Chakib Khelil 2017 : le retour du sauveur ou du filou ? (II)
Pour comprendre ce qui se passe en Algérie, il faut prendre du recul car hélas, on oublie souvent que les orientations politiques fondamentales qui vont irrémédiablement conduire à la destruction du pays, ont été imposées bien avant l'arrivée de Bouteflika et que tous ceux qui ont essayé de corriger la feuille de route ont été écartés ou même supprimés. Ce sont des sujets que tout le monde connaît mais qui restent tabous.
Le savoir est l’ennemi de la dictature qui maîtrise le savoir-faire
En 1992, le défunt président Boudiaf avait déclaré: "lL'école algérienne est sinistrée" et son ministre de l'Intérieur avait lancé une accusation plus grave : "L'école algérienne forme des terroristes".
Tout le monde est conscient des enjeux et des menaces qui pèsent sur la société à travers cette tragédie qui frappe la jeunesse algérienne. Une politique qui ne donne aucune priorité à l'éducation et à la formation des jeunes dans un pays où 70% de la population a moins de 25 ans est suicidaire. Le sabotage de l'école algérienne a déconnecté le système de formation des besoins de notre société, engendrant le chômage chez les jeunes diplômés. La formation professionnelle et l'apprentissage, exclus du système éducatif, sont pratiquement inexistants. Plutôt que de donner un balai ou une pioche à un jeune chômeur ou un véhicule (prêt sans garantie de remboursement) s'il est pistonné, il aurait été préférable de le former pour lui donner un vrai métier. Il ne faut donc pas s'étonner que nos enfants choisissent, au péril de leur vie, d'acheter une place dans une embarcation de fortune pour rejoindre l'Europe en espérant y trouver un emploi décent.
Bouteflika a enfoncé le clou (et appliqué l'orientation du régime) en maintenant en poste, pendant plus de dix ans, deux ministres qui ont sabordé les programmes de formation de l’enseignement secondaire et supérieur pour priver le pays d’une relève qualifiée. La formation professionnelle n’est pas épargnée puisque les entrepreneurs recourent massivement à la main-d’œuvre étrangère, notamment dans les secteurs du bâtiment et du génie-civil. Le système éducatif a atteint un niveau de médiocrité angoissant. La reconnaissance internationale des diplômes délivrés est menacée par une triche organisée, de grande ampleur. Notre école est tellement sinistrée qu’il faudrait dit-on "une révolution et des décades de réformes pour la remettre sur les rails du XXIe siècle".
Avec leurs taux d’échec élevés, les établissements scolaires sont devenus d’immenses crèches pour de futurs chômeurs. L’école qui est devenue "une usine à fabriquer des recalés" (400 000 candidats ont échoué au bac contre environ 80 000 en France en 2016).
Des forces obscurantistes non identifiées ont imposé l’arabisation des matières scientifiques et l’épreuve de charia au Bac. Les nouveaux bacheliers formés en arabe sont versés chaque année sur les bancs des universités où les professeurs dispensent des cours scientifiques en français (ou en anglais dans certaines grandes écoles) en utilisant une terminologie qu'ils ne comprennent pas. Ce volet qui consiste à saboter l’enseignement des matières scientifiques n'est pas le plus grave. Le prosélytisme salafiste est monnaie courante. Un journaliste a avancé une théorie saugrenue selon laquelle la suppression des langues étrangères dans l’enseignement des sciences a pour but de prémunir nos enfants contre la dépravation du monde occidental. En réalité, l’arabisation n’est qu’un prétexte. L'objectif, depuis 1980, est d’inculquer une idéologie wahhabite. M. Ahmed Tessa publié récemment un article intéressant (Le Soir d'Algérie du 18/01/17) où il écrit : "A ceux qui doutent de la main intérieure, il y a lieu de rappeler que l’école est le secteur qui obsède le plus les partis wahhabites. L’un de leur chef est allé jusqu’à annoncer l’installation, au sein de son parti, d’une commission de spécialistes pour passer au peigne fin les nouveaux programmes d’enseignement".
Cette stratégie de "décervélation" du peuple algérien à travers l’école est en train de créer des réactions de rejet au niveau de plusieurs régions qui, à terme, risquent de provoquer l’éclatement de l’unité nationale. En effet, force est de constater que cette technique de lavage de cerveau, amplifiée ces dernières années par le foisonnement des médias salafistes, a réveillé des gènes identitaires ancestraux au niveau de la population algérienne qui vient de fêter fièrement et massivement Yennayer 2967.
Le pouvoir a pris le relais des intégristes pour combattre comme un ennemi dangereux toute forme d’expression en dehors du canal officiel, y compris l’expression artistique. Les théâtres et les salles de cinéma dépérissent en attendant d’être fermées comme en Arabie Saoudite. Nos écrivains, nos hommes de théâtre et nos artistes se sont tous exilés pour s’exprimer librement et s’épanouir.
La presse et les médias grassement rémunérés s’autocensurent et évitent de publier ou de commenter les sujets qui fâchent, particulièrement les articles liés à la corruption. Les supports d’information, notamment les chaînes de télévision, ont mué vers des instruments de propagande destinés à formater l’opinion publique pour cacher les intérêts en jeu. A l’ère du numérique, tous les moyens sont bons pour ralentir la diffusion des connaissances quitte à ce que l’Algérie soit classée dans les derniers rangs en terme de débit internet.
Devenu passif et résigné, le peuple ne dit plus rien lorsqu’on inverse l’échelle des valeurs avec la désignation de malfrats notoires à des postes importants. Il se sent humilié à chaque fois qu’il entend certains responsables malfamés s’exprimer. Il ne s’estime pas concerné quand il voit des brigands, pour qui il n’a pas voté, le représenter à l’APN. Il ne peut même plus compter sur ses élites intellectuelles qui sont nombreuses à proposer leurs services, prêtes à vendre leurs âmes au diable pour être élevées au rang de sénateur, voire de ministre. Il voit, impuissant, qu’on prépare son pays à rentrer dans le siècle des ténèbres et de l’autocratie.
Il ne faut donc pas s’étonner de voir un ministre de la Santé faire la promotion de charlatans dans un pays où les pouvoirs publics financent les constructions de cliniques de Ruqiya avec l’aval des autorités religieuses au même titre que les mosquées. A ce train, on nous annoncera un jour que les modules de Ruqiya et de Hidjama deviendront obligatoires dans les facultés de médecine arabisées. Est-ce un moyen diabolique de combler le déficit de la sécurité sociale ? Le journal satirique El Manchar souligne que le RHB a permis d’éradiquer le diabète en Algérie en tuant tous les malades. Attention, vous diront les producteurs de KBC TV, même l’humour peut vous envoyer à la case prison.
Si on ne peut pas en rire, que peut-on faire ? Rester bien sage ? Selon la mythologie chinoise, si on est sourd, aveugle et muet, le mal nous épargnera.
En fait, l’élite algérienne n’est pas devenue sage, elle est tout simplement fatiguée au même titre que le peuple algérien. Kamel Daoud pense que cette fatigue est le prélude à la colère quand il écrit: "Nous sommes fatigués. Et de la fatigue des peuples naîtra toujours la colère qui vous emportera et vous rendra l’humiliation par dix. ../... Vous achèterez aujourd’hui les gens, les chômeurs, les patrons, les passants mais cela ne peut pas durer toujours. Vous le payerez vivant et après la mort".
Les nouvelles visions de Chakib Khelil
Il a fallu environ cinq années pour neutraliser les "adversaires de l’intérieur" de Chakib Khelil, cet agent américain qui semble détenir une immunité internationale. De nombreux évènements (qu’on ne citera pas ici) se sont produits en Algérie et à l’étranger pour qu’il puisse revenir en Algérie achever sa mission. La réhabilitation de Chakib Khelil, invité d’honneur à la réception du 1er Novembre 2015 de l’ambassade d’Algérie à Washington, a été le signal de la reprise des activités scélérates des cols blancs aux mains sales du régime. De nouvelles recrues se mobilisent et montent au front pour échafauder des opérations de corruption de grande envergure impliquant des "partenaires" étrangers douteux.
Le ministre Bouchouareb, intronisé nouveau Maître de cérémonie des transactions occultes, passe aux choses sérieuses et créé en 2015 la société Royal Arrival Corp, domiciliée au Panama qui, nous dit-on "exerce dans l'intermédiation commerciale avec plusieurs pays, dont l'Algérie". Il s’empresse de récupérer l’une des principales vaches à lait de la mafia, la société Asmidal issue de la déstructuration de Sonatrach de 1984 (une coquille vidée de ses actifs industriels pour un montant symbolique, comme El Hadjar). Après Vilar Mir, Sawiris et Bahwan, il ne manquait plus que Haddad et des indonésiens mafieux pour boucler la nouvelle liste des "amis du Président", qui ont dorénavant un accès privilégié à la rente gazière d’exportation (gaz naturel acheté au prix subventionné et exporté sous forme de produits pétrochimiques).
Le peuple a compris, depuis l’affaire Khalifa, que personne n’osera inquiéter les voleurs autorisés du sérail qui sont recyclés dans l’entourage du gouvernement. Et dire que certains journaux ont prédit le limogeage de Haddad, alors que sa société ETRHB vient d’être gratifiée, en période de crise financière, d’un prêt en devises d’une banque publique pour acquérir,à travers l’achat d’actions de la société Fertial, l’immense privilège de détourner la rente gazière d’exportation. En fait, tout porte à croire que l’incident au Forum africain n’était qu’une opération de communication destinée à préparer les esprits au retour du Sauveur américain.
Dans le même registre, certains membres du Clan déclarent, le petit doigt sur la couture du pantalon, que la politique de statu quo du gouvernement va mener le pays directement à la faillite et menacer notre souveraineté nationale. C’est une autre manière d’introduire l’idée d’un nouveau modèle de gouvernance dont les grandes lignes ont été révélées en décembre par Chakib Khelil qui n'a pas hésité à critiquer la politique actuelle du gouvernement.
Le retour officiel (ou officieux) aux affaires de Chakib Khelil, s’il venait à se confirmer, marquerait la mise en œuvre de solutions plus radicales visant le long terme avec ou sans 5e mandat car le régime, surpris et inquiet, réclame plus de visibilité.
Le personnage de Chakib Khelil a évolué puisqu’il se présente comme le sauveur qui va sortir le pays de la crise. Son discours touche à toutes les fonctions régaliennes de l’Etat, y compris celles des affaires étrangères, une façon de préparer l’opinion publique à sa désignation à un poste important. Certains journaux voient en lui le futur président en pointant du doigt qu’il a troqué son passeport contre une carte de résident pour se conformer à la loi algérienne.
On lui organise des conférences à travers le pays pour médiatiser sa vision économique qui est pratiquement à l’opposé du programme gouvernemental. On citera les propositions suivantes:
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Le développement du gaz de schiste,
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La révision du système de subventions (qui, dit-il, accapare 20% du PIB),
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La lutte contre le commerce informel et la modernisation du système bancaire (pour dit-il «sortir de cette fâcheuse mission de financement des opérations d’importation»).
Chakib Khelil a déclaré qu’il préférait la privatisation à l’endettement et qu’il recommandait d’investir massivement dans le gaz de schiste. Il est clair que le risque de polluer des nappes hydrauliques dans des régions désertiques où l’eau a une valeur inestimable est inacceptable. S’il prend cette option destructrice, c’est bien dans le cadre de la révision de loi sur les hydrocarbures et ses conséquences, à savoir le transfert d’une part importante des réserves d’hydrocarbures conventionnelles et non-conventionnelles aux sociétés étrangères qui serviront surtout à soutenir leur cotation en bourse.
Par ailleurs, il déclare : "La suppression des subventions de l’Etat est inévitable …/... mes propos ne vont pas plaire à tout le monde, mais ils sont réalistes". Tout le monde a compris que la mise en œuvre de son "mal nécessaire" est une invitation à un retour à l’option sécuritaire.
Il évite d’annoncer les sujets sensibles qui fâchent, à savoir la privatisation du secteur des hydrocarbures et le démantèlement du secteur public en général, notamment du foncier agricole et industriel avec des prix de transfert symbolique aux amis du régime.
Faut-il en déduire que les banques étrangères, ces grandes lessiveuses qui accompagnent l’import-import et la surfacturation, devront se reconvertir dans le business lucratif des acquisitions pour accompagner la privatisation du secteur public ? (A suivre)
Sid Kaci
Lire la première partie : Chakib Khelil 2017 : le retour du sauveur ou du filou ?
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