Le syndrome de l'histoire (I)
- L'Etranger d'Elée: Sur ce, remémorons-nous que, de cet art de produire des simulacres, il devait y avoir un double genre: celui-ci, producteur de simulations; celui-là, d'autre part, producteur d'apparences illusoires, à condition du moins que le faux nous apparut être un faux réellement faux et que ce fût de nature une réalité parmi d'autres. - Théètète: Effectivement, c'est cela que nous disions. Le Sophiste
Prédisposition
En lisant le texte de K. Dirèche (1), il m'est venu à l'esprit les angoisses de l'être de la caverne de Platon(2). Ainsi le problème de la conscience est subordonné aux conditions de l'existence. Paul Ricoeur (3) a consacré une importante étude sur la mémoire historique. Dans cet ouvrage, il entame son étude par l’évocation de l'héritage grec. En effet, Platon occupe une place prépondérante dans la chapitre intitulé '' De la mémoire à la réminiscence''. Pas à pas, le problème de l'accès à la connaissance tel que F. Chatelet(4) expose l'idée de l'anamnèse qui consiste à ce que ''l'âme a déjà vu ce qu'elle découvre (ou invente) dans un autre monde, sinon elle serait incapable d'opérer le moindre tri au sein du chaos des qualités sensibles''. Autrement dit, cela signifie que connaître, c'est percevoir autre chose que ce qui est perçu, c'est accéder à un autre monde, qui est réel, sinon tout s'abimerait dans le kaléidoscope des impressions et de leur chatoiement. Cette explication savante se conforme à l'allégorie de la caverne où les hommes sont enchainés qui une fois au contact du soleil, ils sont éblouis par la lumière dont ils ne perçoivent habituellement que la lueur. Bref, la caverne symbolise le monde sensible où les hommes vivent et pensent accéder à la vérité par leurs sens. Mais cette vie ne serait qu'illusion.
Ainsi, la lecture que fait Paul Ricœur de la représentation (eikon) chez Platon est une série de mises au point des concepts formulés par les dialogues. Il entame la démarche par une analyse du couple eikon-phantasma contenu dans le Théétete et le Sophiste.
Les Amazighs et leur histoire: état de la question
D'entrée de jeu, nous prenons pour acquis, les néologismes introduits par les locuteurs dans la langue amazighe. Et plus vraisemblablement, le terme berbère, mot équivoque qui renvoie à la construction de l'image de l'Autre est rejeté de par ces péjorations négatives par les défenseurs de la culture et de la civilisation amazighes. Indépendamment de l'histoire du mot qui renvoie à la superposition de plusieurs cultures, le lexique semble traduire une correspondance entre le concept et le signe (le signifiant et le signifié) (5) base logique de la langue, sauf qu'il émane du langage de l'Autre qui le traduit en incompréhensible vocable, sorte de bizarre onomatopée.(6) Le mot tel qu'il est employé est une désignation tardive des populations de l'Afrique du nord et du Sahara est rejeté par les défenseurs de la culture et civilisation amazighes. Dans l'antiquité, ces dernières gardaient aux yeux des Grecs et des Romains leur appellation ethnique, maures, numides, etc.(7) Les plus proches voisins Egyptiens les appelaient Tehemou, Lebou.(8) Ce dernier terme est à rapprocher avec la Libye qui est la désignation géographique d'après ces mêmes sources du Nord de l'Afrique à l'Ouest de l'Egypte. Aujourd'hui, ce vaste territoire est dénommé Tamazgha par les partisans de l'autochtonie.
Mise au point au sujet de la réécriture de l'histoire par la convocation du passé de K. Dirèche. (9)
Point 1: De l'histoire
Tout d'abord, la citation d’Abdelmalek Sayad qui d'ailleurs manque de précision bibliographique qu'elle insère au début de son article est en deçà des espérances de la nouvelle situation de la science historique. Le découpage entre société historique et société anhistorique, société froide et société chaude n'a plus cours. Ce partage singulièrement dénoncé par l'anthropologie est une discrimination disciplinaire qui ravale les sociétés d'intense oralité au rang d'inférieures dont s'est fortement gargarisé L. Hegel, Maître de l'idéalisme allemand. Le philosophe allemand décompose l'Afrique trois parties:
1- L'Afrique septentrionale où il décrit le territoire qui s'étend de l'Atlantique à l'Egypte et séparé par le désert, frontière infranchissable d'après lui de l'Afrique subsaharienne. Ainsi, il fait état de l'existence entre les montagnes, des vallées fertiles qui font une des plus belles contrées du monde. Il prend acte des Villes-Etats comme Fez, Alger, Tunis et Tripoli. Enfin, il met en exergue le fameux ailleurs de J. Berque, voir plus loin, qui détermine la morphologie du Maghreb, de la façon suivante: ''C'est un pays qui ne fait que suivre le destin de tout ce qui arrive de grand ailleurs, sans avoir une figure déterminée qui lui soit propre."
2- A l'Egypte, il consacre quelques lignes pour souligner que ce pays tire essentiellement son existence du Nil.
3- Quant à l'Afrique proprement dite, il dit ce qui suit: ''Ce continent n'est pas intéressant du point de vue de l'histoire, mais par le fait que nous voyons l'homme dans un état de barbarie et de sauvagerie qui l'empêche de faire partie intégrante de la civilisation.''(10)
Donc si nous comprenons le sens qu'a voulu donner A. Sayad, l'Histoire est le contraire du travail spécifique du métier de l'historien(11). L'évocation d'une prise en charge sociétal de l'histoire est un aveu de faiblesse envers et contre l'amnésie collective qui caractérise les Amazighs. Cet appel à faire de l'histoire est un moindre mal par rapport aux stigmates affligeants de quelques historiens. Les quelques exemples cités(12) qui par leur teneur virulente doivent être acceptés comme tels. Au lieu d'esquiver la question par élucidation volontaire, il est important de chercher les causes de cet'' effacement'' de l'histoire qui suscite tant de regrets.
Point 2: Le paradigme ou l'hésitation de l'épistémologie
En effet, l'auteure parle d'un nouveau rapport à l'histoire marqué par l'introduction d'un paradigme historique et sociologique comme si il n'existait pas auparavant des références implicitement amazighes. Sur ce point vraisemblablement, le manque de documentation que suscitent les Libri punici de Hiempsal (13) ou l'omission des généalogistes berbères (14) ne donnent pas assez de poids aux arguments qu'elle avance. S'il en est ainsi et mise à part le plurilinguisme, on peut déduire qu'il y a matière à prolonger dans le temps historique la paradigmatisation qui n'est certes pas uniquement de l'ordre de l'écriture, problème qu'elle soulève plus loin mais de la définition de l'Ethos. Quoique qu'équivoque, le régime de l'appartenance est déterminé historiquement par une autonomie existentielle qui est toujours rapportée aux séquences guerrières ou à la résistance à l'occupant. Précisément sur ce point les tumultes dès l'aube de l'histoire se rajoutent aux gradients des luttes d'influence d'un Ierbas et d'Elisa la fondatrice de Carthage (15) ou de Massinissa, de Syphax et de Carthage. (16) Bien avant, Shechonq conquit l'Egypte et fonda la dynastie libyenne (-945 à -715)(17) comme s'il voulait se venger de Ramses qui châtiait les turbulentes et envahissantes tribus libyennes. Sur la plan strict de l'histoire, on ne peut dire un seul instant que les Amazighs ont été les absents de l'histoire, c'est tout le contraire qui s'est produit.
Dans cette Méditerranée, mer des confluences, il y a plus que de l'histoire, les Amazighs l'ont vécu mais ils ne l'ont pas retracé par des écrits. Rappelons qu’iIls furent de nouveau les conquérants du Sud de l'Espagne sous la bannière de l'Islam qu'ils peuplèrent et occupèrent durant sept siècles. Et c'est à notre humble avis, la vraie question est celle de l'écriture de l'histoire que l'on doit se poser et elle est l'un des seuls problèmes à résoudre. En ce sens, le rapport de l'oral et de l'écrit, et le plurilinguisme sont les marqueurs indélébiles d'une culture plurielle qu'il faut assumer. L'écriture du tifinagh illustre l'amalgame des langues auquel recouraient les autochtones pour traduite leur vécu. L'image d’Epinal qui ressort de la sauvegarde du tifinagh par les Touaregs ne doit pas nous faire oublier les difficultés rencontrées par les linguistiques (18) pour traduire la réalité historique et institutionnelle des autochtones qui faut le rappeler utilisaient le punique et le latin dans l'antiquité comme ils le font aujourd'hui avec le français et l'arabe. (19) La récurrente situation du trilinguisme sera abordée dans la transformation linguistique.
Point 3: L'idéologie du nationalisme algérien
Le peu de cas qu'elle fournit au sujet des controverses idéologiques au sein du Mouvement National Algérien nous laisse perplexe parce qu'elle ne situe par exactement l'importance de la crise berbériste. Cette crise continue à poser la question de la définition politique de l'appartenance géopolitique de l'Algérie. En effet, les raccourcis par citation interposée de la coagulation des discontinuités, (20) ne permettent pas de comprendre la récurrence de la crise identitaire dont les termes de la définition qui opposait Amar Imache défenseur d'une Algérie algérienne en suivant le modèle ancestral et Messali el Hadj partisan d'une Algérie arabe et musulmane au sein du l'ENA puis au sein du PPA-MTLD. (21). Les querelles de l'appartenance continuent à ce jour à diviser la classe politique algérienne au point qu'il est fortement recommandé d'analyser les circonstances selon lesquelles par l'entremise de Benbella, l'aversion arabo-islamique a été un des éléments de la concrétion idéologique de l'Etat algérien naissant. Il est fort utile de sortir de la querelle des personnes (l'affaire du colonel Amirouche) telle qu'elle se déroule aujourd'hui pour revenir sur le poids du compartiment clanique réuni à Oujda qui en définitive a su utiliser ''l'idéologie et le feu'' pour imposer un ordre étatique ralliant plusieurs régions du pays dont celle de l'Aurès et pourtant représenté historiquement par la Kahina et ses fils, icones de résistance à l'envahisseur, qui n'a été arabisé qu'au 19ème siècle. Indépendamment du rôle joué par les différentes personnalités, il s'avère que le positionnement de l'Aurès a pesé sur les choix stratégiques adoptés par le clan d'Oujda en termes de d'élaboration des doctrines où la langue est une pièce maitresse du projet nationaliste. Il faut reconnaitre qu'un amalgame des genres sert l'écriture de l'histoire où l'élément ''berbère'' Jugurtha (22), la Kahina, etc. (23) sert de figure légendaire des héros au même titre que les héros de la révolution algérienne. Quand même il reste à distinguer les auteurs influents qui ont pesé dans l'orientation idéologique arabo-musulmane qui affecte de plein fouet l'écriture de l'histoire. Or chez beaucoup de militants nationalistes à l'image de Mohand Cherif Sahli (24), la décolonisation de l'histoire n'efface pas le passé antique de l'Algérie. D'ailleurs il fait de Jugurtha, le prototype du héros légendaire à la colonisation. Certainement, l'excès idéologique est à chercher du point de vue de l'histoire dans l'instrumentalisation ''des jours des Arabes' 'comme panégyrique et épopée d'une nostalgie du passé qui ravale et au mieux fait des Amazighs des curiosités folkloriques. L'évocation de l'Andalousie en est la preuve du non-dit d'une conquête ''coloniale'' après l'appropriation définitive des Iles Canaries par l'Espagne qui restent pourtant géographiquement et historiquement liées à l'Afrique du Nord.
Point 4: La mémoire et l'oubli
Opposer les mémoires revient à faire de l'inadéquation historique une règle de l'écriture de l'histoire et pourtant les nationalistes se sont évertués à intégrer la résistance berbère aux Romains dans la trame des événements marqués par une série d’invasions étrangères qui de plus rythment la chronologie historique de l'Afrique du Nord. Certainement, la périodisation historique est un point noir de la chronologie maghrébine. L’attribution des périodes à l'élément étranger obscurcit par l'effacement du rôle des autochtones dans les événements et participe à la négation qui de fait amplifie l'acculturation. Le chassé-croisé entre la mémoire et l'oubli traduit le sens à donner aux sources historiques qui soit servent le point de vue des vainqueurs qu'ils soient Romains ou Arabes. Tous les historiens latins (25) ont opéré sur le même registre de l'infériorisation de l'Autre. Quant aux historiens arabes, ils ont fait la même chose lorsqu'ils traitent de l'Etranger. Le meilleur exemple est celui d'Abdel al Hakam. Les observations faites par Y. Modéran sur la littérature historique arabe et plus particulièrement sur Abd al Hakam à qui il ampute une représentation de trois images différentes de la société'' berbère'' Le récit commence par l'invasion du Maghreb où l'auteur raconter le mythe d'origine. Les Botr et Branes sont totalement absents. Puis vient le récit de la conquête elle-même où presque tous les ethnonymes tribaux disparaissent. Les premières occurrences concernant la fameuse dichotomie apparaissent. Enfin, lorsqu'il relate la conquête de l'Espagne, ils disparaissent de nouveau.(26). A juste titre ce dernier considère que Abdel al Hakam est le premier concepteur de la représentation généalogique des populations nord-africaines des premiers temps de l'islam.
Dans tous les cas de figure, l'écriture de l'histoire du point de vue des vainqueurs contribue à la disparition du vaincu de la frise chronologique de l'humanité. De la sorte on constate que les Romains ont déployé des techniques narratives qui se différencient du style arabe. Pour simplifier nous pouvons considérer que la violence de la désintégration des Nord-africains dans l'antiquité a opéré une nette distinction entre l'assimilation et la non assimilation des populations locales. M. Benabou analyse bien les mécanismes de l'administration romaine du territoire. qui pour une large part est une politique du cantonnement qui consiste à contrôler les terres et les hommes. (27) Le jeu de mémoire a contribué à faire participer le berbère romanisé à la propagation des valeurs de la civilisation romaine qui de facto produisent une amnésie des autres sphères en mal de reconnaissance. Nous pensons au traitement qu'inflige Saint Augustin aux populations ''berbères'' non romanisées ou dans une moindre mesure au tiraillement d'Apulée. L'oubli de la mémoire comme ce fut le cas de la perte des Libri punici attribués à Hiempsal ou du saccage de Carthage en flammes ne constituent pas uniquement la violence en acte mais des pratiques pernicieuses de la production de l'amnésie qui tend soit à effacer toute forme de trace ou soit à transformer culturellement l'homme nord-africain.
Par contre sur un autre registre, l'islamisation de l'Afrique du Nord a produit non pas l'assimilation comme telle mais une systématisation généalogique à laquelle les autochtones ont fortement contribué. Le passage de l'ethnique au généalogique de la définition des populations et du classement des tribus a été l'élément clef de la nouvelle idéologie qui a servi tous les Etats musulmans du Maghreb. Dès lors, on assiste à une inflation de la généalogie dont se sont servis tous les prétendants au pouvoir politique et religieux. Une nouvelle cartographie des appartenances dessine le contour de la géographie et de la géopolitique de l'Afrique du Nord. En ce sens, une sorte d'auto amnésie aide la concrétisation des aspirations des groupes en compétition menés généralement par des figures et des notabilités construites sur la base d'un enrichissement économique ou par l'acquisition d'un capital religieux. Au commerce caravanier, le pèlerinage à la Mecque s'ajoute à l'agrégation des facteurs de leur fabrication. Ces capitaux accumulent le prestige des personnalités et de groups tribaux qui pour concrétiser leur projet de la conquête du pouvoir de l'Etat utilisent la puissance militaire pour pallier les insuffisances du prosélytisme religieux. Tout cet ensemble fructifie les titres de noblesse pour se donner une autorité et il en est la marque indélébile des dynasties qui ont régné au Maghreb. Pour régner, la légitimité généalogique d'inspiration mohammadienne, greffe de l'arabisme ou stratégie matrimoniale, ainsi constituée a beaucoup servi le pouvoir dynastique des Etats. Les personnages religieux et les pouvoirs locaux au détour d'une hagiographie établie sur mesure masquent de fait l'amnésie pour faire valoir la nouvelle mémoire.
Le nom que l'on se donne ou l'origine dont on parle, participent de concert à tout un ensemble de techniques de la construction de la mémoire malheureusement court-circuitée en partie par M. Kilani (28). Donc, la mémoire et par ricochet l'oubli et le nom participent activement à la construction sociale de cet ''Ailleurs'' appelé ''Morphologie du Maghreb'' par J. Berque (29). Au temps de l'islam maghrébin, la dissémination et la transformation onomastique (30) font partie de tout cet arsenal qui joint la parole à l'acte pour définir l'appartenance des populations en Afrique du Nord.
A tout point de vue la question de l'oubli de la mémoire occupe une place centrale dans différents travaux des anthropologues spécialistes du Maghreb. Au-delà des références majeures dont il a été question plus haut, il ressort que le thème de l'oubli est un référencement identitaire des groupes sociaux en Afrique du nord. Comme il est difficile de laisse apparaitre un traçabilité des origines, les groupes tribaux se sont emparés de la narration généalogique pour établir une série classificatoire qui consiste à l'établissement et la consolidation d'un ordre social établi sur les décombres des conflits tribaux et la suprématie d'une tribu qui assoie de nouveau une légitimité du pouvoir de l'Etat, dynastique ou émiral.
Dans le récit des origines de chaque groupe et plus particulièrement le dominant, il s'établit une hiérarchisation des statuts et des positions sociales. En clair, la prééminence des capitaux religieux et des titres sociaux qui les accompagnent fonde le pouvoir acquis par les techniques de la conversion organisée autour de la généalogie. La généalogie au temps de l'islam maghrébin est la pièce maitresse de toute la construction sociale de l'identité. La phase primaire de l'ethnique corroborée par les sources égyptiennes, gréco-latines vandales et byzantines distribue les appartenances tribales selon les règles internes de la société ''berbère'' et de ses rapports avec la puissance qui s'exerce sur elle.
Ainsi la construction sociale des groupes et le positionnement sociale des tribus sont assujettis au dédoublement de l'ethnique par le généalogique. Certes, il reste que le cas de Carthage étudié par Cl Gutron (31) est particulièrement la désignation ethnique du punique (Hannibal) par Gabriel Camps (32) est un cas à part d'autant que la généalogie s'incruste dans le jeu de l'identité aux dires de cette dernière.
Bref, en s'appuyant sur l'hypothèse émise par E. Frezouls qui semble rend compte d'une réalité incontournable, les éléments constitutifs de l'histoire amazighe sont consubstantiels à une axiomatique de l'oralité de la science historique.
Il demeure que le passage de l'art de la mémoire (F.Yates,33) à l'art de l'oubli ( M. Kilani, 34) que nous appelons volontiers l'oubli de la mémoire, est un effacement pur et simple de la trace. Ainsi l'indétermination des matériaux pose la question de la connaissance historique. Il se peut que la volonté de l'effacement volontaire de la trace par les tribus est la seule manière pour les groupes de se donner une identité par un renouvellement des origines. L'examen de la question de la mémoire historique des populations amazighes contribue à rendre compte du rôle prépondérant des techniques déployées par les groupes pour brouiller les pistes en guise de césure avec le passé qui leur sert de tremplin à la construction de la nouvelle identité.
Si les travaux majeurs et circonstanciés sur la mémoire et l'oubli des trois auteurs cités ci-dessus permettent de signaler le simulacre de la construction de l'identité, il est fort utile de se pencher sur quelques cas étudiés par J. Dakhlia (35), G. Bedoucha-Albergoni (36) et F. Colonna (37). Ces travaux confirment le recours au mythe pour fonder une origine. les articles de Y. Modéran (38) et M. Shatzmiller (39) prolongent le débat dont il sera question au point cinq, 5. Quoique mineures les études sur le nom (propre), sont très importantes pour comprendre le jeu du simulacre qui n'est pas que du faux mais une virtualité en suivant en cela les principes du nominalisme qui contourne la sophistique. En dépit de toutes ces réserves, la définition suivante des logisticiens ( Frege et Russel) :"en réalité, un nom propre, correctement employé, ne serait qu'une description définie, abrégée ou déguisée." (40) semble correspondre au contexte de la désignation des hommes et de leur environnement. En effet, presque tous les intellectuels aussi bien de la période antique que médiévale ont eu recours au changement de nom. Parmi ces derniers, nous pouvons citer Saint Augustin, Apulée, etc., tous les Ibn... à connotation maghébine dont le plus connu est Ibn Arafa. L'étude de K. Chachaoua sur le patronyme d'Ibnou Zakri (1853-1914) n'est qu'un aspect du changement de nom.(41). Des exemples illustrent cette tendance de la négation de soi par divers moyens: transformation totale du nom, altération du nom, sobriquet, etc. Léon l'Africain, Mustapha el Zemmouri connu sous le nom Estavenidos ? El Anka, etc. Quant à l'anthropologie préhistorique, nous examinerons, comment se construit le discours à partir de pierres. (A suivre)
F. Hamitouche
Lire la suite : Le syndrome de l'histoire (II)
Notes
1- M. Dirèche, Convoquer le passé et réécrire l'histoire; Berbérité ou amazighité dan sl'histoire de l'Algérie dans "Chantier et défis de la recherche sur le Maghreb contemporain", P.R. Baduel, IRMC, Karthala, Paris, 2009.
2-Platon, La République, Livre VII, Œuvres complètes , La pléiade, Paris, 1950;=.
3- P. Ricoeur, La mémoire, l'histoire, l'oubli, Editions du Seuil, Paris, 2000.
4-F. Châtelet, Platon, La Philosophie: de Platon à St Thomas, Les nouvelles Editions Marabout, Verviers, Belgique, 1979.
5- F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Payot, Paris, 1969, Le signifiant désigne l'image acoustique du mot, le signifié est la représentation mentale du mot.
6- Chantal de la Veronne, Distinction entre Arabes et Berbères dans les documents d'archives européennes des XVI et XVII, siècle, Actes du premier congrès d'études des cultures arabo-berbères, Malte, 1972
7- J. Desanges, Catalogue des tribus africaines de l'antiquité à l'ouest du Nil, Université de Dakar, 1962
- G. Camps, Liste onomastique libyenne, Antiquités Africaines, t.38-39, 2002-2003
8- O. Bates, Eastern Libyans, Macmillan, Londres, 1914
9- M. Dirèche, Convoquer le passé et réécrire l'histoire; Berbérité ou amazighité dans l'histoire de l'Algérie dans Chantiers et défis de la recherche sur le Maghreb contemporain, P.R. Baduel, IRMC, Karthala, Paris 2009.
10-L. Hegel, La raison dans l'histoire, p245-247, Le monde en 10/18, Paris, 1965
11- M.Bloch, Apologie pour l'histoire, le métier d'historien, Armand Colin, Paris, 1974. Bien à propos du texte de M. Dirèche, il nous dit que : '' pour comprendre le passé par le présent, l'incompréhension du présent nait fatalement de l'ignorance du passé. Mais il n'est peut-être pas moins vain de s'épuiser à comprendre le passé, si l'on ne sait rien du présent.'' p, 47. Pour lui il y a au moins deux façons de s'intéresser au passé et au présent et qui sont d'ailleurs revérsibles dans l'ordre de leur exposition, p, 44 à 50. En définitive C'est une manière de retourner l'argumentaire du questionnement propos par M. Dirèche
12- L. Balout cité par Th. Obenga:" En somme, les Berbères n'ont jamais donné naissance au cours de l'Histoire ancienne et moderne à un foyer culturel et original.''
- T. Mommsen cité par Y. Modéran, ''Les civilisations étrangères se sont succédées à d'autres civilisations, les Berbères restèrent comme le palmier et le sable du désert.''
13- G. Camps, Hiempsal, E.B XVIII
14- R. Basset, Les généalogistes berbères, Achives berbères, Année 1915, Fasc 2, Publicationdu comité d'études berbères de Rabat.
- Ibn Khaldoun, Histoire des Berbères et les dynasties musulmanes de l'Afrique septentrionale; T 3, Opinions diverses sur l'origine des Zenata, Tribus dont cette race se compose, p, 180 à 188, P. Geuthner, 1999, suivant l'édition de 1934 , traduction Baron de Slane, publiée par P.Casanova.
15- Esma Harrouch (Elitta et Iarbas, L'hymen de la ruse et de la force, Karthala, Paris, 2006) donne une version romanesque des événements.Elle corrobore la vision du nationalisme tunisien qui ne rompt pas avec l'antiquité de Carthage. Elle s'en sert comme une légitimité historique du fondement de l'Etat dans un jeu de mémoire selon la formule employée par Cl. Gutron ( L'archéologie de la Tunisie, XIX-XX ème siècles, Jeux génalogiques sur l'antiquité, Karthala, Paris, 2010) qui hélas gomme l'ancestralité amazighe. L'Histoire générale de la Tunisie, Tome I, L'Antiquité, Sud Editions, Tunis et Maisonneuve et Larose, Paris, 2003) contient quelques allusions aux populations anciennes de l'Afrique du Nord.J. Scheid et J. Sevenbo - La fondation de Carthage, Les annales, Paris, 1985- étudient le mythe de la fondation de Carthage qui met en exergue la ruse d'Elissa et la cupidité de Hierbas.
16- Tite Live, les guerres puniques, Livres XXI à XXX,G. Flammarion ,Paris 1994
- Les guerres puniques, Polybe, Tite Live et Appien, Préface de Claudia Moati, Folio Gallimmard, Paris 2008
17- Les amazighs conquièrent au moins par deux fois l'Egypte par Chechong- J. Yoyote, Les principautés du delta au temps de l'anarchie libyenne, IFAO, Le Caire, 2012- et puis par les Fatimides- F. Darchaoui, Le califat fatimide au Maghreb, STD, Tunis, 1981
Sur les rapports entre l'ancienne Libye et l'Egypte, voir Y. Modéran, les Maures et l'Afrique romaine, Ecole Française de Rome, 2003 qui a fait une étude détaillée de l'aversion de l'historien Abd al hakam et de la thèse dite de Tixier.Les spèculations sur l'origine des Berbères et des Egyptiens a très tôt préoccupé les anthropologues.
H-A-N. Perrier, Sur l'ethnogénie égyptienne, MSAP, Paris, 1860-1864
- Des races dites berbères et leur ethnogénie, A. Hennuyer,1873.
Plus proche de nous à la suite des travaux de G. Lucotte, Y-Chromoses DNA Haplotypes in north african populations, Hum Bio,2000 B. Lugan dans unn article intitulé : Quand l'Egypte était amazighe, texte disponible sur Internet, il en fait un argument historique peu convaincant qui mêle l'ethnie et l'historicité. Dans son livre Histoire de l'Egypte,Des origines à nos jours, Editions du Rocher, Paris, 2002, il discute la thèse de Cheikh Anta Diop- fondateur de l'Afrocentrisme, sur l'origine nègre de la civilisation egyptienne, problème d'une importane capitale sur lequel nous reviendrons plus loin. Il détermine quant à lui le groupe linguistique afrasien dont il faut rappeler qu'il n'est qu'une construction théorique, figure p, 35 qui assemble les rameaux réaménagés déjà existants dans la classification de J.H. Greenberg, des proto Sémites, des protoEgyptiens et des protoBerbères autour de 10000 BP tous issus d'un ancetre commun appelé le nord Erythréen. Il reproduit dans l'histoirede l'Egypte p, 30,les images classiques des libyens de l'iconographie pahraonique. Malheureusement, il ne donne pas la référence concernant les peintures de l'Acacus et du Tassili qui remonte à la période dite équidienne aux environs de 2000 avant J.-C.
Quant à nous (L'oralité et l'histoire du Maghreb, NRA, Paris, 1993), nous avons repris l'historique des relations entre l'Egypte et la Libye antique pour rappeler les liens qui unissent les deux populations. La documentation de l'Egypte pharaonique peut servir à démontrer que l'entrée dans l'histoire monde est très ancienne et qu'elle remonte au moins au 3 ème millénaire avant J.C. Mais elle n epeut en aucune façon amalgamer les deux populations s'un point d vue ethnique. Par ailleurs nous avons pris nos distances avec l'Afrocentrisme qui centralise trop l'Egypte dans l'histoire africaine et de facto réduit considérablement la place des autres peuples dans l'histoire africaine.
18- S. Chaker et S. Hachi, A propos de l'origine et l'âge de l'écriture libyco-berbère, Reflexions du linguiste et du préhistorien,Mélanges offerts à K.G. Prasse, Paru dans: Etudes berbères et chamito-sémites, Editions Peeters, Paris, Louvain. La bibliographie donne un aperçu global des travaux consacrés à la question de langue bebère et de son écriture. Tous les grands ténors de la linguistique berbère ont cités.
19- J. Dakhlia, Trames de langues, IMC, Maisonneuve et Larose, Paris, 2004. Comme l'illustre le sous titre de l'ouvrage, Usages et métissages linguistiques dans l'histoire du Maghreb, les auteurs passent en revue les différentes situations linguistques du Maghreb dans l'histoire où le berbère occupe une place centrale et incontournable dans la production des langues et de leur composition.
20- M. Dirèche, p
21- M. Harbi, Le FLN, Mirage et réalité, Editions Jeune Afrique, Paris, 1980 p. 59 à 67
22- J. Amrouche, l'eternel Yugurtha, L'Arche, Alger, 1946
23- M. Talbi, La Kahina, EI, t 5, 1982
24- M. Sahli, Décoloniser l'histoire, ENA, Alger, 1986
- Le message de Yougourtha, Imprimerie générale, Alger, 1947
25- Nous renvoyons aux sources littéraires d'Ammien Marcellin à Zosime utilisées par M. Benabou, La résistance africaine à la romanisation, La Découverte, Paris 1976
26. Y.Modéran, Les Maures et l'Afrique romaine, Ecole française de Rome, 2003, p. 711 à 715. Ce problème de la dichotomie Botr-Branes qui est l'outil principal d'Ibn Khaldoun de l'histoire généalogique, joue un role déterminant dans passage de l'ethnique au généalogique.
27- M.Benabou, Idem
28- M. Kilani, La construction de la mémoire, Liber et Fides, Genève, 1992
29- J. Berque, Qu'est ce qu'une tribu maghrébine? Hommge à L. Febvre, A. Colin, Paris, 1958
30- Y. Modéran, Idem
31- Cl. Gutron, L'archéologie de la Tunisie XIX-XXème siècles, Jeux généalogues sur l'antiquité, Karthala, Paris, 2010
32- G.Camps, Hannibal....
33-F. Yates L'art de la mémoire
34- M. Kilani, Pour un universalisme critique, La Découverte, Paris , 2014
35- J. Dakhlia, Le sens des origines: comment on raconte l'histoire dan sune société maghrébine, Revue historique no 562, PUF, 1976
36- G. Bedoucha-Albergoni, La mémoire et l'oubli: L'enjeu du nom dans une société oasienne, Les annales, Mai-Aout, 1980
37- F.Colonna, Discours sur le nom: identié,altérité, Peueples méditerranéens,Janvier- Mai, 1982
-Oubli, reconstruction, censure, A propos d'une recherche dans l'Aurès dans H. Moinot, Enseigner l'histoire, Peter Lang, 1984
-Ce que les paysans disent de leurs ruines. Aurès, les années soixante-dix, Colloque, P. Pascon, Casablanca, 2001
38- Y. Modéran, Idem
- Mythe et histoire aux derniers de l'Afrique antique: à propos d'un texte d'Ibn Khaldoun, Revue historique, CCCIII , PUF? Paris, 2001
- Des maures aux Berbères: identité et ethnicité en Afrique du Nord dans Identité et Ethnicité, Tables rondes du CRAHM, Caen, 2008
-Mythes d'origine des Berbères, avec une note complémentaire (aspects linguisitiques et contemporains) de S. Chaker, EB, XXXII, 2010
39- M. Sharzmiller, Le mythe d'origine berbère, Aspects historiographiques et sociaux, ROMM no 35, 1983
40- S. Kripke, La logique des noms propres, Edtitions de Minuit, Paris, 1980.
41- K. Chachaoua, La part arabe de l'identité berbère, Radiographie du patronyme d'Ibnou Zakri, (1853-1914), dans Mutations d'identités méditerranéennes, Editions Bouchène, Paris, 2000.
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verry nice post, thanks for share
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