"La guerre d’Algérie vue par les Algériens"
C’est le second tome de l’ouvrage écrit par Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora et publié chez Denoël. Ce volume porte le sous-titre 2. De la bataille d’Alger à l’indépendance.
Comme on l’aura deviné, ici les auteurs embrassent en un peu plus de 400 pages la deuxième partie de la révolution avec de longs développements sur les plus importants événements ou affaires qui ont marqué cette période.
"Tout se décide entre juillet et août pour l’avenir d’Abane", écrivent les auteurs qui ont consacré la première partie du livre à l’assassinat d’Abane Ramdane. "Les militaires, face à l’opposition très déterminée mais sans relais d’un Abane presque totalement isolé et dont la seule consolation sera l’adoption sans réserve du bilan de l’activité du CCE qu’il présente, pourront donc sans grande difficulté imposer en quelques heures tout ce qu’ils ont décidé auparavant au cours de conciliabules et autres réunions "secrètes". C’est à cette occasion que sera instauré "l’avènement d’une nouvelle direction en tous points conforme aux vœux des "3 B". Le nouveau CCE décide de la nomination des nouveaux membres du CNRA. C’est dans cette réunion de fin août au Caire qu’Abane a été isolé. Puis réduit à occuper un poste subalterne, celui de la rédaction d’El Moudjahid, celui-là même qui allait annoncer quelques mois plus tard sa mort au maquis pour maquiller son assassinat.
"Ce qui est sûr en croisant notamment les documents et témoignages dignes d’être pris en compte et faisant état des récits ou comptes rendus directs ou indirects, de première ou de seconde main, de Krim, Bentobbal, Boussouf et Ouamrane, c’est que tous les «militaires» étaient d’accord pour agir de façon à neutraliser définitivement Abane. En se saisissant physiquement de lui, d’où le piège du déplacement au Maroc."
"Au total, Abane, de septembre à décembre, a beau vouloir résister il n’en peut plus. Prélude à son sort tragique, il est mis en quarantaine". C’est durant ces mois de solitude pour Abane que se trame l’issue fatale de son élimination par les colonels. Krim affirmera après l’indépendance qu’"on a soupçonné ou plutôt accusé alors Abane, d’après une dénonciation parvenue jusqu’à Mahmoud Cherif, de vouloir rétablir son autorité par la force avec l’appui de combattants de la proche wilaya des Aurès. A raison ? Sur ce point encore il n’y a aucune certitude. Mais il n’est pas exclu qu’il ait tenté de faire alliance avec des cadres militaires des Aurès brouillés avec la direction du FLN depuis le parachutage à leur tête, un an auparavant, de Mahmoud Cherif", supposent les deux auteurs. Puis d’ajouter que les colonels avaient l’embarras du choix des prétextes pour éliminer Abane. Sur les circonstances de sa neutralisation : "Ce qui est sûr en croisant notamment les documents et témoignages dignes d’être pris en compte et faisant état des récits ou comptes rendus directs ou indirects, de première ou de seconde main, de Krim, Bentobbal, Boussouf et Ouamrane, c’est que tous les «militaires» étaient d’accord pour agir de façon à neutraliser définitivement Abane. En se saisissant physiquement de lui, d’où le piège du déplacement au Maroc."
Au final seul Boussouf assumera la responsabilité de l’assassinat d’Abane Ramdane.
L’ouvrage retracera la lutte de la Fédération de France du FLN en France, l’épisode de la tentative de négociation menée par le colonel Si Salah avec le général De Gaulle et enfin "la guerre des chefs".
Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora s’attardent sur la crise de l’été 1962 et son origine. Inévitablement, la séquence de la visite de séduction menée par Abdelaziz Bouteflika auprès des cinq prisonniers du château d’Aulnoy y est aussi racontée. En effet, pendant que les commandos de l’OAS semaient la mort, Bouteflika est envoyé par Boumediene pour trouver appui auprès de Boudiaf ou Ben Bella. Si le premier a décliné l’offre, Ben Bella en a été séduit. "A-t-il été séduit par les thèses de l’EMG, ou le plus populaire des résidents d’Aulnoy a-t-il judicieusement pensé qu’un accord avec la principale branche de l’armée lui serait fort utile au moment de prétendre incarner le pouvoir ?".
Mais c’est à Tripoli que le sort de l’Algérie s’est en grande partie décidé. La réunion est tendue, empreinte de menaces et d’insultes. Agacé, Bentobbal s’adresse à Ben Bella : "Depuis un mois que tu vis parmi nous, tu as déjà semé la discorde". Tout est dit. Le CNRA s’achève en queue de poisson puisque le président du GPRA quitte la capitale libyenne en compagnie de plus de la moitié des membres du congrès. Qu’importe ! Ben Bella traficote un PV de carence et proclame un bureau politique.
"Le 22 juillet 1962, fort du soutien de Boumediene, a déclaré à Tlemcen où il s’est installé dans la villa Rivaud : "Le bureau politique, c’est moi". L’armée de l’extérieur est déjà entrée en Algérie. C’était le 24 juillet. "L’armée des frontières arrive ce jour-là devant Constantine. Abdelaziz Khalfallah est alors le responsable du FLN de la ville. Il rend compte de cet épisode : "Les troupes se sont infiltrée à partir d’Almeida et sont venues encercler Constantine. Ils avaient des renseignements parce qu’il y avait des éléments à nous qui étaient dans l’armée des frontières. Donc, ils avaient des repères, ils savaient où se trouvait le PC. Tout l’état-major s’est retrouvé encerclé, le PC de la Metaka, qui était sous ma responsabilité, aussi. Un membre du GPRA, Bentobbal, a été également pris au piège. Je n’ai pas été arrêté parce que je n’ai pas passé la nuit au PC. J’étais trop ciblé. Le commandant de la caserne a été abattu froidement, il y a eu quatre ou cinq morts". Plus tard, l’APS parlera d’un millier de morts aux combats entre l’armée de l’intérieur (essentiellement les wilayas IV et III) et l’armée de l’extérieur que commandait Houari Boumediene.
Ahmed Ben Bella : "Nous prendrons le pouvoir quel qu’en soit le prix. Quel qu’en soit le prix. Je l’ai entendu de mes propres oreilles".
Dans la lutte entre le GPRA et l’EMG, "Youcef Khatib, le chef de la wilaya 4, tente de préserver la neutralité de sa région. Il a décidé de rencontrer Ben Bella et s’est déplacé pour cela à Rabat, où il l’a mis en garde contre les risques d’une guerre civile. «Là, témoigne-t-il, je vais parler de quelque chose d’important que les gens ne connaissent pas. On a entendu des choses qui font peur, la réponse (de Ben Bella) était la suivante : nous prendrons le pouvoir quel qu’en soit le prix. Quel qu’en soit le prix. Je l’ai entendu de mes propres oreilles".
Le livre de Renaud de Rochebrune et Benjamin Stora s’achève sur une conclusion éclairante sur l’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir, la censure et les manipulations dont a été la cible l’écriture de la révolution algérienne par les tenants des régimes successifs.
Kassia G.-A.
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