Pour une identité solidaire (II)
Ce n’est pas parce que les ex-États marxistes autoritaires ont failli qu’il faut accepter la suprématie du capitalisme, et son idéologie de l’inexistence des conflits de classes sociales.
Une autre voix est possible
Elle a déjà été formulée au temps même de l’existence de Karl Marx, par les libertaires (notamment Michel Bakounine, Proudhon, James Guillaume). Ils avaient déjà montré le risque (concrétisé un siècle plus tard) de faillite de son système autoritaire de "dictature du prolétariat", qui était, en fait, une dictature d’une caste bureaucratique-étatique sur le prolétariat.
L’autre voix possible fut pratiquée pendant quelques années, dans quelques pays, notamment en Russie (1917-1921, voir Voline : "La révolution inconnue") et en Espagne (1936-1939, voir Gaston Leval : "Espagne libertaire" 1936-1939).
Dès lors, qui me garantit que la revendication exclusive de "l’identité amazighe" n’accouchera pas d’un fascisme, nouvelle formule, où une caste minoritaire ne transformera pas la majorité en une masse d’asservis ?
Les extraits de commentaires, cités auparavant, me font craindre que la mentalité fasciste, - je dis bien fasciste, à savoir autoritaire et totalitaire, sur base de ségrégationnisme (ethnique ou religieux) -, existe, également, chez certains prétendus défenseurs du peuple kabyle et de celui amazighe. De la même manière, elle existe chez certains partisans de l’"arabo-islamisme". Pour ces derniers, je dis bien "chez certains". Car n’oublions pas l’existence d’Arabes et de Musulmans qui se contentent de vivre leur identité, sans aucune hostilité envers les membres d’autres identités ethniques ou religieuses.
Si l’on veut savoir comment il est correct de défendre les intérêts du peuple kabyle ou amazighe, je renvoie à l’article "Pour une convention politique des autonomistes kabyles ouverte et rassembleuse", in elwatan.com
On y lit ceci :
"Dans le Manifeste kabyle, nous avons évoqué deux grands fondements : le multiculturalisme et la démocratie consensuelle ou démocratie consociative. Il s’agira de les expliciter et de montrer en quoi ils peuvent constituer des réponses à la problématique des sociétés plurales comme c’est le cas de l’Algérie."
Concernant cette déclaration, je ne serai pas surpris de lire un certain type de commentaires. Les uns dénonceraient cette conception comme "traître à la cause kabyle" ; d’autres la taxeraient de "menace à l’identité arabo-islamiste". Les premiers sont des Kabyles, les seconds, des Arabophones. Leur point commun ? Être tous les deux des fascistes. Ils seraient prêts à voir s’entre-tuer "Arabophones" et "Kabyles". Mais, attention !... Pas n’importe lesquels. Comme dans tout conflit identitaire, les victimes seront les gens du peuple laborieux, et les profiteurs, les nantis et leurs porte-paroles, produits du nazi Joseph Goebbels et du stalinien Jdanov.
En effet, depuis l’antiquité et partout, sans aucune exception, dans toute guerre entre identités nationales différentes, ou, à l’intérieur d’une même nation, entre identités religieuses (France et Angleterre du Moyen-âge, aujourd’hui dans les pays musulmans), quel est le nombre des morts parmi le peuple laborieux, et celui chez les banquiers, industriels et chefs militaires, bref la caste dominante ?… Pour nous en tenir aux morts algériens durant la guerre de libération nationale, puis pendant la "décennie noire", combien de victimes parmi les nantis, et combien parmi les démunis, quelque soit l’ethnie considéré ?
Et pourquoi les soldats de base, la "chair à canon" destinée à tuer ou mourir, chaque fois qu’ils sont confrontés comme adversaires et ennemis, - parce que faisant partie d’identités différentes -, ont voulu fraterniser, leurs chefs respectifs les ont fusillés, comme "traîtres à la patrie" ? En réalité, ils l’ont été parce que ces soldats avaient simplement compris où se trouvait leur réel intérêt : leurs fusils ne devaient pas être dirigés contre leurs frères de servitude (dont l’identité était différente), mais contre leurs propres dominateurs (de leur propre identité).
Par conséquent, en Algérie, celui qui oppose "Arabophones" et "Amazighs", ou musulmans contre non musulmans, sans distinguer ceux qui commandent par rapport à ceux qui sont asservis, celui-ci agit de la même manière que les généraux évoqués, envers leurs soldats respectifs.
Quoi ?!… Un paysan pauvre ou un ouvrier arabophone et un paysan pauvre ou ouvrier amazighe devraient s’opposer, afin que chacun d’eux se trouve, ensuite, sous la domination de la caste de son "identité" ?… Qui appelle à cet affrontement, est-il raisonnable et juste, ou, plus exactement, un manipulateur ? Cette vision n’est-elle pas produite par celui qui veut la destruction de l’Algérie, comme nation, au profit d’entités territoriales commandés par des seigneurs ? Enfin, à qui profiterait cette stratégie ? Je n’y vois que deux groupes : d’une part, les capitalistes autochtones, d’autre part, les impérialistes capitalistes étrangers.
Leur méthode est identique ; diviser pour régner. Leur but est semblable : exploiter plus facilement la sueur des travailleurs et les ressources naturelles de l’Algérie. Bien entendu, les capitalistes nationaux et étrangers sont en conflit d’intérêt. Chaque groupe veut dominer, en faisant de l’autre son auxiliaire. Mais, face au peuple laborieux, ces deux groupes sont unis par un identique intérêt : dominer.
Dans le passé, les nationalistes algériens (dont Abane Ramdane et Larbi Ben Mhidi, en premier) ont reproché, justement, aux colonialistes français, comme à leurs complices indigènes, d’opposer Arabophones et Amazighs (plus précisément, alors, Kabyles). Si l’on sait, à présent, qui et pourquoi a assassiné Abane Ramdane, reste à savoir si la découverte de Larbi Ben Mhidi par l’armée coloniale était vraiment le produit du hasard.
Et, aujourd’hui, ceux qui recherchent le même type de division entre le peuple laborieux algérien, ne répètent-ils pas la même opération que les colonialistes ?
Il en découle de ces observations ceci. Les Arabophones et les Amazighophones, s’ils sont honnêtes et justes, ne doivent pas opposer les citoyens à cause de leur identité ethnique ou religieuse ; ils doivent, au contraire, distinguer uniquement entre ceux qui, dans chacune des deux composantes, asservissent ou veulent asservir, d’une part, et, d’autre part, ceux qui sont asservis ou risquent de l’être.
Pour ma part, - je l’explicite à ceux qui ne l’ont honnêtement pas compris, mais pas aux manipulateurs qui font semblant -, je ne défends pas l’identité "arabophone" ni "arabo-musulmane", contre une autre, différente ; je me préoccupe d’abord de la classe sociale des opprimés, quelle que soit leur identité ethnique ou religieuse.
Je suis et dois être l’ami, le frère, le compagnon, le camarade de l’exploité-dominé, qu’il soit en Algérie ou n’importe où sur cette planète. Qui veut me diviser, me séparer, me distinguer, m’opposer à l’exploité-dominé kabyle, amazighe ou de toute autre identité (ethnique ou religieuse), sous le prétexte que je suis un "arabophone", un "musulman", un "Algérien", eh bien, ce diviseur est manipulé à son insu (dans le cas où il croit être de bonne foi), ou un manipulateur (s’il fait partie de la caste des exploiteurs-dominateurs).
Celui qui affirme l’inexistence des classes et des conflits les opposant, sous prétexte d’archaïsme, de «lorgnette marxiste», est soit un ignorant qui croit savoir, soit un manipulateur qui veut occulter l’enjeu premier et fondamental des luttes sociales. Qu’on se rappelle uniquement un fait : à quoi servent les syndicats autonomes (je ne parle évidemment pas des syndicats inféodés et serviles) sinon pour défendre les intérêts de la classe des travailleurs contre la cupidité de la classe des patrons ?
Par conséquent : Arabophones et Amazighes algériens, - ceux pour lesquels justice, liberté, égalité et solidarité (et, aussi, fraternité) sont une exigence première - ont le même combat social à mener, contre leurs dominateurs (quelle que soit l’identité ethnique ou religieuse de ces derniers). Et c’est uniquement dans le cadre de ce combat qu’ils pourront résoudre correctement le problème de l’identité, quel que soit son aspect (ethnique ou religieux).
Encore une observation ; elle me semble très importante.
En Algérie, la lutte des classes peut se dérouler de manière pacifique. Par contre, la lutte identitaire ethnico-religieuse a déjà entraîné, en Algérie, plus de deux cents mille morts. Et le conflit identitaire ethnique (Arabophones contre Amazighes) risque de se transformer en guerre armée. Certains, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, la veulent.
Ce n’est pas parce que le gouvernement algérien l’affirme qu’il faut ne pas croire à cette hypothèse. Elle existe, malheureusement. La rejeter, sous prétexte qu’elle est affirmée par les autorités, est une erreur ; celle-ci fait le jeu des ennemis. Ils ne le sont pas de "l’Algérie" (au contraire, ils "l’aiment" tellement qu’ils voudraient la posséder pour exploiter ses richesses naturelles et faire suer le burnous de ses travailleurs, toutes identités confondues). Ces ennemis le sont du du peuple algérien, en particulier celui du «bas» de l’échelle, car c’est toujours cette classe sociale qui est la première victime ce ce genre de guerre ethnique.
Une dernière remarque.
Les commentateurs que j’ai mentionnés auparavant, comment, finalement, comprendre leurs jugements ? Je vois deux hypothèses.
Soit il s’agit de manipulateurs, produisant une confusion volontaire, pour tromper les Algériens victimes du système social, en les poussant à une guerre fratricide où seule une caste de profiteurs sortira gagnante. Ces manipulateurs en font partie.
Soit il s’agit de personnes de bonne foi. Dans ce cas, ils ont malheureusement été incapables de lire correctement mon premier article. Pourquoi ?… Parce qu’ils ignorent l’histoire réelle (défaut qu’ils me reprochent). Ils devraient, par conséquent, ne pas se contenter de fausses informations, mais avoir l’intelligence de lire les livres nécessaires (j’en ai indiqués ici, tous sont gratuitement télé-déchargeables sur internet), avant d’exprimer des affirmations erronées. Elles s’opposent à leur propre intérêt de Kabyles, dans le cas où ils font partie du peuple laborieux.
Kadour Naïmi
Lire la première partie : Pour une identité solidaire (I)
Commentaires (2) | Réagir ?
Bel3arbiya, comme on dit chinou en kabyle :
Et maintenant pour resituer le débat là ou vous l’avez noyé. C’est-à-dire dans sa contradiction : peuple-prolétariat. Et si Alzheimer mon documentaliste voulait bien me rappeler mes lectures de jeunesse ou si j’en voulais encore à "Quelqun" qui est allergique à mes référencements, je vous objecterais ici que ce n’est pas sur les questions nationales- cultures nationales- que Sidna Marx radhiya allahou 3enhou a brillé et que ce n’était même pas le benjamin de ses soucis. Il s’en est presque sorti par une boutade : les ouvriers (les prolétaires) n’ont pas de patrie. Sans vous rappeler que dans ses œuvres de jeunesse lui aussi a cru à la mission civilisatrice du colonialisme, avant de confier la libération des « peuples » colonisés au prolétariat des pays colonisateurs. C’était d’ailleurs la posture des partis communistes par la suite avant de se rendre à l’évidence et même de céder à une autre lubie complètement inverse où c’était les peuples colonisés qui sonneraient le glas du capitalisme (voir la question irlandaise). L’émancipation des peuples opprimés qui contribuerait à l’émancipation du prolétariat et non l’inverse. Cela est valable aussi pour les modes de production où Marx lui-même abandonne l’idée de la linéarité du matérialisme historique. Ce n’est plus le développement du capitalisme qui nous conduirait à sa fin mais au contraire un retour à des formes de propriétés plus traditionnelles, communales, et a des modes de productions moins intensifs, etc. (Té Jean Lassalle, les altermondialistes…). Ces formes de production économiseraient à certains peuples les souffrances du passage par le capitalisme.
Et dans ce cas, vous devriez plutôt encourager l’expérience kabyle.
Té, pourquoi vous n’aviez pas appliqué cette idée à la question kabyle ? La Kabylie comme point de départ de la libération ou de la prise de conscience prolétarienne en Algérie ?
Bon, d’accord cette démarche intellectuelle vous aurait étouffé, alors prenons le sujet par sa queue :
Et si la Kabylie était un obstacle pour la libération du prolétariat arabe algérien ? Dans ce cas pourquoi, au lieu de vous enliser dans vos atavismes épidermiques anti-kabyles, vous ne gagneriez pas en stratégie, en encourageant l’indépendance de la Kabylie qui vous débarrassera de son poids dans votre « longue marche » vers la libération du prolétariat de la Nation Arabe toute entière ?
Moi je vous avoue que janimar d’être kabyle. Aussi je vous échangerais bien ma conscience de kabychou contre une conscience de prolétaire bien faite.
Bien faite safidir : sans l’arabité et l’islamité et sans la nationalité.
Ih, on bazarde tout : l’arabité, l’islamité, la nationalité, la kabylité et l’histoire. Une fois complètement nus, diqurmadhènes, circoncis de tous nos oripeaux : religieux nationalistes et culturels, comme des sadous, on vous suivra comme ceux de Moïse vers l’ « identité solidaire » el moqadassa ellati katabtouha, ya Si Qedour lana.
Identité solidaire ??? Quel oxymore ! Quelle arnaque !
Mazelkoum ya din qessam fles ruses de guerre tawe3koum.
Elharb khida3a, tidjara chtara, echart hallal. Ya takhna !
Avnt tout et afin d’éviter tout équivoque je tiens à rappeler que, personnellement, je n’ai jamais été tendre avec Ferhat, et j’ai été le premier à dénoncer son OPA sur le mouvement autonomiste. J’ai écrit à plusieurs reprises qu’on ne pouvait pas choisir meilleur fossoyeur que Ferhat pour ce mouvement.
Mais je pense que vous faites peu de cas, Mr Naïmi, de ceux qui ont prémuni la demande autonomiste kabyle des dérives que vous brandissez comme un repoussoir. Plusieurs personnalités qui ont accompagné le MAK l’ont quitté pour ces mêmes raisons. Et même le mouvement autonomiste dans son essence n’avait rien avec ce qu’il est devenu aujourd’hui. Et si vous aviez voulu être honnête vous auriez au moins reconnu que c’est dans ce sens-là que se reconfigure le mouvement autonomiste.
Au lieu de cela vous avez choisi l’entourloupe pour bai… heu… non biaiser le débat. Que vous soyez anti-autonomiste sans l’avouer clairement c’est votre droit le plus absolu. Mais que vous essayiez de nous entuber avec cette " identité solidaire", vous ne manquez pas d’air.
Pourquoi cette intrusion dans ce contexte-là ? Vous écrivez « identité » au singulier et vous y ajoutiez « solidaire » pour nous enfumer. Sinon pourquoi pas : identités solidaires ?
On a compris que vous visez les indépendantistes. Car par « identité solidaire » ce sont seulement les kabyles que vous interpelliez. Vous ne pouvez rien contre le divorce alors vous admettez kamim à votre grand dam un divorce à l’italienne.
Vous confondez malicieusement identité et autonomie.
Identité, bessaf, il faut l’entraver, avec la solidarité. Pourquoi pas indépendance mais avec achekev enni ndjeha, le clou de Djeha?
Comment, Winnath il veut son autonomie mais, vous, vous lui imposez qu’il soit solidaire ?
Tmenyik !
Voilà les sens de ces deux mots anti-nomiques:
Autonome : Se dit de quelqu'un qui a une certaine indépendance, qui est capable d'agir sans avoir recours à autrui.
Solidaire : qui est lié à…
Woullah ya Si !