L’identité kabyle-amazighe, l’autre victime de l’attentat de Québec

Les autorités canadiennes étaient présentes à la cérémonie d'hommage aux victimes de l'attentat.
Les autorités canadiennes étaient présentes à la cérémonie d'hommage aux victimes de l'attentat.

La semaine dernière, à mon retour de voyage, je découvrais que la guerre des extrémismes a encore fait des victimes parmi les innocents. Elle a fait des victimes au cœur de la ville de Québec, la splendide capitale politique du Québec. Six Canadiens d’origines diverses et de confession musulmane ont perdu la vie. Qu’ils s’appellent Aboubaker, Azeddine, Ibrahima, Khaled, Karim ou Mamadou, ces hommes avaient tous le même rêve, celui de vivre en paix. Oui, la PAIX. Qu’ils reposent en paix.

Comme beaucoup de gens, je suis profondément attristé par le malheur qui a frappé ces honnêtes gens venus de très loin pour vivre tranquilles et, pour plusieurs d’entre eux, fuir justement l’extrémisme religieux. Aux familles des victimes, ainsi qu’à toutes les personnes blessées dans leur corps, dans leur âme ou dans leurs croyances, je présente mes sincères sympathies.

La classe politique canadienne et québécoise a été remarquablement mobilisée. Elle a saisi la circonstance pour produire, dans une grande dignité, des déclarations et des discours chargés d’émotion, d’empathie et de nombreux messages d’amitié envers les proches des victimes et de toute la diversité canadienne. Le Premier ministre du Canada Justin Trudeau, le Premier ministre du Québec Philippe Couillard, ainsi que plusieurs autres personnalités politiques comme les maires des villes de Montréal et de Québec, Denis Coderre et Régis Labeaume, ont assisté aux deux cérémonies funéraires de Montréal et de Québec qui ont drainé une foule imposante et de nombreux médias. Ces personnalités et tous les partis politiques du Québec ont condamné unanimement les attentats et dénoncé les manipulations des stéréotypes contre les citoyens de confession musulmane.

D’un point de vue purement symbolique et sur le plan médiatique, l’événement a été traité avec beaucoup de sérieux et bien des stéréotypes au sujet des citoyens de confession musulmane ont été dénoncés. Le Parti libéral du Canada et le Parti libéral du Québec sont bien à l’aise avec la question de la diversité et ils ont usé d’un art pour mettre en exergue sa place au Canada. Seule la culture amazighe et kabyle a manqué au palmarès, ce qui est extrêmement regrettable. En conséquence, les citoyens canadiens d’origine kabyle ont été attristés et offensés par le rejet de leur culture et de ses rites funéraires lors de ces cérémonies de recueillement, bien que deux des six personnes décédées soient d’identité, de langue et de culture kabyle. D’autant plus que ce n’est pas un oubli, mais une décision délibérée d’exclure cette identité de la cérémonie.

Il est bien connu que les rites qui célèbrent la vie ou ceux qui accompagnent la mort font partie de la personnalité et de la culture de chaque peuple. Les rites s’adressent à la sphère émotionnelle et permettent de soulager la peine des proches et de tous les vivants touchés, de loin ou de près, par la disparition d’un proche. Les rites peuvent être religieux ou culturels, ou un mélange des deux. Nous savons aussi que dans des moments d’émotions fortes, de grande détresse ou même de bonheur, l’usage de la langue maternelle est le chemin le plus direct vers la sphère émotionnelle de l’être humain. Les moments de fortes émotions se vivent dans la première langue, pas par des langues d’emprunt. Je ne sais pas si c’est le cas de tout le monde, mais en ce qui me concerne, que ce soit des félicitations, des salutations ou l’expression de l’empathie, les expressions en kabyle sont irremplaçables. D’ailleurs, la plupart de mes amis de plusieurs nationalités savent combien AZUL ou TANMIRT me font plaisir et ils les utilisent souvent par gentillesse ou correction.

Pour revenir à la tragédie de Québec, les proches de deux des victimes d’origine kabyle, Khaled et Karim, ont ressenti une profonde déception et une blessure dans leur amour propre. Pas un mot des oraisons funèbres n’a été prononcé en Kabyle, la langue maternelle de la grande famille de Karim et de Khaled. Leurs proches ont eu droit à des mots de sympathie dans trois autres langues, le français, l’anglais et l’arabe, mais pas dans la leur. La communauté kabyle au sens large a réagi massivement sur les médias sociaux et plusieurs citoyens, y compris les membres des familles, ont exprimé leur profond désarroi par rapport à cette exclusion. D’autant plus que plusieurs membres de la communauté kabyle ont proactivement mené des démarches auprès du comité organisateur des funérailles et préparé des oraisons funèbres en tamazight qui ont été rejetées par ce même comité. À la tristesse s’ajoute la frustration de voir sa langue kabyle devenir la victime collatérale de la tragédie de Québec.

Au-delà des émotions et des rites, la question du rejet de la langue et de la culture kabyle et amazighe par le comité organisateur des funérailles, sous les yeux des autorités canadiennes, québécoises et de la représentation diplomatique algérienne, pose de sérieuses questions. Oui, des questions sérieuses et de grande importance pour la communauté kabyle du Canada.

Pourquoi les organisateurs de la cérémonie de recueillement de Montréal ont-ils refusé de suivre la volonté de la famille de Karim qui a exprimé le désir de voir une partie des hommages délivrée en langue kabyle. Est-ce par racisme linguistique ?

Ont-ils eu peur de la langue elle-même, ou du message qu’elle pouvait véhiculer ? Ont-ils agi par mépris de l’identité amazigh ou par déni de soi? Ont-ils voulu avoir l’exclusivité de l’événement parce que la tragédie a eu lieu dans une mosquée ?

Si au moins une des réponses à ces questions est «oui», alors ils ont réussi à faire voler en éclat tous les messages de paix et de solidarité exprimés avant, pendant et après les funérailles par les Canadiens et leurs dirigeants politiques. Ces gens qui ont choisi la voie du rejet de l’identité kabyle et amazighe ont commis un acte grave et répréhensible. Ils n’ont pas compris que dans la société dans laquelle ils vivent, le renfermement sur soi, individuel, religieux ou communautaire, est tout simplement détesté et inacceptable. Ils n’ont pas compris que c’est ça qui provoque le genre de tragédie telle que celle qu’ils viennent de vivre.

La communauté kabyle quant à elle, doit se questionner et tirer des leçons par rapport à sa capacité d’influencer les décisions politiques qui la concernent. Les citoyens canadiens d’origine Kabyle sont très nombreux, mais la communauté kabyle en tant que telle n’est pas assez structurée pour pouvoir peser dans la balance en tant que communauté.

Certes, l’intégration individuelle des nouveaux citoyens canadiens d’origine kabyle se fait avec bio, mais ceci est insuffisant. Les associations kabyles à travers le pays font un travail extraordinaire de revitalisation de la culture kabyle-amazighe et dans l’information des autres Canadiens de ce que notre culture peut ajouter à la richesse du pays et de l’humanité. Les Kabyles concilient très bien leur culture avec l’universalité, mais n’arrivent pas pour le moment à créer un poids communautaire suffisamment concentré pour pouvoir influencer des décisions politiques et faire de sorte que la démocratie canadienne s’intéresse à la culture et à l’identité kabyle et amazighe.

La communauté kabyle se doit de s’intéresser à cette question vitale et en débattre le plus tôt possible afin de trouver le meilleur moyen de s’exprimer en tant que communauté. Cela n’exclut pas l’appartenance à d’autres groupes sur une base idéologique, religieuse, de pays d’origine, d’amazighité, d’africanité ou autres. Nous ne sommes pas obligés d’avoir les mêmes opinions sur tout, les mêmes visions du monde ou les mêmes croyances, pour pouvoir se consulter sur la base des intérêts communs.

Taqbaylit (la kabylité) dans tout ce qu’elle a de noble (la langue et la culture avec tout ce qu’elle peut offrir à l’humanité) est le meilleur lien pour que nous soyons une communauté efficace et bien reconnue dans notre pays d’accueil. La démocratie canadienne s’accommode très bien avec les communautés organisées. Elle les valorise, les consulte, les informe et fait appel à leurs représentants pour mieux prendre en compte l’intérêt de la communauté. Il est courant que les partis politiques parlent à des représentants de communautés à l’occasion d’élection ou d’autres occasions. Nous sommes dans un pays où les questions se règlent dans les institutions, pas dans la rue. La charte canadienne des droits et libertés garantit les droits individuels, mais il y a des droits qui ne peuvent pas être appliqués à une échelle individuelle telle que la reconnaissance d’une culture.

Les médias et la classe politique du Québec et du Canada doivent comprendre que l’Afrique du Nord est avant tout amazighe (berbère) et que la majorité des musulmans ne sont pas de langue et de culture arabes. Il ne faut pas combattre des stéréotypes en utilisant d’autres stéréotypes. Les citoyens kabyles du Canada sont très ouverts et bien intégrés dans leurs communautés d’accueil. Il ne faudrait pas que leur désir d’intégration soit utilisé contre eux et pour mettre à l’écart leur identité. Leur intégration authentique et positive passe par la reconnaissance et la considération de leur culture et de leur identité. Le Kabyle est un citoyen du monde prêt à s’intégrer dans toutes les sociétés, mais il tient toujours à sa kabylité (taqbaylit).

Docteur Hocine Toulaït

Canada

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Commentaires (4) | Réagir ?

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gestion

verry nice post, thanks for share

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mmis tilelli

vous êtes vraiment têtus, ce sont les victimes elles même qui ont choisi de suivre la religion musulmane, donc la langue arabes, ces gens il récite le coran en arabe, ils font la prière en arabe, je ne vois pas pourquoi vous voulez leur faire une oraison en Kabyle. Enterrer les et basta. Paix a leur âmes et courage à leur familles.

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