Dissémination et transformation onomastiques à l’épreuve de l’histoire : le cas des Flissa
"C’est la plus grande confédération de tribus (qui dans la résistance à l’envahisseur étranger, a de tout temps agrégé autour d’elle, les Maatka, les Ath Khalfoun, les Nezlioua, les Guechtoula et les Ath Laaziz). Ce sont les Kabyles les plus proches d’Alger, en position de gardiens de la Kabylie". Camille Lacoste Dujardin
Nous reprenons à notre compte, la réfutation de la thèse de la dissémination onomastique de D.J. Mattingly par Y. Modéran, En étudiant la théorie dite de Tauxier, ce dernier décrit les mécanismes de la diffusion générale du nom sur tout le Maghreb de la tribu des Louata connue dans l’antiquité sous le nom de Luguatan. A l’examen des mythes, il écrit ceci : "Si on peut retrouver indiscutablement des traces d’importants et durables mouvements vers l’ouest de certaines tribus libyennes, c’est seulement à partir de la fin du VIIe siècle, à partir de la conquête arabe, et en grande partie à cause de celle-ci, parce que les premières tribus rencontrées par les Arabes furent les premières converties et qu’elles jouèrent un rôle décisif dans la deuxième phase des opérations de la conquête" (1). Afin d’étayer l’hypothèse de la transformation onomastique, Y. Moderan reconnaît que "du début à la fin, le but du mythe est d’expliquer l’origine de l’ensemble des Berbères, et pas seulement au sens généalogique. Ses détails ethnographiques et géographiques, montrent qu’il entend aussi expliquer l’origine de leur fragmentation tribale, et celle de leur émiettement territorial sur le Maghreb". (2) Il va sans dire que Y. Moderan a touché du doigt le point crucial du mythe de l’origine en rejetant l’idée de l’orientalisation ethnique des Berbères sur quoi les avis ont été triviaux au point que d’éminents spécialistes ont succombé à l’appel sans cesse renouvelé de l’Orient.
Cela étant dit, revenons aux Flissa dont nous avons eu l’occasion d’en parler par le passé. Il s’avère que la notice de l’Encyclopédie berbère est insuffisamment documentée pour les associer uniquement à une arme de combat (le sabre kabyle) et qu’on délaisse volontairement l’aspect géo-historique. En effet, la notice consacre en gros six lignes à l’analogie entre les Isaflenses et les Flissa. (3) L’auteur de la notice termine son article par dire que "les Flissa, le mot et la chose, ont une grande partie obscure. Le nom est d’apparition récente et d’origine française". Dans notre article nous avons examiné aussi bien l’étymologie du mot que l’histoire. Nous avons retrouvé dans le dictionnaire de J.M. Dallet, la racine FLS/EFLES. Ce dernier désigne le nom ethnique de deux confédérations de tribus, les Iflissen Lbhar et les Iflissen Oumlil dont on ignore pour le moment les circonstances de leur séparation territoriale. Certes, l’histoire vécue des communautés tribales de l’Afrique du Nord et du Sahara relève de l’inconnu comme le dit si bien E. Frezouls, mais toujours est-il que la lecture du texte d’Ammien Marcellin montre toute l’étendue de la Kabylie du Nord au Sud et d’Est en Ouest. (4) Même si l’auteur de la notice et Stéphane Gsell restent réservés dans leur conclusion, il n’en demeure pas moins que les vallées du Sebaou et de l’Isser qui entourent le territoire des Flissa Oumlil, ont toujours été le théâtre des rivalités inter-tribales et de conflits armés. (5) Dans un de ses articles, Y, Sarthe montre l’enjeu économique de la plaine des Issers. (6) Il en est autant de la plaine du Sebaou au moment où les Ath Abbès (royaume de Koukou) décident en accord avec les Turcs de transplanter les Amraoua de leur territoire initial afin de neutraliser les Flissa Oumlil.
Par ailleurs, nous rappelons que durant la guerre de Firmus, les Isaflenses ont combattu le Romains et ils ont aussi engagé au XVIIIe siècle, plusieurs batailles contre les Turcs. (7) Et c’est toujours dans la même optique que les Flissa Oumlil et de leurs alliés ont passé une alliance avec l’émir Abdelkader pour combattre les Français. (8) Il en est de même des grands leaders de la révolution algérienne (Krim Belgacem et Omar Ouamrane et tant d’autres) qui ont combattu avec acharnement le colonialisme français.
Une fois que notre postulat sur une possible longue et continue histoire tribale est acceptable, il se vérifie de jour en jour que la survivance du nom Flissa est la démonstration en acte de la pérennité amazighe. Dans tous les cas, elle permet d’établir une correspondance entre la linguistique et l’histoire. D’autant plus qu’il est toujours possible de faire valoir une histoire tribale vivace qui peut même servir l’histoire contemporaine. Et à ce titre, le fait qu’un quartier d’Alger porte le nom de Flissa, est en soi une référence importante sur aussi bien la survie du nom que de l’histoire de l’implantation des Kabyles à Alger. Le peu d’informations que nous possédons ne nous permettent de décrire le processus de l’installation algéroise des Flissa. Mais, il est dit que cela a coïncidé avec le centenaire de l’occupation française. Comme, il est difficile de rétablir les faits historiques de la nomination du quartier algérois, il est indéniable que l’appellation est une consécration toponymique de l’amazighologie. En l’occurrence, la dissémination du nom Flissa est une réalité historique qui ne relève d’aucune mythologie et que, en aucun cas, cet exemple n’invalide la thèse de la transformation onomastique.
F. Hamitouche
Références :
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Y. Moderan, Mythe et histoire aux derniers temps de l’Afrique antique : à propos d’un texte d’Ibn Khaldoun, Revue historique, CCCIII/2, 2001, p, 319 et figures 1 et 2.
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Idem, p, 125.
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Encyclopédie berbère, XIX, 2857 à 2861.
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Ammien Marcellin, Histoires-LXXIX, les Belles lettres, 1999.
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S. Gsell, Observations géographiques sur la révolte de Firmus, Recueil des notices et mémoires de la société archéologique de Constantine, 1903
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Y. Sarthe, Les hommes et leurs activités dans la plaine des Issers, Revue de la Méditerranée, 1964.
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J. Nil. Robin, les Ouled Zamoum, Revue africaine, 1875 – Une expédition des Turcs contre les Flissa, Revue africaine, 1875.
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Y. Temlali, La genèse de la Kabylie, La Découverte, 2016, p, 74.
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MERCI
danke schoon