Du rififi autour de la Grande mosquée de Bouteflika ? Première partie : un bricolage louche
Le président de la République va-t-il désigner aujourd’hui le bureau d’études qui va dessiner la grande mosquée d’Alger ? Rien n’est moins sûr ! Au grand mécontentement du président de la République, le projet pharaonique n’a pas suscité d’enthousiasme chez les professionnels. Ajoutez à cela une forte contestation parmi les architectes algériens qui critiquent ouvertement l’idée.
Bouteflika n’a en effet reçu que 17 propositions de maquettes et il en serait profondément déçu. D’où l’annulation en dernière minute du choix du bureau d’études qui devait se faire à l’occasion du 27e jour du Ramadan. Malgré les explications fournies par la commission de sélection des offres qui en a retenu 5 parmi les 17, à force de dessins et de CD Rom, Bouteflika n’a pas été convaincu.
C’est clair : le projet a été boudé par les professionnels. « Les spécialistes s’attendaient à une ruée vers Alger des grands architectes du monde pour inscrire leurs noms dans la postérité grâce à un tel ouvrage phénoménal. Mais première mauvaise surprise : seuls 17 offres sont parvenues. Pour les architectes, ce résultat est un très mauvais départ. Pour cause, un petit concours pour un opéra à Paris et le simple aménagement d’une cour du musée du Louvre ont suscité plusieurs centaines de réponses dont les plus grandes signatures de l’architecture contemporaine ! », lit-on dans El-Watan.
Pourquoi cette désaffection ? Deux architectes algériens réputés, Mohamed Larbi Merhoum, Prix du président de la République 1999 et Prix national d’architecture 2004, et son collègue Mohamed Abdelhalim Faidi, 1er prix Tony Garnier - Paris 1990 et médaillé de l’Académie française d’architecture 1er prix Constructique - Paris 1993, s’en expliquent dans une lettre ouverte envoyée à la presse.
Le projet de la Grande mosquée est d’abord un projet mal ficelé.
Le management du projet est bâclé. Les concepteurs n’ont pas jugé utile d’adosser leur démarche aux standards internationaux alors que les concours internationaux d’architecture et d’urbanisme ont été codifiés par la conférence générale de l’Organisation des Nations unies en sa neuvième session à New Delhi, le 5 décembre 1956. Un assistant à maîtrise d’ouvrage (conseil du client), le Canadien Dessau Soprin, d’envergure internationale a été certes sélectionné pour permettre la mise en place d’instruments méthodologiques modernes et garantir le succès du projet. Mais ce spécialiste a été vite mis à l’écart par l’établissement public chargé de manager le projet. Avec les résultats que l’on sait…
Mohamed Larbi Merhoum et Mohamed Abdelhalim Faidi constatent en effet que la grande mosquée d’Alger est inclassable ! Cet imposant monument a été résumé en … 3 pages du cahier des charges préparé. A titre de comparaison, la réalisation d’un CHU a nécessité 5 classeurs de paperasse chez un pays voisin ! Ce document de base qui devrait codifier et détailler toutes les facettes du projet ne précise même pas quelle est la vocation et la nature de cette mosquée que l’Algérie voudrait construire. Les architectes l’appellent « le texte fondateur », celui qui souligne la dimension culturelle, civilisationnelle et architecturale dans laquelle devrait s’insérer cette mosquée pour lui donner une identité algérienne. « Il faut préciser le contenu avant que les architectes n’imaginent le contenant. C’est de l’adéquation entre le fond et la forme que naîtra l’idée du génie », explique doctement Larbi Merhoum. La grande mosquée d’Alger est donc inclassable si l’on se fie au cahier des charges puisqu’elle n’est nullement définie. Elle devrait, donc, fatalement, épouser n’importe quelle forme d’Islam (salafiste, ibadite, hanbalite…) puisque son identité est résumée dans la formule « passe-partout » de synthèse entre l’authenticité et la modernité.
K.M. (Avec H. Moali El-Watan)
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