Le mandat de dépôt d'Abdelaziz Bouteflika
Relevant d’une ordonnance d'incarcération provisoire, le mandat de dépôt (correctionnel ou criminel) est l’ordonnance soumise par le juge des libertés et de la détention (JLD) à un directeur de prison dès lors contraint d’écrouer l’individu désavoué ou condamné.
L’acte d’arrêt concerne ici l’intermittent Abdelaziz Bouteflika que d’aucuns souhaitent voir sortir complètement du champ visuel. La dernière reconduction du désormais assigné à résidence se transformera ainsi en mise à l’écart synonyme de renoncement ou abdication. À l’instar d’un artisan plombier mettant au sol un vieux lavabo, il s’agira donc de déposer l’Homme du consensus et par là même d’en finir avec cette "Un-Posture" le plaçant encore au sommet d’une tour de garde identique à la colonne sur laquelle les stylites ou anachorètes pratiquaient, au commencement du christianisme, leur extrême ascèse.
De sa hauteur de vue, l’ex-ministre de la Jeunesse, des Sports et du Tourisme d’Ahmed Ben Bella ne se contente pas, comme les dits ermites, de contempler l’œuvre de Dieu : il s’incarne en prophète, au point d’ailleurs de prendre les apparences d’un bétyle (roche autrefois vénérée chez les Arabes et Sémites) ou omphalos (pierre sacralisée personnifiant dans l’Antiquité classique le centre du monde). Autour de lui, les fidèles idolâtres réclament à des magistrats corrompus l’application de censures interdisant aux écrivains et artistes l’emploi du principe d’invraisemblance (lire ou relire sur ce point le texte "En Algérie, l’Un-Posture bannit le principe de l’invraisemblance") afin d’user de leurs propres mystifications, mascarades ou subterfuges. Munis d’un panel de leurres, ils affichent en effet au sein des journaux et sur les façades d’immeubles des photographies ou grands formats montrant le locataire d’El Mouradia sous les plus beaux aspects, le maquillent de poudre aux yeux de façon à marquer sa présence sur une tribune médiatique ressemblant à la scène d’une commedia dell’arte où le souffleur laisse entendre une voix d’outre-tombe. Bien que tout résonne faux dans ce décorum en carton-pâte, il est de bon ton de continuer à maintenir levé le rideau de séquences et images surréalistes puisqu’en coulisse les tireurs de grosses ficelles se délectent du tableau ubuesque.
Ces marionnettistes-ventriloques prorogent l’épilogue consistant à maintenir en veille les réseaux interlopes et commissionnés du clientélisme, à dessiner parallèlement la configuration de la prochaine Assemblée populaire nationale (APN), autre théâtre à l’intérieur duquel des oligarques s’apprêtent à rejoindre les islamo-conservateurs. Le rendez-vous électoral du 04 mai 2017 signera probablement l’entrée de nababs affairistes partis, sous le fanion FLN ou RND, à l’assaut des sièges de la députation, la cooptation arrangée de filles et fils de la bonne "Famille révolutionnaire" qui au milieu de la décennie 80 regardaient avec convoitise les aventures des JR, Bobby et Sue Ellen.
Boostée par l’intronisation surprise du richissime Donald Trump, la génération post-"Dallas" rêve de business fructueux, d’un circuit automobile à Tipaza, de vastes fermes aux élevages intensifs, de résidences avec plate-forme hélicoptère et la prorogation perfide du perfusé Président lui autorisera de nouvelles et dommageables dérives autocratiques. Après que les militaires de l’extérieur aient siphonné les biens vacants et terres abandonnées par les pieds-noirs, se soient bâtis un consortium capitalo-industriel presque similaire à celui de leurs homologues égyptiens, des golden boys sans moral, des promoteurs et gros commerçants prévenus à l’avance des appels d’offres, que bidouillent des compères aguerris aux délits d’initiés, vont estampiller du poinçon royal une huitième législature générant de multiples confrontations entre prétendants. İls s’invectivent et s’étripent violemment, donnant de la sorte un spectacle désolant annonçant, peut-être, des protestations d’ampleurs tellement les vexations, persécutions et asservissements deviennent légion en Algérie. Si l’avidité aveuglante des brouilleurs de listes provoque des tensions accrues sur le terrain politique, une dépression venue du bas pourrait fort bien diminuer de plusieurs crans l’"Un-Posture" symbolique de Bouteflika. Sonner le tocsin de sa retraite anticipée et lui trouver, plutôt qu’une simple doublure, un remplaçant crédible nous paraît être la charge la moins déstabilisante.
Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art
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