Usine de voitures: revoir le cahier des charges pour mettre un terme aux intérêts de la rente
L’objet de cette présente contribution est de poser objectivement la problématique de la rentabilité future des usines de montage de voitures en Algérie avec l’actuel cahier des charges.
Espérons que le comité de veille, instauré par décret du 05 mars 2017, sous la direction du Premier ministre, chargé de coordonner la politique d’investissement, définisse une stratégie claire, en synchronisant les liens dialectiques entre les rôles complémentaires de l’Etat, des entreprises publiques et privées, le marché local et international en perpétuel mutation, le défi futur de l'Algérie étant la maîtrise du temps. C’est que tout opérateur et ce par le monde, est mû par la seule logique du profit. Il appartient à l’Etat régulateur, comme un chef d’orchestre, par un cahier de charges précis, de préserver les intérêts supérieurs du pays et d’orienter la politique économique tenant compte à la fois des nouvelles mutations mondiales et du cadre macro-économique et macro-social interne, libérant toutes les énergies créatrices. Devant éviter la vision techniciste, tout modèle est forcément porté par des forces économiques, sociales et politiques. L’urgence est la mise en place d’une politique industrielle cohérente, devant donc répondre six questions concrètement
- Premièrement, qu’en sera-t-il avec l’épuisement inéluctable des hydrocarbures en termes de rentabilité économique et non de découvertes physiques sur le pouvoir d’achat des Algériens ? Dans ce cas par rapport au pouvoir d’achat réel, (alimentaires, habillement notamment plus les frais de loyer et téléphone) et avec le nivellement par le bas des couches moyennes, que restera-t-il en termes de pouvoir d’achat réel pour acheter une voiture, le niveau d’endettement ayant une limite ? Se pose cette question, face aux mutations mondiales, quel est le seuil de rentabilité de tous ces mini -projets de voitures, l’Algérie étant appelée à évoluer au sein d ‘une économie ouverte, pour éviter des rentes perpétuelles, le protectionnisme parfois nécessaire étant transitoire ?
- Deuxièmement, faute d’unités industrielles spécialisées, afin de favoriser des sous-traitances intégrées, quelle sera la balance devises des unités projetées ? D’autant plus que la majorité des inputs (coûtant plus cher avec le dérapage du dinar) seront presque importés devant inclure le coût de transport, également la formation adaptée aux nouvelles technologies et les coûts salariaux. Les avantages doivent être progressifs selon le niveau d’exportation et surtout le taux d’intégration devant définir des seuils pur un taux d’intégration de 0/10% - de 10/20%- de 20/30% et de 40/50%. Ainsi pour un taux d’intégration variant entre 0 et 10% les avantages doivent être limitées au maximum et devant leur fixer un seuil de production ne dépassant pas 5000 unités/an afin d’éviter que durant cette période certains opérateurs soient tentés dans une logique de rente, d’arriver à plus de 30.000/50.000 unités/an sans intégration, accroissant par là la facture d’importation en devises des composants. Comment dès lors ces micro-unités, souvent orientées vers le marché intérieur, réaliseront le taux d’intégration prévue de 40/50% au bout d’environ cinq années, risquant de fermer (faillite ne pouvant faire face à la concurrence internationale) après avoir perçu tous les avantages qui constituent des subventions supportées par le trésor public d’où l’importance d’une régulation stricte de l’Etat pour éviter des transferts de rente au profit d’une minorité rentière ?
- Troisièmement, lié à la question précédente : quelle est la situation de la sous-traitance en Algérie pour réaliser un taux d’intégration acceptable qui puisse réduire les coûts ? En faisant une comparaison avec les pays voisins où le taux d'intégration est plus élevé par rapport à l'Algérie, des experts ont souligné lors forum à El Moudjahid en mars 2017 qu'en Tunisie, le nombre des entreprises sous-traitantes représente 20% des entreprises industrielles (1.000 entreprises de sous-traitance parmi 5.000 entreprises industrielles), alors qu'au Maroc, le taux est de 28% (2.000 entreprises de sous-traitance sur 7.000 sociétés industriel. Or le secteur industriel algérien représente actuellement 5% seulement du PIB, alors que les besoins exprimés en matière d'équipement industriel et de toute autre composante industrielle et de pièces de rechange sont globalement de 25 milliard de dollars. Le nombre d’entreprises sous-traitantes recensées en Algérie est globalement autour de 900 000 entreprises, mais 97% de ces entreprises étant des PME, voire de toutes petites entreprises (TPE) avec moins de 10 employés et qu’ environ 9000, soit 1% activent pour le secteur industriel, le reste opérant soit dans le secteur commercial, la distribution, les services, le BTPH
- Quatrièmement, dans une vision cohérente de la politique industrielle tenant compte de la forte concurrence internationale et des nouvelles mutations technologiques dans ce domaine, ne fallait –il pas par commencer de sélectionner deux ou trois constructeurs algériens avec un partenariat étranger gagnant/gagnant maitrisant les circuits internationaux avec un cahier de charges précis leur donnant des avantages fiscaux et financiers en fonctions de leur capacité. Dans ce cas construit-on actuellement une usine de voitures pour un marché local alors que l’objectif du management stratégique de toute entreprise n’est –il pas ou régional et mondial afin de garantir la rentabilité financière face à la concurrence internationale, cette filière étant internationalisée avec des sous segments s’imbriquant au niveau mondial ? Dès lors, comment pénétrer le marché mondial à terme avec la règle des 49/51% , aucune firme étrangère de renom ne pouvant accepter cette règle rigide dans le cadre des exportations mondiales et donc le risque que l’Algérie supporte tous les surcoûts conduisant à l’endettement d’autant plus que l’Algérie risque de connaitre des tensions budgétaires entre 2017/2020?
- Cinquièmement, une politique industrielle sans la maitrise du savoir est vouée inéluctablement à l’échec avec un gaspillage des ressources financières. Aussi l’industrie automobile étant devenue capitalistique, (les tours à programmation numérique éliminant les emplois intermédiaires) quel est le nombre d’emplois directs et indirects créés, renvoyant à la qualification nécessaire tenant compte des nouvelles technologies appliquées à l’automobile ? Je ne rappellerai jamais assez que le moteur de tout processus de développement réside en la recherche développement, que le capital argent n’est qu’un moyen et que sans l’intégration de l’économie de la connaissance, aucune politique économique et encore moins industrielle n’a d’avenir, en ce XXIème siècle , face à un monde turbulent et instable où les innovations technologiques sont en perpétuelle évolution.
-Sixièmement, quelle sera le coût et la stratégie des réseaux de distribution pour s’adapter à ces mutations technologiques et ces voitures fonctionneront-elles à l’essence, au diesel, au GPLC, au Bupro, hybride ou au solaire renvoyant d’ailleurs à la politique des subventions généralisées dans les carburants qui faussent l’allocation optimale des ressources ? Pour rappel, selon l’ONS entre 2014/2015, pour le type de carburant utilisé, l’essence représente 65% et le gasoil 34%, l’utilisation du GPLC étant marginale.
En conclusion, il y a impératif de modifier en urgence l’actuel cahier des charges qui peut engendrer l’extension des intérêts de rente, passage d’importation clef en main de voitures à l’importation de composants qui auront le même impact sur la sortie de devises à terme. Ce n’est donc pas la faute des opérateurs qui ont respecté les cahiers des charges mais au département ministériel qui l’a élaboré. Personne ne doit jouer avec la sécurité du pays. Je ne suis pas contre la mise en place d’une industrie mécanique mais celle-ci doit s’inscrire au sein d’une vision stratégique. Or, il semble bien que certains responsables algériens oublient que la mondialisation est bien là avec des incidences géostratégiques, politiques, sociales, culturelles et économiques, voulant perpétuer un modèle de politique industrielle dépassé des années 1970 qui ne peut que conduire le pays à une grande dépendance. Soyons pragmatiques, sachons corriger nos erreurs loin de l’activisme et sachons écouter les avis contraires productifs. Il y a lieu de tenir compte que l’économie algérienne est irriguée par la rente des hydrocarbures (98% des exportations totales avec les dérivées).
L’évolution des cours détermine fondamentalement le pouvoir d’achat des Algériens, l’agrégat global tenant compte de l’inflation, du revenu national devant être éclaté par l’analyse de la répartition du revenu et du modèle de consommation par couches sociales. L'Algérie, pays à importantes potentialités, doit investir tant dans les institutions démocratiques que dans des segments où elle peut avoir des avantages comparatifs : l'agriculture, le tourisme important gisement, les nouvelles technologies et dans des sous segments de filières industrielles tenant compte des profonds changements technologiques et des importantes restructurations managériales de cette filière qui est totalement internationalisée
Dr Abderrahmane Mebtoul, Professeur des Universités, expert international
Commentaires (4) | Réagir ?
Je pense surtout que ce genre de cahier des charges a été mis en place tout simplement pour alimenter les poches des rentiers. Il suffit de quelques calculs mathématiques...
Le loup y est !!!
Ce ne sont pas les cahiers des charges qu'il faut revoir, ce sont les faiseurs de ce genre de cahiers des charges qu'il faut démettre...
Tout à fait !