L’école algérienne face à la violence (I)
La violence dans l’école algérienne est un sujet complexe qui s’impose de plus en plus à la société, que ce soit dans les médias ou dans les discussions privées. L’école est-elle devenue sujette à plus de violence aujourd’hui qu’elle ne l’était dans le passé ? Ou est-ce seulement la médiatisation qui la rend plus visible ?
Les conditions politiques et historiques influent-elles sur les représentations sociales de la violence et sa "pratique" ? Quel est l’héritage de l’école coloniale ? Quelle est l’influence moyen-orientale, notamment à travers l’exercice de dizaines de milliers d’enseignants coopérants qui avaient contribué à l’arabisation de l’école ? Ce sont autant de questions nécessaires à la compréhension, en amont, de ce phénomène.
En aval, il s’agira d’analyser quelques comportements et relations violents qui ont lieu dans l’école et sa périphérie et en établissant des liens avec d’autres influences contemporaines.
Un peu d’histoire
L’Algérie a subi plusieurs agressions à travers l’histoire. Les invasions punique, romaine, arabe, ou française, se sont faites dans des violences terribles. L’occupation turque et les dévastations causées par les Vandales ou les hordes hilaliennes ont été aussi violentes. Même l’Algérie indépendante est marquée par une violence tragique avec une guerre fratricide postindépendance et la décennie noire (les années 1990) qui a causé près de 200 000 morts et disparus selon certaines estimations. Les émeutes d’octobre 1988 et le printemps noir sont d’autres exemples d’événements tragiques. Les générations d’enfants qui ont connu ces moments de l’histoire ont vécu ces violences tragiques, parfois dans leur chair. Les conséquences de ces événements sont aussi tragiques : drames familiaux, traumatismes, exodes, etc.
Il est arrivé aussi que des enfants aient été acteurs de certains événements violents comme les guerres ou les émeutes. Un enfant qui a essuyé le tir ennemi pendant la guerre ou la répression policière, parfois militaire, ordonnée par la dictature de son pays est traumatisé. On ne peut pas sortir indemne d’une histoire marquée par de longues et nombreuses périodes de violence et le vécu des individus ne peut pas être sans conséquences. Après de tels traumatismes, les conduites de ces enfants lorsqu’ils retrouvent les bancs de l’école ne peuvent pas être ordinaires.
Beaucoup d’êtres humains reproduisent la violence subie, et ainsi "apprise", auprès des générations précédentes. Les victimes d’hier deviennent les bourreaux d’aujourd’hui. Ainsi, on peut retrouver cela chez des parents ou des enseignants.
Représentations sociales
Lorsqu’une société possède une histoire traversée par beaucoup de périodes marquées par de très grandes violences, elle voit ses représentations influencées. Cela se retrouve dans le langage comme dans les pratiques sociopolitiques. La marque la plus manifeste est dans l’exercice du pouvoir dans tous les domaines et à tous les niveaux : la violence, symbolique ou physique, en est l’instrument privilégié !
Depuis l’indépendance de l’Algérie, le pouvoir politique s’est fondé sur la violence et s’y est maintenu grâce à cette "culture". Pour asseoir leur domination sur le peuple, les gouvernants, de tous les clans, s’appuient sur l’armée et les services de sécurité pléthoriques. La population voit en l’armée et les corps de sécurité des institutions au service du pouvoir en place et non au service du peuple.
L’administration est l’outil de contrôle de la population par la classe dominante (les clans, en Algérie) qui lui délègue certains de ses pouvoirs pour en faire ce qu’on appelle la bureaucratie, malgré les discours démagogiques tendant à faire croire que l’administration est au service des citoyens. Cette dernière ne fait que régler les problèmes qu’elle crée. L’héritage de la bureaucratie coloniale est toujours perceptible au niveau de l’administration algérienne. La méfiance de la population à son égard, aussi. La violence symbolique se conjugue à celle du bras armé de l’Etat pour humilier la population.
Le développement de la corruption, qui a tendance à devenir une "valeur", représente aussi une forme de violence. Lorsqu’un citoyen se trouve dans l’obligation de payer, d’une façon ou d’une autre, un service de base censé être gratuit (documents administratifs, santé, logement, etc.) dans un système corrompu et corrupteur, il est victime de violence : on lui vole une partie de sa vie car l’argent qui sert au pot-de-vin est l’équivalent d’un moment passé à travailler pour le gagner. Prendre à quelqu’un de l’argent de cette façon illégale est lui prendre une partie de sa vie.
L’expression de la colère populaire se manifeste par beaucoup d’émeutes et d’autres moyens violents, parfois armés comme c’est le cas des islamistes à partir des années 1980.
L’inexistence ou la fermeture des espaces d’expression démocratique et le mépris des gouvernants pour la population aboutissent à l’explosion et à l’émeute. Et comme l’école et l’université n’apprennent pas aux élèves et aux étudiants à s’exprimer à l’oral comme à l’écrit, il ne reste que l’expression "physique" pour "dire"ses revendications. Comme la parole est l’outil du pouvoir, le système éducatif ne privilégie pas cet apprentissage : le pouvoir est quelque chose que n’aiment pas partager ceux qui le détiennent.
L’empreinte des religions sur les représentations sociales est profonde. Le croyant intègre dans ses représentations la violence "prescrite" dans les écritures religieuses, sacrées ou non sacrées. Les menaces de châtiments dans l’au-delà, avec l’enfer éternel comme sanction ultime, ainsi que les châtiments décrétés pour ici-bas, lors des manquements aux recommandations religieuses, concernent les croyants comme les non croyants. L’histoire et l’actualité regorgent de violences religieuses malgré tous les discours sur l’importance de la paix, de l’amour et de la tolérance que recommanderaient les religions.
Violence institutionnelle
Il y a des violences subies et reproduites depuis plusieurs générations : elles sont intégrées dans les représentations de façon à paraître comme des phénomènes naturels, sans violence.
En tant qu’institution, la première violence de l’école est son caractère obligatoire. Le premier alinéa de l’article 12, de la loi n° 08-04 du 23 janvier 2008 portant sur l'orientation de l'éducation nationale, est sans ambigüité :
L'enseignement est obligatoire pour toutes les filles et tous les garçons âgés de 6 ans à 16 ans révolus.
C’est l’école qui est obligatoire et non seulement l’instruction comme c’est le cas dans les pays évolués. Ainsi le caractère obligatoire de l’école se justifie par la prise que veut avoir le régime politique sur les enfants. "L'école constitue la cellule de base du système éducatif national. Elle est le lieu privilégié de la transmission des connaissances et des valeurs." (Article 16 de la loi sur l’orientation de l’éducation nationale.) Ce n’est pas la famille qui est considérée comme la cellule de base du système éducatif même si l'obligation d'assurer l'éducation des enfants incombe en premier lieu à leurs parents selon la constitution (article 79). Mais, dans la loi, c’est l’Etat qui semble avoir la priorité dans l’éducation des enfants avant leurs parents, ce qui peut être conflictuel au niveau du droit. De cette première violence institutionnelle en découlent, naturellement, d’autres qui éclairent encore plus sur les raisons de ce caractère obligatoire.
Dans cette école obligatoire, l’enfant subit des rythmes scolaires et des enseignements disciplinaires tout aussi obligatoires. Les enfants berbérophones sont soumis à un enseignement en arabe dès le début de leur scolarisation, dans un déni de leur langue maternelle, ce qui représente une violence symbolique "traumatisante" : parmi les conséquences de cela, il y a la dévalorisation de soi et de ses parents. Les enfants des minorités religieuses ou areligieuses subissent une éducation islamique obligatoire, ce qui est une forme de violence symbolique, malgré les garanties de l’article 42 de la constitution :
La liberté de conscience et la liberté d'opinion sont inviolables. La liberté d'exercice du culte est garantie dans le respect de la loi.
L’école est une démarche d’humiliation de l’élève. Une humiliation, aussi, de l’enseignant qui est chargé d’exécuter cette politique. (A suivre)
Nacer Aït Ouali
Lire la deuxière partie : L'école algerienne face à la violence (II)
Commentaires (8) | Réagir ?
Merci pour cet article
Thank you very nice article