La littérature, asile de la vérité contre la manipulation des mots
Une guerre fait rage et très peu de gens prêtent attention aux dégâts qu’elle occasionne. Il est vrai que c’est une guerre couverte du voile du silence et qui ne tue pas directement.
C’est une guerre dont les armes sont des mots "cuisinés" et triturés selon le rapport que l’on entretient avec la vérité. Ceux qui la pratiquent ont peur précisément de la vérité et ont une utilisation abusive des mots qui finissent par se vider de leur substance et de leur saveur. Cette guerre des mots a fait entrer le monde, du moins l’Occident dans l’ère de la "Post-vérité". Les nouvelles technologies ont mis à la portée de beaucoup de gens des outils d’expression qui font circuler l’information sans entrave. C’est la naissance d’une redoutable concurrence qui déstabilise les grands médias sans que cela nécessite de gros moyens et sans forcément enfreindre la loi. Pour l’histoire, il faut savoir que des pays et les médias du tiers-monde ont mené des batailles politiques (à l’UNESCO) pour ouvrir une brèche dans le monopole des médias occidentaux. Batailles qui se sont soldées par des miettes concédées par un Occident qui n’a pas pour autant perdu de son hégémonie. Mais avec les réseaux sociaux, ces grands monopoles de l’information se sont trouvés gênés par la diffusion d’informations qui contestent leurs vérités.
Les grands médias ont tenté une tactique contre la théorie du complot (le complotisme) pour dévaloriser les infos diffusées ici et là en dehors des circuits traditionnels. Cette tactique n’a pas donné les résultats escomptés car ces médias sont eux-mêmes coupables de traficoter la vérité en fonction de leur allégeance à des groupes politiques ou financiers. Il n’y a qu’à se rappeler l’allégresse et l’excitation de la majorité des médias qui ont pollué l’atmosphère avec ‘’les armes de destruction massive’’ inventées par la CIA.
La puissance et la fascination des USA pesaient plus lourd que le peuple irakien commandé par un chef d’Etat qui n’avait pas bonne presse. Cet échec contre le ‘’complotisme’’ ne désarme pas les tenants de l’idéologie dominante et pour mieux combattre ce complotisme, on a inventé un autre concept plus séduisant, nommé l’ère des ‘Post vérités’’. Ce dernier concept trouve un certain écho depuis le déclenchement de la rude et même féroce guerre qui oppose les médias les plus puissants du monde au dernier président des Etats-Unis, Donald Trump. La guerre contre le "Post-vérités" est entrée dans la case des risques quand les Etats sont devenus vulnérables aux cyberattaque. Les accusations contre la Russie ‘’coupable’’ de diffuser des rumeurs qui perturbent la vie politique de pays démocratiques sont devenues des ‘’vérités’’. Lesquels pays, eux ne se gênent pas pour s’afficher à la tribune de l’ONU et débiter de grossiers mensonges pour justifier leurs agressions… au hasard l’Irak hier et aujourd’hui la Syrie. Pour la petite histoire, rappelons que le "complotisme" était cloué au pilori par la grande presse qui accusaient pèle mêle des ‘’zozos’ en mal de reconnaissance ou bien d’officines de pays de dictature. Cette chanson a perdu de sa pertinence puisque Hillary Clinton et Donald Trump se sont accusés mutuellement de diffuser des rumeurs pour nuire leur concurrent.
Aujourd’hui François Fillon se plaint d’être victime d’un complot qui se niche dans les plus hautes sphères de l’Etat. Ce renversement de situation relève de la tragicomédie d’acteurs qui ne supportent pas de ne plus être les seuls détenteurs de la vérité. Revenons à cette notion de ‘’post-vérité’’. Que veut dire au juste ce nouveau concept ? C’est la séparation entre l’apparence et l’essence d’un même fait, d’un même réel. Apparence et essence, un concept est presque banal puisque travaillé et maitrisé en philosophie. La question pertinente que l’on doit se poser est : pourquoi a-t-on cultivé et réussi à faire avaler auparavant cette séparation ? La réponse est simple, il est plus facile de vendre l’image (l’apparence) du dictateur Saddam Hussein que de trouver les armes de destruction qui n’existe pas (introuvable essence).
Qu’en est-il chez nous ? Sommes-nous rentrés aussi dans l’ère de "Post-vérité" ? Inutile puisque nous sommes "champions" de la rumeur, fruit du sevrage de d’informations crédibles avant la parution de journaux indépendants. Avant de nous amuser à chercher des "coupables" comme en Occident qui cherche la vérité que lorsqu’il est mis au pied du mur, penchons nous sur des choses dont on a le plus besoin. Et on a plutôt besoin de construire des discours idéologiques en ayant conscience que les mots qui vont traduire ces discours ont une histoire. Connaître l’histoire des mots est nécessaire d’autant que nous avons trois langues à notre disposition qui habitent à des degrés divers nos consciences sociale et historique. L’on sait qu’il y a des mots qui sont frappés d’ostracisme par une morale bigote ou bien qui ont été réduit à leur plus simple expression par inculture. Cette pauvreté des mots et des notions est le résultat d’un enseignement médiocre mais aussi de l’idéologie qui traverse les partis politiques.
Ainsi les mots ou notions de peuple, nation, histoire, liberté, identité, laïcité, autonomie, égalité, sont coupés de leur histoire et ‘’orphelins’’ de leur socle philosophique. L’exemple de nation qui symbolise un saut qualitatif à son émergence dans l’histoire (la mort de l’esprit tribal) peut glisser vers le chauvinisme alimentant préjugés et racisme. De même la notion d’identité qui renferme tant de paramètres et de variables ne peut supporter d’être prisonnière d’un seul facteur qui plus est figé pour l’éternité. Cette identité figée, on la retrouve chez les groupes dits identitaires qui sont en Europe ni plus ni moins que des groupes fascistes. Sommes-nous condamnés à être piégés par les mots ? Oui si nous les abandonnons aux mains d’idéologues et autres moralistes à deux sous. Non si nous faisons plus confiance à l’art en général et à la littérature en particulier qui souhaite la bienvenue à tous les mots dans son asile protecteur. La force de la littérature outre sa générosité avec les mots, a l’art d’habiller la vérité de mots qui tissent un manteau aux multiples couleurs pour le plaisir des yeux et de l’esprit en plus de l’émotion du cœur.
Oui les mots nourris et préservés ou rajeunis par la littérature ne supportent pas qu’on les utilise à tort à travers. Comme toute matière vivante, les mots finissent par s’user et perdre leur saveur. Alors il ne faut pas s’étonner que les mots finissent pas se venger en se retournant contre les politiciens qui se sont servis d’eux pour mentir. François Fillon aujourd’hui est poursuivi plus par les mots de la phrase (1) "Imaginez-vous le général De Gaulle mis en examen et se présenter à l’élection présidentielle", que par l’emploi fictif de sa Pénélope de femme. Leçon à ne pas oublier car on peut interdire aux citoyens de parler mais on n’empêche pas les mots de se stocker dans le magasin de nos souvenir et de les utiliser le jour où l’on glisse le bulletin de vote dans l’urne…
Ali Akika, cinéaste
Notes
(1) Si les lecteurs connaissent des phrases pertinentes de nos politiciens, elles sont les bienvenues. J’ai cherché mais ma mémoire a flanché comme dit la chanson…
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