Le football, l’amour, le racisme...

La Une d'un quotidien arabophone qui résume le racisme d'une certaine presse en écho à cette partie malade de la société
La Une d'un quotidien arabophone qui résume le racisme d'une certaine presse en écho à cette partie malade de la société

Que de déplaisir d’écrire sur un sujet qui de honte nous mine et nous déprime. Si je le fais tout de même, c’est pour avoir un peu moins honte. Il s’agit d’une maladie, une sorte de lèpre ou de choléra qui contamine notre société faute d’avoir tué dans l’œuf le virus qui se sent bien au chaud dans ses entrailles.

Et nous voilà alors avec un pays, le nôtre avec son visage balafré et un cancer qui le ronge à petit feu. Ai-je besoin de nommer cette maladie ? Non bien sûr. Il suffit d’avoir en mémoire les tweets au lendemain du match Algérie-Zimbabwe, de visualiser la horde d’inconscients qui s’est donné en spectacle dans le stade de la capitale du Gabon. Je n’ai rien contre le foot, bien au contraire. Je suis évidemment aux anges quand l’équipe nationale gagne mais quand elle perd, jamais au grand jamais je ne manifeste ni colère ni haine contre l’équipe adverse. Pourquoi ? Parce que le foot est un joli sport où le physique et l’intelligence se donnent la main pour offrir aux amoureux de la balle ronde du spectacle. Oui un match de foot bien exécuté par onze joueurs déroulant sur le terrain leur chorégraphie est un spectacle qui ravit. Comme sur un champ de bataille, on voit les lignes adverses prises d’assaut, une fois deux… x fois… jusqu’à ce que le mur de la défense se lézarde. C’est alors que le ballon virevolte dans les filets sous le regard émouvant de tristesse du gardien de but.

Maintenant que j’ai déclamé mon amour pour le foot et fais l’éloge du plaisir qu’il provoque, venons-en à ces "supporters" qui le desservent. Je n’ai ni l’envie ni les compétences de fouiller dans leurs têtes pour connaître les nourritures de leur racisme. Je me bornerai à rapporter une scène vécue lors du festival Panafricain d’Alger en 2009. Je filmai les cortèges bigarrés de cette "Afrique qui danse et Alger qui rit" (1) dans les rues de la capitale. Tout y était pour nous charmer. Les hommes et les femmes drapés de leurs habits multicolores exécutaient différents spectacles artistiques (2). Il y avait là l’Afrique des grandes forêts, l’Afrique des immenses déserts et enfin celle du Sahel. C’était grandiose, tout simplement magnifique. Mon œil collé sur l’œilleton de la caméra faisait palpiter doublement mon cœur. Une partie du cœur contente de filmer les arts d’un continent et l’autre contente d’avoir pu en tirer de si belles images. J’étais quelque peu enivré par l’ambiance des images et des sons d’une Afrique joyeuse quand un individu m’accosta pour me faire entrer dans son sinistre et pitoyable univers mental. Il était visiblement insensible au spectacle de la rue. Je reproduis textuellement ses propos :

"Pourquoi, me dit-il, ils font venir ces singes au lieu d’avoir des relations avec les Américains".

J’étais triste pour lui et sans rien dire j’ai continué à filmer. J’avais eu devant moi un jeune homme pataugeant dans la solitude de son aliénation où il puisait son mépris pour des hommes de son continent. En revanche il exprimait sa fascination pathologique pour un pays fantasmé dont il ignorait et l’histoire et les crimes qu’il avait commis contre ces Africains au temps de l’esclavage.

Ainsi, son racisme était-il d’ne banale médiocrité, triste à faire couler des larmes de sang. Son racisme ne s’abreuvait pas évidemment aux sources de la théologie fumeuse des évêques de la Conquista espagnole en Amérique latine qui niaient l’existence de l’âme chez les Indiens. Il ne connaissait pas plus les théories sur la supériorité de race aryenne chères aux nazis. Il ignorait aussi, vu son âge, que ces grands parents avaient aussi été victimes des anthropologues colonialistes expliquant la violence des Algériens par des considérations biologiques donc de "race" (3). Frantz Fanon éminent psychiatre venu exercer en Algérie qui devint sa patrie, ridiculisa ces hommes de la "science" colonialiste. Soignant des Algériens atteints de la "folie", Franz Fanon découvrit que leur maladie était plutôt le produit de la violence et de l’humiliation qu’ils subissaient sous la colonisation.

Notre jeune homme rencontré au défilé du festival panafricain était une victime du présent qui ne lui faisait pas goûter les petits plaisirs de la vie qui font rêver les jeunes de son âge. Rêver, ce mot ne fait pas partie de son vocabulaire. De toute manière, il n’avait pas besoin de mots pour comprendre et sentir le lourd fardeau des injustices, des frustrations, de toutes ces misères affectives et culturelles qui nourrissent le quotidien des jeunes du pays. Alors il y a le foot, la seule activité ludique qui les fait rencontrer en une multitude de groupes. Là, point besoin de parler pour exprimer leur rage contre une vie délabrée qui ne veut pas partager ses beautés, contre des autorités qui ne font pas grand-chose pour soulager le poids de leur ennui. Ils se sentent inexistant, ils n’ont pas les privilèges de la chitchi, cette petite minorité des nouveaux riches qui ont fait leur beurre pour leur proximité avec le pouvoir, ou bien en engrangeant des fortunes en exploitant les infortunes faiblesses d’une économie déstructurée… Ailleurs, en Angleterre, Italie, France, il y a aussi des excités qui vomissent leur haine contre les Noirs. Ils sont aidés dans leur vile manifestation par l’alcool et les filles dont ils espèrent conquérir le cœur, un bon antidote à leur mal-être. Chez nous il n’y a ni alcool ni filles, ne leur reste que la rage pour s’extraire du néant de tous les jours. Dans les stades, ils ont leur petit quart d’heure de célébrité. Ils éructent et cassent tout, ils vident le trop plein de leurs frustrations et pointent le doigt accusateur contre le monde des adultes complice du désert où ils errent l’âme en peine.

"L’originalité" du racisme c’est son "universalité". Je ne ferai pas appel à des comparaisons pour dédouaner ce genre de comportements imbéciles de chez nous autres. Je ne mange du pain de la facilité pour éviter de me coltiner avec une réalité, qui je l’ai dit au début, me fait honte. Je laisse ce privilège aux porteplumes de ceux qui cachent comme on dit ‘’le soleil avec un tamis’’ pour minimiser ou nier les tares made in Algéria. Quand j’écris en mettant des guillemets à ‘’l’universalisme’’ du racisme c’est pour crier qu’il n’est point une fatalité. Les études montrent les ressorts de cette plaie à travers l’histoire et dans toutes les sociétés. La seule question qui vaille aujourd’hui est que faisons-nous aujourd’hui pour nous guérir en nous donnant les moyens politiques, juridiques et culturels pour que les racistes rougissent de honte, honte de leur ignorance, de leur peur de l’autre et leur infinie imbécillité… Dans l’univers en ruines de cette partie de la jeunesse pollué par des idées rabougries par le temps et une morale de pacotille, la sortie du tunnel est encore loin. Mais comme il n’est jamais trop tard pour bien faire, nous les fatigués d’entendre les insanités et les vociférations racistes, commençons par chanter Bonjour la vie (Kateb Yacine) sous tous les tons, et à travers le pays, saturons l’atmosphère avec ces simples mots…

Vous qui avancez dans l’obscurité en tâtonnant,

Montrez-vous à la lumière

Pour éclairer votre propre regard. (4)

Ali Akika, cinéaste

Notes

(1) "L’Afrique danse et Alger rit" est le titre de mon film invité à Alger puis hélas interdit par une ministre qui se disait une amie des arts et des lettres.

(2) Certains journaux algériens avait rapporté à cette époque la rage et les insultes contre les femmes africaines qui dansaient ‘’nues’’ dans nos rues. Par nudité ces pères fouettards voulaient dire que les femmes n’étouffaient pas sous leur burka.

(3) Il se trouve encore des gens ici et là qui fondent leur raisonnement sur des considérations ‘’biologiques’’ ou ethniques. Ils ne savent pas qu’ils rendent de mauvais services à leur propre cause. Il y a longtemps que la science a prouvé que ‘’rien ne se crée et rien ne se perd, tout se transforme’’(le chimiste Lavoisier) Le verbe transformer est inconnu chez tous les conservateurs du monde.

(4) Ces mots ont surgi de ma mémoire en écrivant l’article. Quand je cassais quelque chose sur mon passage, ma mère me disait Nah hi adbad min înek (enlèves le brouillard de tes yeux).

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Commentaires (3) | Réagir ?

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adil ahmed

merci

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gtu gtu

merci bien pour le site

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