït par exemple, dans Le Monde diplomatique 147, on peut lire : "Le gouvernement dut alors modifier sa tactique, et adopter des méthodes moins voyantes : renonçant à changer les bulletins de vote, il décida de changer…la population. Pour compenser la «contamination» de l’élément le plus évolué de la population koweïtienne par les idées modernes, certains princes firent venir au Koweït des populations tribales vivant normalement en Arabie saoudite ou en Irak. Attirés par la perspective d’un logement gratuit et de tous les avantages réservés aux nationaux koweitiens, ces Bédouins acceptèrent d’autant plus volontiers d’être inscrits sur les listes électorales koweïtiennes que leurs seules obligations consistaient à venir au Koweït une fois par mois pour toucher leurs subsides et une fois tous les quatre ans pour voter." Ainsi on comprend le mystère d’un Koweït qui multiplie le nombre de ses analphabètes au fur et à mesure que ses citoyens s’instruisent. En Algérie, on a le même résultat avec un autre moyen plus sûr : un minimum d’effort et zéro conscience. L’élément le plus évolué est poussé au déracinement. On estime à un million de cadres en fuite depuis qu’on rassure la populace avec l’expression le "terrorisme résiduel".

Les dirigeants algériens sont trop méfiants pour faire confiance aux migrants syriens et africains qui pour le moment n’ont réussi qu’à mettre au chômage nos mendiants de souche. Le Koweït, ce petit bled sans histoire sans mémoire fabriqué par l’Occident dont 1 habitant sur 4 est Palestinien accueille aussi sur son sol des Algériens évolués. Un jour un émir a dit à un député : «nous autres Sabah, nous préférons régner à Koweït pendant 10 ans sans que personne ne nous demande des comptes, plutôt que 50 ans en rendant des comptes." La famille Al-Sabah détient le pouvoir depuis 1756, la famille Néo-FLN depuis 1962. L’Algérie, vaste république démocratique et populaire n’est pas l’émirat du Koweït aux dimensions de la Corse. Le problème n’est donc pas dans la géographie l’histoire, mais dans le pedigree. Non dans l’accumulation des siècles, mais dans l’utilisation des secondes. De nos jours, quand l’ail et la pomme de terre deviennent les aliments des riches, le plus débile des Algériens prend conscience que sa survie même et celle de ses gosses est en jeu. C’est le cerveau reptilien qui prend les commandes. Hier, une kalachnikov donnait la majorité à l’idiot du village. Aujourd’hui, les menaces ne prennent plus et d’ailleurs qui les écoute quand on voit qui les profère. La reine du crime Agatha Christie a dit qu’un peuple de moutons finit par engendrer un gouvernement de loups. De nos jours, au niveau mondial, un gouvernement de loups n’est pas nécessairement engendré par un peuple de moutons. Aux USA, les «non» ont élu Trump qu’importe que la mouche de La Fontaine ne perturbe que la sieste du roi lion. En France, ils ont stoppé l’ambition d’un Hollande et font du FN, le premier parti français. En Angleterre, ils ont opté pour le divorce avec l’union sacrée de l’Europe. En Islande, ils ont mis à genoux la Banque avec des casseroles etc.

A force de dire non, on peut en mourir ; à force de s’en priver, on bousille sa santé. Le pire c’est quand on cumule les deux oppositions. Naitre dans la mauvaise famille sous le mauvais pouvoir. Bien que les deux soient liées, disent les sociologues : on a le gouvernement qu’on mérite. Tout en affirmant que les peuples se valent. De razzia en razzia, d’une colonisation à une autre, en Algérie traumatisée, le "non" au manque de protection l’emportera toujours sur le manque de liberté. On vote pour un dictateur en fantasmant sur le démocrate. «Il est très facile de savoir si vous êtes dans un pays libre ou dans un Etat totalitaire. Vous considérez les gens qui sont en prison. Dans une démocratie, les plus mauvais éléments du pays sont en prison et les meilleurs au pouvoir. Dans une dictature, c’est exactement le contraire." (1) Que dire quand la démocratie des uns drague la dictature des autres et non l’inverse ? On pense à ces martyrs oubliés qui reviennent hanter ce siècle où leurs prophéties se réalisent haut les quatre pattes. Là où un Saïd Mekbel parle d’un pays préparé au vote en patchwork fait d’une main malhabile et ignorante en traitant d’enfoiré le leader du FIS, Faraj Fouda dans "Terrorisme" n’hésite pas à utiliser le mot nazi à la barbe d’Al-Azhar. En jurant qu’il irait au djihad à condition qu’on lui donne une épée qui fait la différence entre le croyant et l’incroyant, le juste et l’injuste. Psychologie.com conseille de se protéger des demandes abusives. Pour affirmer son désir, dire non à tout ce que l’on ne veut plus. Dilemme cornélien entre la peur de fâcher et le désir de s’affirmer. Dire "non" se paie ; dire "oui" aussi. Que le châtiment vienne de l’autre ou de soi, le sentiment d’une injustice est omniprésent.

D’après l’Agence Science Presse Montréal, le mouvement des Indignés de Madrid à New-York, de Montréal et Toronto, nait d’un "profond sentiment d’injustice", ne relève pas de l’actualité, mais de la biologie. Plusieurs études le démontrent. En 2008, on demande à deux chiens de donner la patte, ils obéissent normalement. Par contre, en donnant à l’un une plus grosse récompense, l’autre cesse d’obéir. Dans une expérience sur des singes capucins publiée en 2004, les primatologues, Franz de Walls et Sarah Brosnan leur lancent des concombres en échange de petits cailloux. A un moment donné, ils favorisent certains en remplaçant le concombre par du raisin dont raffolent les singes. Résultat, les cobayes frustrés font la grève. Ils s’arrêtent de lancer des cailloux quitte à se priver de tout alors que les pistonnés multiplient les efforts pour doubler leur part. Conclusion, il existe un seuil de tolérance au-delà où plus rien n’a d’importance même la mort y compris chez les animaux. En Algérie, notre «non» s’adresse à des autorités qui nous placent sous le niveau des chiens et des singes puisqu’ils nous interdisent la rébellion dans l’abstention quand la ligne rouge est franchie depuis belle lurette. Même le FMI, qu’on ne peut soupçonner d’humanisme, trouve que les décideurs algériens font trop d’austérité en un temps record. La question qui se pose maintenant : quand vont-ils dresser le bûcher pour les «non-voteurs» après celui des harkis des Kabyles des francophones des femmes des Mozabites des Ibadites des Chaouias des non-jeûneurs des couples illégitimes des vendus au sionisme à la main étrangère etc ? Au moment où en Arabie saoudite, la justice wahhabite a du mal à trouver des bourreaux pour appliquer la charia. Au moment où l’Egypte en guerre avec ses islamistes se souvient de Faraj Fouda, tandis qu’en Algérie, on souhaite la bienvenue aux salafistes. Dans les bureaux du FLN, on prépare le vote en s’exerçant au sabre. Pendant ce temps-là, la presse rassure du quota journalier des terroristes et des dealers captés par une police qui n’a d’autre spécialité que les barrages et l’interdiction de manifester son "non".

L’Algérie des laissés-pour comptes se cherche un Ferhat Abbas qui faisait fi de l’ADN et des croyances de ses compatriotes. Il avait raison, une nation algérienne pour les humains n’a pas encore vue le jour. Une nation bâtie sur l’union non la division, sur le volontariat non l’obligation, sur la justice non l’injustice. Au prix de sa vie, Faraj dénonce le danger nazi de la «pureté» d’un peuple qui a brasé une multitude de races durant des millénaires. Victor Hugo, un spécialiste du "non", écrit : "Dans les temps anciens, il y avait des ânes que la rencontre d’un ange faisait parler. De nos jours, il y a des hommes que la rencontre d’un génie fait braire.» Que dire quand on est dépourvu au propre et au figuré d’hommes et d’ânes ? Selon Bernanos, un autre virtuose du "non", fortes ou faibles, qu’elles soient humaines ou animales, les races nobles préfèrent périrent à défaut de vivre selon leurs instincts. Au sujet des abstentionnistes, Lincoln dit : "C’est leur affaire. S’ils préfèrent tourner le dos au feu et se faire rôtir les fesses ; il faudra bien, par la suite, qu’ils s’assoient sur leurs cloques." Pour le General de Gaulle, s’abstenir c’est voter contre sur la pointe des pieds. Aux Philippines, les autorités, excédées par l’abstention, préfèrent lâcher le jour des élections des oies avec une pancarte au cou : "Moi, je ne vote pas. Je me contente de jacasser."

En Algérie, le non au vote ce n’est pas vraiment un "non", il n’y a ni feu ni cloques, ni peur ni jacasserie, tout est fictif sauf la chape de l’injustice qui provoque des AVC à réplétion. Je m’adresse aux gens qui possèdent un esprit, pas à ceux qui possèdent des intérêts, précise Faraj Fouda. A quoi lui a servi le sien face à la loi de la kalachnikov ? Que pèse l’esprit d’un père sans piston sans fortune face à son enfant qui se meurt d’un cancer dû à la malbouffe à la pollution et au manque d’infrastructures médicales ? A quoi sert un cerveau d’Einstein quand vous êtes écrasé dépouillé par des lois infâmes conçues par un Etat corrompu incompétent qui se recycle indéfiniment ? Qui vous insulte, vous menace quand il se souvient de votre existence pour jouer le clown triste le temps de "leurrer" une opinion internationale dont vous êtes le dernier souci pour ne pas dire le danger numéro 1 vu la réputation qu’on vous a faite. Du temps de l’URSS, on raconte : "Le ministre de l’Intérieur de Hongrie appelle le chef de l’Etat. – Des cambrioleurs se sont introduits cette nuit au ministère. – Ils ont volé quelque chose ? – Hélas, oui ! Tous les résultats des prochaines élections."

Que dire de cette blague quand les meilleurs gardiens de ces résultats sont les cambrioleurs eux-mêmes ?

Mimi Massiva

Lire la première partie : A comme Algérie !

Notes

1. Liberté, égalité, Hilarité (Mina et André Guillois)

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Commentaires (6) | Réagir ?

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adil ahmed

Merci pour cet article

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chawki fali

Thank you very nice article

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