Une école algérienne à bout de… rythmes
En Algérie, les rythmes scolaires sont d’une conception archaïque encore marquée par l’héritage de l’école coloniale malgré certains rafistolages et l’introduction de quelques marqueurs culturels. Les résultats des recherches en chronobiologie, chronopsychologie ou chronosociologie ne semblent pas influer sur le cours des choses. Certes, la recherche en pédagogie, et dans les disciplines connexes, est au point mort en Algérie, mais on pourrait au moins essayer de tirer profit des recherches réalisées dans les pays où le sort des enfants et le devenir de la nation préoccupent les chercheurs et les responsables politiques et institutionnels.
Souvent, l’organisation des rythmes scolaires obéit plus à des impératifs idéologiques, économiques, sociétaux et politiques qu’à une finalité de développement et d’épanouissement de l’enfant ou de l’adolescent. Ainsi, par exemple, l’âge de scolarisation, l’organisation de la journée, et de la semaine, de l’élève ou le calendrier des vacances peuvent être dictés par des considérations économiques ou civilisationnelles d’un pays. On continue à parler hypocritement, ou par ignorance, de l’intérêt de l’élève tout en le soumettant à des journées épuisables improductives intellectuellement, à un calendrier annuel aberrant, tout aussi improductif, ou à un programme tellement chargé qu’il se verra souvent obligé de fréquenter des cours de soutien ou de recourir à des cours particuliers pour arriver à obtenir les résultats qu’attendent de lui ses parents.
L’âge de la scolarisation
L’âge de la scolarisation est avancé dans certains pays jusqu’à trois ans, avec des écoles maternelles. En Algérie, l’âge de la scolarisation a été avancé depuis quelques années de six à cinq ans avec la mise en place d’un cycle, d’une année, nommé "préscolaire". Ce phénomène n’obéit pas à une logique scientifique mais à des contraintes socioéconomiques.
L’industrialisation a bouleversé le mode de vie en Europe. L’urbanisation qui a accompagné cette évolution a fait que l’organisation familiale a muté vers la famille nucléaire : l’exode rural et l’exigüité du logement populaire urbain ont eu raison du modèle familial traditionnel. Le salariat des parents les rend indisponibles pour élever et éduquer leurs jeunes enfants. Pour la réussite du nouveau modèle économique, le "gardiennage" des enfants est organisé. C’est cette évolution qui se constate depuis quelques décennies en Algérie avec un exode rural, un nouveau type de logement "urbain" et le salariat des deux parents. L’Etat répond à cette nouvelle réalité socioéconomique par l’instauration du cycle préscolaire.
Pour son développement personnel, son épanouissement et son équilibre psychologique, le foyer familial est de très loin meilleur pour un enfant de cinq ans. L’âge de l’accueil des enfants dans le premier cycle est de sept ans en Finlande, pays dont le système éducatif est reconnu par tous pour ses performances. La maturité physique et psychologique de l’enfant est un atout pour sa réussite scolaire.
La journée de l’élève
Dans tous les cycles, le temps que passe l’élève à l’école n’est pas justifié pédagogiquement. A 5/6 ans, l’enfant a déjà 4 h 30 mn de classe pour une présence de 8 h 00 à 14 h 30 quatre fois par semaine plus 3 h le mardi matin. Plus il avance dans la scolarisation plus il est soumis à des horaires plus importants. Au collège et au lycée, l’élève peut avoir des journées de huit heures de cours qui s’étalent de 8 h 00 à 17 h 30. En plus de cela, les élèves ont souvent des devoirs et des révisions à faire chez eux, sans parler de ceux qui fréquentent des cours de soutien ou de ceux qui suivent des cours particuliers. Ces rythmes quotidiens sont épuisants et improductifs d’un point de vue intellectuel.
Une telle organisation de la journée ne se soucie que d’un objectif : préparer le sujet aux contraintes horaires de sa condition future de d’adulte travailleur. Ce rythme quotidien est nuisible pour l’épanouissement intellectuel et le rendement scolaire de l’élève. Les recherches en chronobiologie et chronopsychologie ont établi que les enfants et adolescents ont un temps quotidien de concentration et de réceptivité limité, seulement à certains moments de la journée, et qui varie en fonction de l’âge. A titre d’exemple, on peut se référer aux recherches des professeurs Hubert Montagner et François Testu. Leurs travaux peuvent servir de base pour une expérimentation afin d’établir des propositions qui tiennent compte des réalités algériennes (climat, alimentation, culture, etc.).
Les enseignements devraient donc se dérouler lors des moments de concentration optimale pour chaque catégorie d’âges. Il faut en finir avec l’image de l’enseignant qui sermonne un élève qui sommeille en classe après avoir avalé un plat de lentilles à la cantine, à midi. Le reste du temps peut être consacré à des activités qui ne nécessitent pas de concentration particulière. Pour les plus petits, ce serait productif de proposer une sieste en cas de besoin.
Alléger le nombre de matières scolaires et/ou les horaires qui leurs sont impartis permettra de réduire le nombre d’heures de cours quotidiens. Etant donné que l’enseignement vise plus à installer des compétences et à apprendre à apprendre, la réduction est faisable. Mis à part les langages qui doivent bénéficier d’un horaire important, les autres matières peuvent subir des «coupes» horaires. A titre d’exemple, l’histoire et la géographie peuvent s’enseigner de façon alternative : une semaine, c’est l’histoire, une autre c’est la géographie ou les alterner par bimestre. Et il y a le cas de l’éducation islamique qui devrait devenir une matière facultative car on ne peut pas continuer à imposer cette éducation à des enfants ou adolescents qui ne sont pas musulmans : c’est une violence symbolique qu’exerce l’Etat à l’égard d’une partie des citoyens algériens au mépris de la constitution et des autres lois du pays.
Comme les jeunes enfants ne se concentrent pas tôt le matin, on peut commencer à faire la classe, pour eux, à partir de 9 heures et optimiser les autres moments de concentration. Et comme le premier jour de la semaine est un moment de réadaptation et que le dernier est moment où l’élève se trouve dans un état de fatigue causée par la charge de travail hebdomadaire, l’allégement de ces journées est préférable à l’octroi d’une demi-journée de repos le mardi après-midi, un moment où l’élève est dans des conditions de forte réceptivité. En se référant aux conclusions du chronobiologiste Hubert Montagner, et à ce qui se fait dans les pays évolués en la matière, on peut optimiser l’établissement des répartitions horaires hebdomadaires et élaborer des propositions en fonction de l’âge des élèves et du cycle d’enseignement. A titre d’exemple, une proposition pour chaque cycle d’enseignement.
1ère année : 9h00 - 10h00 ; 10h15 - 11h15 du dimanche au jeudi.
15h00 - 16h00 dimanche et jeudi ; 14h45 - 16h15 du lundi au mercredi.
2ème année : 9h00 - 10h15 ; 10h30 - 11h30 du dimanche au jeudi.
14h45- 16h00 dimanche et jeudi ; 14h45 - 16h15 du lundi au mercredi.
3ème année : 8h45 - 10h00 et 10h15 -11h30
14h45 - 16h00 dimanche et jeudi ; 14h30 - 15h30 et 15h45 - 16h30 du lundi au mercredi.
4ème année : 8h30 - 10h00 et 10h15 - 11h30 du dimanche au jeudi
14h30 - 16h00 dimanche et jeudi ; 14h15 - 15h15 et 15h30 - 16h30 du lundi au mercredi.
5ème année : 8h30 - 10h00 et 10h15 - 11h30 du dimanche au jeudi
14h30 - 16h00 dimanche et jeudi ; 14h00 - 15h15 et 15h30 - 16h30 du lundi au mercredi.
Collège
8h30 - 10h30 et 10h45 - 11h45 du dimanche au jeudi
14h00 - 16h00 dimanche et jeudi ; 13h45 - 15h45 et 16h - 17h00 du lundi au mercredi.
Lycée
8h00 - 10h00 et 10h15 - 11h45 du dimanche
14h00 - 16h00 dimanche et jeudi ; 13h45 - 15h45 et 16h00 -17h00 du lundi au mercredi.
L’accueil des élèves doit se faire dès 8 h 00 au primaire et au moment du début des cours dans les cycles secondaires. Les enseignants du primaire doivent être formés pour faire face aux exigences de la nouvelle organisation. Ils doivent pouvoir proposer aux élèves des activités ludiques ou des moments de lecture libre pour le plaisir durant le temps qu’ils passent à l’école en dehors des heures de cours. Pour les cycles secondaires où il y a moins de temps morts, c’est l’organisation de moments de lecture pour le plaisir qui doit être la priorité. La pause-déjeuner étant d’au moins deux heures, on peut consacrer à ce loisir formateur une demi-heure, deux ou trois fois par semaine. Et si les enseignants pouvaient donner l’exemple, ce serait un plus pour la réussite d’un tel moment.
La semaine de l’élève
Il faut en finir avec les semaines uniformes et surchargées. Après le repos hebdomadaire de deux jours, l’élève doit pouvoir réintégrer le travail scolaire avec un aménagement de la première journée de la semaine : il a besoin d’un temps de «réadaptation» pour atteindre le maximum de ses capacités. Il faut donc alléger le volume horaire de cette journée et prévoir des activités qui prennent en compte la réceptivité relativement diminuée de l’élève. Le dernier jour de la semaine scolaire trouve l’élève dans un état de fatigue qui engendre une baisse de la concentration et cela nécessite un aménagement comme pour le premier jour. Etablir une courbe des efforts à exiger de l’élève en tenant compte de son état physique et psychologique aura pour résultat l’optimisation du rendement sur tous les plans.
On peut ouvrir l’école le vendredi matin pour diverses activités : l’éducation religieuse pour toutes les confessions, la pratique sportive, les ateliers artistiques. Cela peut se faire avec des intervenants extérieurs mais sous le contrôle du ministère de l’éducation.
Diminuer la charge de travail quotidienne et hebdomadaire permettra à l’élève de travailler au mieux de ses capacités. Mais on doit augmenter le nombre de semaines de travail sur l’année scolaire.
L’année scolaire des élèves
On ferait mieux de parler de saisons (automne, hiver, printemps et été) que de trimestres pour la répartition de l’année scolaire. Le trimestre est une unité de temps de trois mois. Depuis quelques lustres, l’année scolaire se divise en trois «trimestres» inégaux. Le premier s’étale sur trois mois et demi, le deuxième sur deux mois et demi et le troisième sur un mois et demi à deux mois selon les cycles. C’est une organisation déséquilibrée et non réfléchie.
La longueur de la première période est épuisante pour les élèves. Ce ne sont pas les 2 ou 3 jours de congés autour du 1er novembre qui vont leur permettre de souffler. La deuxième période est à peu près supportable alors que la dernière est trop courte pour les cycles secondaires. Il faudrait une organisation plus équilibrée.
Hubert Montagner propose des cycles de sept semaines d’étude/deux semaines de vacances. Sans qu’il en soit référé explicitement, cette proposition tient compte de considérations culturelles françaises avec le maintien des vacances de Noël et de Pâques. Avec des effets heureux pour le tourisme avec les deux moments des vacances en hiver.
Je pense qu’une organisation de 9 semaines de travail/2semaines de repos serait une bonne chose. On aura ainsi 36 semaines effectives de cours (qui est l’objectif du ministère de l’éducation) réparties de façon équilibrée sur toute l’année.
Hubert Montagner estime qu’il faut, au minimum, deux semaines de vacances pour que l’élève puisse réellement récupérer de sa fatigue. Depuis quelques années, on constate que les vacances scolaires d’hiver et du printemps ne sont pas respectées. Quand ces vacances ne sont pas réduites pour récupérer les cours «perdus» à cause de grèves d’enseignants, c’est pour gaver les élèves qui préparent des examens de fin de cycle (brevet et baccalauréat). Il faut mettre un terme à ces pratiques et respecter les moments de repos des élèves. C’est ce repos qui leur permettra d’être au mieux de leurs capacités afin de travailler de façon optimale durant les périodes prévues aux études.
La rudesse de l’hiver dans certaines régions peut nécessiter des aménagements temporaires. La pédagogie doit trouver des solutions en faisant travailler les élèves chez eux à ces moments-là. Le développement des TIC peut permettre d’envisager des dispositifs de travail en ligne pour pallier aux aléas climatiques. Le mois de juin peut être très chaud par moment. On peut imaginer de faire travailler les élèves uniquement les matinées et décaler les horaires de travail pour commencer plus tôt que d’habitude.
Il faut aussi alléger ces trop longues sessions d’examens de fin de cycles. Cela se fait au détriment du temps des études et sans utilité avérée. Evaluer le niveau des élèves dans les langages et s’en remettre au contrôle continu pour les autres matières : ce serait plus raisonnable. Le niveau des élèves dans les langages est un indicateur pertinent quant à leurs aptitudes à assimiler les savoirs des autres cours.
Les temps sociaux
On peut constater que les temps sociaux qui sont pris en compte par l’école sont les célébrations nationales (historiques et religieuses). Cela se traduit par l’octroi de journées de repos. Certains de ces moments peuvent être abordés dans les cours par les enseignants car ils figurent au programme. D’autres moments sociaux importants ne sont pas l’objet de l’attention de l’institution éducative. Ils peuvent avoir une implication individuelle ou collective.
Les dispositifs pédagogiques actuels ne prennent pas en compte les difficultés de l’élève comme sa maladie ou des événements familiaux difficiles comme la maladie grave ou le décès de parents qui influent énormément sur le travail scolaire des enfants et adolescents.
Des moments sociaux comme l’arrivée du printemps, Yennayer (nouvel an berbère), la cueillette des olives, la transhumance et toute sorte d’événement civilisationnel local ou régional peut avoir une exploitation pédagogique avec une implication pratique des élèves qui vivront ainsi ces moments et en tireront des bénéfices intellectuels.
A titre d’exemple, la cueillette des olives a une dimension économique certaine mais elle a aussi des aspects socioculturels très intéressants. C’est un moment de travail collectif où chaque membre de la famille est sollicité en fonction de ses capacités et aptitudes. On organise aussi des moments d’entre-aide, tiwizi. Ce sont des pratiques qui développent l’esprit de coopération et de solidarité. Les repas se prennent ensemble dans les champs, ce qui permet de vivre un moment de partage et de convivialité dans la nature. A côté de cela, il y a tous les éco-savoirs qui s’acquièrent grâce à l’activité elle-même ou à l’environnement.
Conclusion
L’aménagement des rythmes scolaires en fonction des résultats des recherches scientifiques, tout en tenant compte des réalités socioculturelles du pays, contribuera à la modernisation du système scolaire. Des dispositifs conçus pour l’épanouissement de l’élève lui permettront de réaliser de meilleures performances intellectuelles. Mais cela n’est pas suffisant. Il faudra moderniser les approches pédagogiques et les programmes. Et pour une véritable réussite, il faudra former les enseignants pour qu’ils puissent assurer la réussite d’une telle entreprise. Mais pour que tout cela arrive, il faut une volonté politique.
Nasserdine Aït Ouali, docteur en littérature française
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Thank you very nice article
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