Il y a une année nous quittait Ferhat Chebini
Le jour du samedi 19 mars 2016 était un jour noir pour la communauté kabyle de la région de la capitale nationale du Canada. Un de ses membres parmi les plus actifs a rendu l’âme. Il s’agit du regretté Ferhat Chebini, parti prématurément à l’âge de 57 ans.
Il avait Taqbaylit ou la kabylité en tant que langue, philosophie, valeurs et mode de vie, dans ses tripes au point où ses dernières paroles étaient une profession de foi kabyle :
"Enterrez-moi en Kabyle, rien qu’en kabyle, mais surtout je ne veux d’aucune autre présence ou indice religieux lors de mes funérailles. Et d’ailleurs je charge Arab Sekhi pour assurer une telle tâche".
Ce sont ses dernières paroles, avant de rendre l’âme confié à son épouse Houria Ammour sur son lit de mort aux soins palliatifs du centre Élisabeth Bruyère à Ottawa. Il était entouré de ses précieux enfants Amokrane, Aghilas et Juba et de ses deux beaux-frères Mohand et Hsen, venus spécialement d’Allemagne quelques jours auparavant.
Deux mois auparavant, feu Ferhat Chebini était venu à la célébration annuelle de l’ACAOH de Yennayer 2966. Il était tout joyau ou point de faire le tour de toutes les tables pour nous saluer et partager quelques moments de discussions et de bonheur avec les uns et les autres. C’était aussi pour nous dire adieu parce qu’il savait qu’il allait quitter la vie sur terre. Il était atteint d’un cancer.
Quelques semaines avant Yennayer, je lui ai rendu visite à l’hôpital en compagnie d’un ami et voisin Mustapha Aissaoui, représentant des parents d’élèves de tamazight à Ottawa. L’infirmière nous avait dit que normalement il ne reçoit personne car très affaibli, mais pour vous il tenait à vous recevoir. C’est exactement ce qu’il nous a confirmé verbalement une fois près de lui. Pourquoi ?
Certainement parce que nous partagions la même passion : l’enseignement de tamazight à Ottawa. A l’hôpital, nous avons passé une bonne demi-heure à discuter de tout, mais surtout de spiritualité, de taqbaylit et des bons moments passés ensemble où nous avons remémoré les différentes pièces qu’il nous a préparées durant toutes les années passées.
La famille s’est donnée 4 jours pour bien préparer les funérailles en recevant parents et amis au Complexe Funéraire Héritage à Orléans (Est d’Ottawa). C’était grandiose, émouvant. Mais surtout original en matière de kabylité, celle-ci était très présente en musique et en prises de paroles, selon les vœux du regretté. Une organisation merveilleusement gérée par le tandem Arab Sekhi et Hocine Toulait en collaboration avec la famille du regretté et les membres de notre association ACAOH, pour ne pas dire notre village ACAOH, pour reprendre Dr. Youcef Allioui.
Il est important de souligner que nous avons pris comme référence les funérailles de Dda Lhusin, Hocine Ait Ahmed, en Suisse qui ont fortement marqué le regretté Ferhat Chebini au point où le jour de Yennayer 2966, il m’avait dit ceci : "As-tu vu les funérailles de Hocine Ait Ahmed combien elles étaient fantastiques notamment avec la présence d'Idir qui a chanté". C’est avec ce genre d’actions qu’il convient de casser les tabous. Et à Ferhat de poursuivre de juste : "Même si les funérailles de Dda Lhusin depuis Alger jusqu’en Kabylie ont été récupérées idéologiquement de façon malsaine par ceux qui lui ont fait mal".
Ferhat Chebini était très apprécié au sein de son village Sahel où il est né en 1959. Ce village se trouvant dans la commune de Bouzeguène, à une soixantaine de kilomètres au sud-est de Tizi-Ouzou, est connu par sa fête annuelle de la figue de barbarie. Après les études secondaires au lycée Chihan-Bachir d’Azazga ponctuées par un Bac en sciences en juin 1977, Ferhat chebini a commencé ses études universitaires à l’ouverture de l’université de Tizi Ouzou au campus de Oued Aissi de septembre 1977 à juin 1978. En 1978, il a rejoint l’Institut national agronomique d’El Harrach pour obtenir les diplômes d’ingénieur agronome en 1983 puis de magister en sciences agronomiques en 1987. Durant son passage universitaire à Alger il a participé à l’organisation de plusieurs manifestations culturelles, marches et grèves pour la revendication touchant Tamazight en particulier. Dans le domaine artistique, il a côtoyé plusieurs groupes de musique, Ideflawen, Tagrawla et en particulier Mohand Ouali Kezzar. Entre 1986 et 1989, il a fondé le groupe de musique "Imal", constitué de jeunes étudiants à l’époque. Le groupe s’est séparé après la graduation de la plupart d’entre eux.
Ferhat Chebini est arrivé à Ottawa en juillet 2002. Exactement le même mois où j’ai personnellement quitté la capitale canadienne pour m’établir dans la belle région du Saguenay Lac Saint-Jean au nord du Québec, où j’ai passé 7 années avant de revenir en 2009. Durant cette longue période mon esprit et mon cœur étaient toujours à Ottawa où je venais périodiquement en famille pour rendre visite aux amis mais aussi pour assister aux fêtes annuelles de Yennayer et du 20 Avril avec l’ACAOH où nous avons toujours gardé notre membriété.
C’est durant ces courtes périodes de va-et-viens que j’ai connu Ferhat Chebini alors qu’il assurait l’enseignement de tamazight au primaire, que je donnais moi-même avant de quitter Ottawa pour le Saguenay. On échangeait souvent nos expériences dans la façon d’enseigner et la pédagogie utilisée dans l’enseignement de tamazight dans le cadre du programme des langues internationales géré par la commission scolaire OCDSB (Ottawa-Carlton District School Board).
Notre amitié est devenue encore plus profonde durant la période 2005-2008 ou j’animais une émission sur Berbère TV. Je me souviens avoir interviewer feu Ferhat Chebini à plusieurs reprises. Que ce soit à l’École ou lors des fêtes de Yennayer et Tafsut Imazighen. A chaque fois il est content car il me disait : «Je ne te remercierai jamais assez Rachid, car c’est grâce à ton émission que ma mère me voit de temps en temps à la TV, faute de me voir physiquement».
Ferhat Chebini n’a jamais cessé d’animer les soirées au profit de l’ACAOH ou de préparer des pièces théâtrales pour nos élèves de l’école. En effet après quelques années en solo, il a rejoint la troupe de chant Tilelli pour présenter plusieurs spectacles à Ottawa et à Montréal. Il a, entretemps, rejoint "Aɣerbaz n tmaziɣt" pour enseigner au niveau primaire. Durant ces années d’enseignement, il a écrit plusieurs poèmes et pièces de théâtre interprétés par les élèves de Tamazight durant les soirées de l’ACAOH.
Il a créé entre autres le groupe musical "Mélodies berbères" qui a participé à plusieurs manifestations culturelles : théâtre Shenkmann d’Orléans, journées interculturelles de Gatineau….etc.
Très fatigué, en 2010 il a décidé de me laisser sa place d’enseignant de tamazight au niveau du primaire. Une année après, et en guise de reconnaissance pour tout ce qu’il a fait pour l’école, mais aussi pour l’ensemble de ses implications communautaires, il a été récipiendaire d’un prix ACAOH bien mérité de la personnalité culturelle de l’année.
Même très malade les dernières années avant de nous quitter, Ferhat Chebini nous a fourni un grand nombre de pièces de théâtre aussi bien pour mes élèves que ceux de mon collègue de la classe du secondaire.
Aux funérailles, et parmi tous ceux et celles qui ont pris la parole en guise de témoignages, ma prise de parole en taqbaylit était un rappel des principales actions et œuvres de Ferhat Chebini, mais aussi des meilleurs moments que nous avons vécus ensemble. Il nous a donné une opportunité et pour une fois pour faire des oraisons funèbres complètement en kabyle, et ce en présence d’un grand nombre d’amis et collègues, qu’ils soient anglophophones, francophones, arabophones, kabylophones/amazighophones, … Voici ce que j’avais dit en kabyle sur mon ami Ferhat Chebini.
"Ass n sebt yewweḍ umeddakel ɛzizen fell-aɣ Ferḥat s anda akk a naweḍ. Lmut turǧa-aɣ akk. Ulac win ad tezgel. Ur nezri ara acu i yellan akkin i Lmut? Acku ulac win iruḥen, yuɣal-d, yerra-aɣ-d s lexber?
Maca zriɣ yiwet n tɣawsa. Ma s tidet tella tuddert akkin i lmut, war ccek ad nafen deg-s imdanen yellan zeddigen am kečč a Ferḥat, wid i xedmen kra yelhan deg tmeddurt-nsen.
Ama deg usnulfu d tussna, neɣ deg umennuɣ ɣef tmagit, idles d tutlayt yettwaḥeqren, neɣ s umata i wakken ad yekkes lbaṭel deg umaḍal-agi ideg nella.
Ma zemreɣ ad adreɣ kra n yisemawen ger wid iɣef d-newwi ameslay nekk d kečč agma Ferḥat d acḥal n tikkal, yella: Steeve Jobs, Albert Einstein, Issac Newton, Louis Pasteur, William Shekespear, Martin Luther King, Mahatma Gandi, Muhya, Mouloud Mammeri, Slimane Azem, Masin Uharun, Matoub Lwennas, Bessaoud Muhand Arab, Meksa, Brahim Izri, atg.
D udmawen n tussna, n umennuɣ ɣef talwit, n umennuɣ ɣef tutlayt nneɣ Tamaziɣt, Taqbaylit iɣef tefkiḍ azal ameqqran seg tuddert-ik, seg wasmi telliḍ deg tesnawit deg Iɛezzugen, deg tesdawiyin n Tizi Wezzu d Lezzayer, alama d asmi id tunageḍ ɣer Canada deg 2002, anda id tufiḍ Annar n Tiddukla ACAOH ideg telḥiḍ amecwar muqren ama deg ccna neɣ deg uselmed.
A Ferḥat zriɣ tḥemmel akal. Deg iseggasen-a ineggura tezgiḍ tettezzuḍ lfakya d lxeḍra akken iyi-d-tenniḍ. Maca daɣen teẓẓiḍ Taqbaylit i warraw-neɣ am Massil, Katya, Anees, Baya, Anya, Yasmine, Yanis, Yidir, Liza, Agnes, Tina, … mačči d yiwen neɣ yiwet. Dɣa kra seg-sen atnan dagi. A ten-ttwaliɣ. Teẓẓiḍ Taqbaylit deg-sen s wuden n uselmed, n ccna d tceqqufin umezgun.
A Ferḥat teẓẓiḍ daɣen Taqbaylit d tussna i warraw-ik: Akniwen Muqran d Ɣilas akked Yuba. Tefkiḍ-asen, kečč d tmeṭṭut-ik Ḥuriya, i yellan ɣer yidis-ik alama d lmut-ik, tussna d wazalen n Teqbaylit, acku tṛṛebam-ten, tseɣrem-ten akken iwata.
Ferḥat uqbel ad yesufeɣ tarwiḥt, yenna-as i tmeṭut-is snat n temsal:
1. Wekleɣ-kem ɣef Warab Sexxi i lǧanaza-inu. Tfehmem akk ayen Arab Sexxi? Axaṭer llant snat n tɣawsiwin i ten yesemlalen: Leḥmala n Teqbaylit akked umezgun.
2. Yenna umerḥum Ferḥat i Ḥuriya akked yiḍeggalen-is Muḥend d Ḥsen id yusan si L’Allemagne: Bɣiɣ ad neṭleɣ s Teqbaylit kan, ur bɣiɣ ara ayen nniḍen, ladɣa Ddin.
Tanemmirt a Ferḥat. Tanemmirt mačci ɣef imeslayen-a id tenniḍ, acku yal yiwen d tamuɣli-s ɣef tmeddurt, lmut d ddin.
Tanemmirt acku tefkiḍ-d amedya meqqren d akken du laqrar yal yiwen deg-neɣ a yemten isya d asawen, ad yeǧǧ laahed (testament) neɣ lewṣaya. Awal amek ilaq ad yenṭel. D taɛkumt ad yifsusen ɣef wid ad iheggin lǧanaza.
Ma yella mačči akk-a, tezram akk lɣaluḍa akked umennuɣ id yettilin yal tikkelt ger iɛeggalen n twacult neɣ ger tawacult d yimeddukal umerḥum. Dayen i nezra d acḥal n tikkal, ama deg tmurt neɣ dagi di Canada.
Atan ihi a Ferḥat lǧanaza-agi tella-d s teqbaylit kan, aken i tt-tebɣiḍ. Qrib swa swa am tin n umerḥun Ḥusin Ait Ahmed deg Luzann i ak-isferḥen akken id iyi-d tenniḍ deg Yennayer-nni yezrin. Akken daɣen iɣaḍ-ik lḥal amek id yella userwet ɣef tenṭelt-ines deg tmurt. Wisen ahat d annect-a i ak-yeǧǧan ad tt-tefruḍ deg ṛṛay-ik, d akken ad tneṭleḍ dagi di Canada s Teqbaylit kan.
Dɣa deg Yennayer-nni 2966 i ak-zriɣ, i ak-nezra nekkni s yiɛqeggalen n ACAOH i tikkelt taneggarut. Wisen ahat imiren tebɣiḍ ad aɣ-d-iniḍ Qimat deg talwit.
Ihi qqim deg talwit agma Ferḥat, iɣsan-ik ad sgunfun I llebda”.
En conclusion, laissez-moi partager avec vous ce beau poème d’un fils du village de Sahel, établi au Canada depuis quelques années seulement. Il s’agit de Zoubir Redjadj, ex-journaliste de la chaine 2, et actuellement journaliste à Tamazgha TV Monde. Tout petit il se rappelait bien de feu Ferhat Chebini. Voici le poème très touchant, qu’il dédie plus particulièrement à sa femme et ses trois enfants :
Mmektaɣ-d ussan n temzi Nessɛeda s llḥif d taḍsa Ferḥat, Rabaḥ, Yusef, nekk-i D ttiyematin nneɣ id nufa Rebbantaɣ aken lɛeli Xas s llaz d leḥfa Deg unebdu carwent tidi Ddant uṣemmiḍ d ccetwa Leqraya zgant d aweṣi Taktubt deg ufus tezga Deg lawan ustaɛfu nettcali Ar lebḥer, adrar neɣ lexla Ger ilmezyen nettseki Deg mkul leqdic nella. | Tagi d tiɣri n yemdukal-ik Iyid tcerkeḍ tameddurt I tesɛedaḍ di temẓi-ik Deg uɣerbaz neɣ di tmurt Canada tettmenniḍ-tt seg zik Tewḍeḍ lebɣi-k ur ak-ifut Thegaḍ lehna i warraw-ik Akd d tsemict n tafut Acḥal necedha udem-ik Deg wasmi i tefɣeḍ nettu-t Acḥal i nerǧa ṣut-ik D iseggasen nettraǧu-t.
| Nesla ikcem-it waṭṭan D win yessefsaden idamen Ssebba acḥal it ḍawan S La Chimie d wayen nniḍen Ula ɣer tmurt steqsanan Afadif i as-ilaqen Ar wid i as-yettilin ur d-ufan Nudan ar medden nniḍen Ifuk ussirem ay ameqran Laɛquel d win id yeqqimen Ccedda tessenqas deg ussan Lmut d tin id yebḍen Sber i tarwa-as d imawlan Tekcem tefsut s leḥzen |
Racid At Ali uQasi
Canada, 21 mars 2017.
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MERCI
danke schoon